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réprimandes, indulgentes ou sévères, selon les circonstances; mais qu'elles partent toujours d'un cœur doux, humble et bienveillant. Administrez avec cette charité qui surmonte le mal par le bien; car ce n'est pas le mal qui corrige le mal, et jamais un démon n'en chassera un autre.

Que la prière soit votre plus douce jouissance. Quand vous vous occupez des autres, oubliez-vous vous-même; mais retrouvez-vous ensuite, dans le secret de votre âme, dans le saint exercice du recueillement, au moins deux fois par jour, le matin et le soir; mettez alors de côté toutes les occupations extérieures; élevez votre esprit à Dieu, recommandez-lui vos affaires, et suppliez-le de vous accorder la grâce de souffrir pour lui et avec lui, toutes les peines, tous les dégoûts, toutes les sollicitudes de votre charge; tâchez que cette prière intérieure soit un repos dans vos fatigues, et qu'une petite heure consacrée ainsi à Dieu seul, vous puisse faire supporter tous les ennuis du jour.

La perfection ne consiste pas dans la consolation, mais bien dans la soumission de notre volonté à Dieu, surtout dans les amertumes. Enfin, souvenons-nous que l'obéissance de Jésus-Christ devint parfaite, lorsque sa langue et sa bouche devinrent brûlantes, et qu'on augmenta avec le fiel et le vinaigre la soif cruelle qui le dévorait; nous comprendrons que nous devons plus estimer l'aridité et la désolation d'une âme soumise, que l'amoureuse langueur et le charme délicieux de la dévotion. — Adieu.

LETTRE VIII

Il répond à une religieuse qui lui avait demandé comment l'âme doit se conduire dans les extases et les jouissances de l'esprit.

Une flamme divine s'est donc allumée dans votre cœur, ma chère fille; une lumière nouvelle a donc excité en vous un amour ardent pour l'éternelle Sagesse; les épreuves sont finies; vous vous sentez doucement blessée, et toute languissante d'amour, au milieu des joies de l'extase et d'une contemplation si haute, que des paroles n'en peuvent rien exprimer. Que cela me console! La joie que j'en éprouve, dissipe toutes les afflictions de mon âme. Mais pourquoi me demander de vous écrire comment vous devez vous conduire avec Dieu dans les consolations, les joies et les ardeurs qu'il vous prodigue? Je ne connais personne de plus incapable de vous satisfaire.

Si un riche sortant de table tout enivré, trouvait dans un champ stérile un homme tourmenté par la soif, et attaché à un genévrier sauvage pour en cueillir les fruits qui servent à la médecine, et si l'heureux rassasié disait au pauvre : Prends ta cithare ct chante un de ces airs joyeux et brillants qui résonnent au milieu des festins; l'infortuné ne répondrait-il pas : On voit bien que le vin et la bonne chère égarent votre raison; vous vous imaginez que tout le monde est comme vous. Nous n'avons pas bu à la même coupe : mes pensées et mes sentiments ne sont pas semblables aux vôtres. N'est-ce pas ce que je pourrais vous ré

si

pondre, ma fille? Je me réjouirai seulement de ce que Dieu s'est montré à votre égard si tendre, si bon, aimable, et je consentirais bien volontiers à rester privé de ces grâces sensibles, pour que tous éprouvent ce que vous avez éprouvé, ce que j'ai éprouvé souvent moi-même.

Combien Dieu est doux et tendre pour ses serviteurs! Croyez-moi je ne suis pas étonné de vous voir arriver rapidement à une vie si ravissante, à une union si grande. Votre entier et absolu dévouement à Dieu, votre parfait mépris de toutes les créatures, le courage avec lequel vous avez foulé aux pieds le vieil homme et combattu votre corps et vos sens, vous ont conduite aux joies intimes et aux délices de l'âme. La première fois qu'on goûte le vin, la saveur en paraît si attrayante qu'on veut toujours en faire usage, et qu'on le regarde comme une liqueur précieuse et désirable. Voilà votre état, je pense: vous êtes captivée, enivrée de l'amour pur et ineffable de l'éternelle Sagesse.

Il me semble que Dieu veut par là vous inviter à courir, à voler à cette source immense et infinie de vie et de béatitude dont vous avez reçu une faible goutte dans votre extase. Il veut peut-être vous dévoiler les mystères, les grandeurs inenarrables de son amoureuse bonté. Mais, au sein de toutes ses faveurs, ne cherchez qu'à aimer et à faire la volonté divine; et cela sans aucune attache au plaisir et à la jouissance que vous y trouvez. C'est le seul moyen de ne pas vous égarer. Toutes ces choses sont les douceurs du ciel, et, si on peut le dire, les jeux et les familiarités de Dieu avec

l'âme. N'oubliez pas pourtant les forces de votre corps; ces extases l'affaiblissent trop. Vous devez demander à Dieu qu'il les proportionne à la faiblesse de votre nature; qu'il s'éloigne un peu lui-même, et qu'il se cache, pour que votre âme puisse avancer davantage vers la perfection par le chemin des épreuves et de la Croix.

Vous me dites que vous avez vu en esprit avec quelle abondance de grâces, avec quelle intimité l'éternelle Sagesse s'est unie à mon âme dans la nuit de la Nativité; mais savez-vous combien cette extase me coûta de douloureux gémissements à la vue de mon extrême indignité? Je savais bien n'être qu'un serviteur ingrat et mercenaire, qui marche dans la fange tout en cherchant à retirer les pécheurs de leur vie criminelle; et certes, si Dieu ne m'avait donné qu'un roseau pour appui, ce serait déjà une grande faveur !

Il faut pourtant vous dire la grâce que je reçus dans ma cellule, avant la messe de l'aurore. Je me reposais dans la paix et le silence du cœur, lorsque, sans aucun effort des sens, je fus transporté dans un temple rempli de beaux anges et d'esprits bienheureux; ils entouraient l'autel où on célébrait la messe, et chantaient doucement: «< Saint, saint, saint, béni soit Celui qui <«< vient au nom du Seigneur (1). » Leurs voix s'élevaient comme une harmonieuse mélodie, et je chantais aussi; je languissais d'amour, et il me semblait que de l'Hostie sainte sortait une lumière spirituelle qui péné

(1) Sanctus, sanctus, sanctus, benedictus qui venit in nomine Domini.

trait mon âme et mon cœur; et c'était comme si deux cœurs s'unissaient d'une manière ineffable, sans intermédiaire, sans ombre et sans voile. J'étais dans une telle langueur, que les forces me manquèrent, et un jeune habitant du ciel qui se trouvait auprès de moi riait en me regardant. « Pourquoi, lui dis-je, riezvous, et ne me plaignez-vous pas ? Vous voyez bien qu'un excès d'amour m'accable et que la vie m'abandonne. » Et en disant cela je tombai par terre. Je revins à moi ; je versai d'abondantes larmes, et je me sentis tout consolé. Adieu.

LETTRE IX

Le Bienheureux écrit à un de ses amis affligé, et lui enseigne la voie pour arriver à la paix du cœur.

La Vérité, mon bien cher ami, est par elle-même simple, claire et dégagée de toute figure matérielle; mais l'homme, à cause de sa nature, ne peut, dans son corps mortel, la comprendre sans nuage, jusqu'à l'heure où, dégagée de toute corruption, son intelligence libre et pure pourra fixer le disque éclatant du soleil. Maintenant nous marchons comme des aveugles qui tâtonnent les nurs, et nous ne savons comment et où nous pourrons trouver la Vérité; même lorsque nous l'avons trouvée, nous vivons encore dans le doute comme celui qui cherche ce qu'il a dans la main; personne n'est affranchi de cet état, car ces ténèbres sont les suites du péché originel.

Je suis bien sûr que vous serez heureux d'apprendre

« EelmineJätka »