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sur cette àme maternelle abreuvée de mépris et de confusion sur le Calvaire. « O bonne et tendre mère lui « disait-il pour la consoler, souvenez-vous que c'est par cette voie douloureuse que vous êtes parvenue au royaume d'amour où vous êtes maintenant une reine toute-puissante, une mère pleine de miséricorde, << notre vie, notre douceur et notre espérance! » Arrivé à la porte de Jérusalem, il contemplait Marie entrant dans la ville, tombant en défaillance, tout inondée du sang qui avait découlé des plaies de son Fils crucifié; il la saluait encore et l'embrassait respectueusement à ces paroles: Eia ergo, Advocata nostra. « Consolez-vous, « lui disait-il, consolez-vous et reprenez courage: « n'est-ce pas par ce sang précieux que vous devenez l'avocate, la protectrice de tous les fidèles? Au nom « de cette scène douloureuse, au nom de Jésus cru«cifié, mort et déposé sur vos genoux, jetez un regard « bienveillant sur mon âme; et quand elle sortira du « corps qui l'emprisonne, présentez-la au doux, au << tendre Jésus, à Jésus mon Rédempteur, à Jesus le « fruit béni de votre sein virginal. » Son imagination le conduisait jusqu'à la porte de la maison de Marie; il la saluait encore humblement à ces paroles: O clemens! o pia! o dulcis Virgo Maria! Il la suppliait de vouloir bien le défendre des assauts de l'ennemi et le sauver à l'heure de la mort. Après avoir ainsi loué la clémence, la bonté, la douceur de cette Mère de toutes les grâces, il lui disait adieu, et la laissait se retirer dans sa maison.

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XVI

De son rigoureux silence.

La divine Sagesse excitait sans cesse l'âme d'Henri à rechercher avec soin le calme de l'esprit et la tranquillité du cœur. Sachant que le silence était le moyen d'y parvenir, il s'appliqua si scrupuleusement à l'observer, que pendant trente ans il ne parla jamais à table, excepté une fois, dans un bateau qui le ramenait avec ses frères du Chapitre général. Pour dompter mieux sa langue et n'être jamais empressé et bavard, il se proposa trois grands modèles de silence: saint Dominique, saint Arsène et saint Bernard, s'obligeant à ne jamais parler sans leur permission. Quand il était dans la nécessité de le faire, il leur demandait leur bénédiction dans cet ordre à saint Dominique, lorsqu'il s'agissait d'une chose qu'on pouvait faire en temps et lieu convenables; à saint Arsène, lorsqu'il savait que ses habitudes et ses exercices n'en pouvaient pas souffrir; à saint Bernard, lorsqu'il jugeait qu'il n'en pouvait résulter aucun trouble, aucune inquiétude pour son âme. Dans les autres cas, il fuyait toujours et se renfermait dans le plus absolu silence.

Les étrangers l'appelaient-ils au parloir du couvent, il s'appliquait, 1o à les recevoir tous avec bonté; 2° à les satisfaire en peu de paroles; 3° à les renvoyer avec quelques consolations; 4° à se maintenir toujours dans

la modestie la plus parfaite, et à se préserver de tout ce qui pourrait troubler son repos en l'attachant au monde et aux créatures. Puis il retournait dans sa cellule, pur et tranquille comme il en était sorti. Son imagination n'y rapportait aucun fantôme, aucun souvenir des choses humaines; il semblait n'en avoir rien vu, rien entendu, parce qu'il ne s'occupait dans toutes les affaires que de ce qui pouvait intéresser le service de Dieu et le salut des àmes. On comprenait combien il aimait à se taire, en voyant avec quel soin il mesurait ses paroles et calculait leur effet, avec quelle attention et quelle vigilance sur lui – même il conversait et traitait avec les hommes.

XVII

De ses grandes mortifications.

Frère Henri était dans la fleur de sa jeunesse, d'une nature vive, ardente et fortement portée aux plaisirs ; il ressentait sans cesse les attaques et les combats de la chair, et pour la soumettre à l'esprit i inventa des pénitences si rigoureuses, si impossibles à imiter, qu'elles feront frémir le lecteur. D'abord il se revêtit. d'un cilice et se ceignit d'une chaîne de fer qui lui déchirait le corps. Il la garda jusqu'à ce que la quantité de sang qu'il perdait l'obligeât à la quitter; mais pour la remplacer il se fit une espèce d'habit tissu de cordes dans lesquelles étaient cent cinquante pointes de fer si

aiguës et si terribles, qu'appliquées sur la chair, elles la perçaient et faisaient autant de douloureuses blessures. Ce vêtement, avec lequel il dormait la nuit, lui couvrait et lui serrait les côtés et une partie des reins et du corps.

On ne peut dire le supplice qu'il endurait en été lorsque, épuisé par le voyage, la prédication ou la lecture, il étendait sur son lit ce corps tout haletant, tout couvert de blessures et tout dévoré par les vers qui s'engendraient dans sa chair et s'y nourrissaient de ses sueurs et de son sang. Aussi pendant la nuit il se contractait, se repliait sur lui-même, et, vaincu par la douleur, il se tournait tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, comme un ver que le fer a blessé. Quelquefois il se trouvait dévoré d'une si grande quantité de ces animaux dégoûtants et affamés, qu'il lui semblait être au milieu d'une fourmilière, et dans ce tourment il disait avec raison : « O Dieu, que cette mort m'est amère! si des <«< lions et des tigres me dévoraient, je mourrais sur-lechamp et d'un seul coup; mais avec ces vers qui me <«<rongent la chair et s'abreuvent de mon sang, je <«< meurs à chaque minute sans pouvoir jamais mourir « entièrement. »>

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Sa constance fut admirable: l'été et ses chaleurs, l'hiver et ses longues nuits, la fatigue et la violence de la douleur ne purent jamais l'ébranler et lui faire aban donner ou adoucir la rigueur de ses pénitences. Pour se priver de tous les adoucissements qu'il aurait pu se donner en touchant aux endroits malades, il se fit une espèce de collier d'où pendaient deux courroies ou plutôt

deux anneaux de cuir où il plaçait ses mains et ses bras pendant la nuit, et qu'il fermait et serrait ensuite avec un cadenas. Par ce moyen, ses poignets étaient tellement liés et enchaînés au cou, qu'il ne pouvait se servir de ses mains et se secourir lui-même, sa cellule eût-elle été toute en flammes; il passait ainsi la nuit, et c'était seulement lorsque paraissait le jour qu'il s'en délivrait en ouvrant le cadenas.

Il supporta ce martyre jusqu'à ce que ses mains, blessées par ces entraves, commencèrent à trembler et se paralyser; mais pour n'y rien perdre, il imagina deux gants grossiers comme ceux que prennent les paysans pour couper la vigne et les broussailles, et il les garnit de pointes de fer de telle manière qu'ils ressemblaient à des étrilles ou à des cardes. Il mettait ces gants la nuit, et si par hasard en dormant il voulait ôter son cilice, éloigner les pointes de fer et se soulager d'une manière quelconque, les vers, qu'il avait irrités par cet attouchement, le tourmentaient et le rongeaient plus que jamais.Souvent pendant son sommeil, en se grattant la poitrine et le corps, il se déchirait tant, qu'il semblait avoir passé par les griffes des ours. La chair de ses bras s'en allait en lambeaux, et tout son corps était rouge, sanglant et enflammé. Quand il était trop déchiré, et que les plaies couvraient les plaies, il se soignait pendant plusieurs jours; mais bientôt il rouvrait ses blessures en les touchant et les déchirant avec ses gants terribles. Ces souffrances ou plutôt cet affreux martyre dura seize à dix-sept ans, c'est-à-dire jusqu'au moment où, la nature ne pouvant résister davan

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