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permis de porter les lèvres à mon sein pour y savou<< rer mon lait virginal. Je t'ai fait la même grâce cette <«< nuit, et pour gage de cette faveur, tout ce que tu «< diras sera plus pur, plus fervent, et la foule accourra « pour l'entendre.» Le serviteur de Dieu répéta ces paroles de Marie au Bienheureux, qui s'écria en levant vers le ciel ses mains, ses yeux et son cœur: « Que a bénie soit cette source divine qui s'élance sans cesse du sein de Dieu même! Que bénie soit la Mère de <«< toutes les grâces, qui a bien voulu accorder un si grand bienfait à son indigne serviteur! » Le saint homme, son ami, ajouta : «Apprenez aussi que Jésus <«<et Marie ont bien voulu me visiter et me parler de << votre tendresse et amour. La sainte Vierge avait à la « main une coupe remplie d'eau; elle l'offrit à son fils <«<en le priant de la bénir. L'enfant Jésus la bénit, (( changea l'eau en vin, et dit: Jusqu'à présent, mon << serviteur s'est abstenu de vin et a souffert beaucoup de « la soif; à l'avenir, je veux qu'il boive du vin et qu'il «< rétablisse ses forces épuisées. De plus, je veux avec «< cette coupe pleine de mon sang le laver entièrement « pour guérir toutes ses plaies, le délivrer de ses croix « volontaires et en faire un homme selon mon cœur. » Frère Henri fut grandement consolé par la visite de cet ami, et se remit par obéissance à boire du vin comme il le faisait autrefois; il était alors si abattu et si usé par les rigueurs continuelles de ses pénitences, qu'il ne lui restait réellement plus qu'à mourir. Dans l'impossibilité de supporter davantage ces mortifications excessives, il les abandonna, après les avoir pratiquées pendant vingt

deux ans, c'est-à-dire depuis l'âge de dix-huit ans jusqu'à l'âge de quarante. Il y renonça parce que Dieu lui fit comprendre que toutes ses pénitences et ses combats contre ses sens et son corps, n'étaient point un grand progrès dans la perfection chrétienne, mais seulement un bon commencement, un acheminement vers la vertu, et qu'il fallait s'exercer d'une manière plus élevée, s'il voulait devenir parfait.

XXII

Comment le Bienheureux fut conduit par un ange à l'école d'une plus haute sagesse et d'une plus grande perfection.

Frère Henri se reposait donc de toutes ses souffrances corporelles, et souhaitait ardemment se conformer au bon plaisir de la volonté divine. Une nuit, après matines, étant assis dans sa cellule, il fut ravi en extase pendant qu'il méditait; il lui sembla voir venir à lui un ange sous la forme d'un ravissant jeune homme qui lui dit : « Frère Henri, il y a assez longtemps que tu étudies à « une petite école et que tu suis les basses classes; il << faut maintenant t'instruire à une école supérieure: << donne-moi la main, viens avec moi, et je te conduirai « à un maître d'une sagesse sublime. Ses leçons t'apprendront une science divine qui éclairera ton esprit, << donnera une véritable paix à ton cœur, et te fera heu<< reusement achever ce que tu as si heureusement <«< commencé. » Le Saint se leva tout joyeux, et prit la main du jeune homme, qui parut le conduire dans un

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pays spirituel, et dans une maison immense qui ressemblait à un couvent, et où demeuraient des hommes d'une intelligence merveilleuse. Il fut introduit par l'ange et reçu par tous avec une grande bonté. Le supérieur de cette réunion l'aperçut et lui dit avec un sourire: << Certainement ce nouvel arrivant deviendra un grand << maître dans la science que nous enseignons, pourvu « qu'il ait le courage et la constance de porter des << chaînes. >>

Henri, ne comprenant pas ces paroles, se tourna vers l'ange et lui dit : « Quelle est cette académie, et que << peut on y apprendre?» L'ange répondit : « La science << sublime de cette école est une abnégation parfaite de « soi-même, une résignation qui nous fait tellement <«< renoncer et mourir à notre volonté, que dans toutes <«<les circonstances où Dieu nous met par lui-même, << par les créatures, par le malheur et la prospérité, << nous nous efforçons de conserver notre courage et «< l'égalité de notre âme, en restant aussi indifférent «< que le permet la faiblesse humaine, et en n'ayant « d'autre but que celui de louer et d'honorer Dieu, « comme Jésus-Christ a loué et honoré son Père cé<«<leste. » Ces choses plurent beaucoup à frère Henri et il dit sur-le-champ qu'il voulait étudier avec ardeur, et vaincre toutes les difficultés pour apprendre à cette école une si haute sagesse. Il commençait déjà à se fatiguer et à entreprendre beaucoup de choses, lorsque l'ange l'arrêta en lui disant: « Cette science demande un « esprit tranquille, et oblige à un grand calme. Moins <«< on travaille, plus on avance, parce que la propriété

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« des actions empêche d'acquérir cette science, qui regarde uniquement l'honneur de Dieu. »>

L'extase cessa, et frère Henri, revenu à lui, réfléchit et trouva que tout ce qu'il avait entendu était conforme à l'Évangile de Jésus-Christ. « Jette les yeux sur toi-même, Henri, se disait-il; examine avec droiture l'intérieur de ton âme, et tu verras qu'avec toutes les afflictions et les pénitences que tu as choisies selon ta volonté, tu n'as encore rien fait, et que tout est à recommencer, parce que jamais tu n'as renoncé à toi-même; parce que jamais tu ne t'es livré à la main de Dieu afin de souffrir pour son amour toutes les peines extérieures et intérieures qui peuvent t'attaquer. Tu as toujours été comme un lièvre timide et peureux qui se cache dans un buisson et qui tremble, qui redoute la mort à la chute de la moindre feuille.

« Vois combien tu crains les persécutions des hommes, et tu es bouleversé quand tu rencontres des personnes qui te contredisent. Tu devrais te livrer volontairement aux injures et t'exposer à la mort, et tu prends la fuite; tu te caches au lieu d'aller au-devant du mal. Si on te loue, tu souris ; la joie anime aussitôt ton cœur et ton visage. Si on te blâme, tu t'affliges, et tu laisses paraître ton chagrin, même à l'extérieur. Il est donc bien nécessaire d'aller à une plus haute école de sagesse pour entrer dans la voie du Seigneur. Dieu éternel, s'écriait-il avec un profond soupir, comme je vois maintenant clairement la vérité! Hélas! hélas! quand mourrai-je à moi-même? quand m'abandonnerai je donc véritablement à Dieu? >>

XXIII

Comment frère Henri reçut d'un ange l'épée et les armes de chevalier.

Le bienheureux Henri avait, par l'ordre de Dieu, renoncé à ses rigoureuses pénitences, qui avaient usé et détruit ses forces. Sa santé délabrée commenpresque çait à reprendre et à reverdir; il pleurait de joie en se rappelant les cruelles et sanglantes chaînes qu'il avait portées pendant tant d'années, et il ne pensait pas aux maux qui pouvaient venir. « Soyez béni, mon Dieu, disait-il, voici l'hiver qui a passé, qui s'est éloigné: Jam hiems transit el recessit. Je vais maintenant vivre des jours tranquilles, sans combattre si durement; je calmerai ma soif avec l'eau et le vin, je coucherai sur un lit meilleur, et mon paisible sommeil ne sera pas troublé par toutes ces pointes de fer, qui souvent me faisaient soupirer après la mort comme après la fin de mon supplice. J'ai bien assez, j'ai même trop usé mes forces, je puis maintenant prendre du repos. »

Tout cela était le langage trompeur des sens, et il ne savait point encore ce que Dieu voulait faire de lui. Cette paix dura quelques semaines; mais un jour qu'il était assis dans sa cellule, et qu'il méditait sur ce texte de Job: «La vie de l'homme sur la terre est un combat (1), » il entra comme à l'ordinaire tout à coup en extase, et il vit

(1) Militia est vita hominis super terram. (Job, vii, 1.)

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