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<«<elle avec tout un bouquet. Ces croix font le mérite, « la beauté de ton âme. Ne crains pas que ce buisson

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d'épines et de fleurs arrête les rayons de ma grâce; « à travers les ombres de ces branches, ma lumière « t'arrivera en si grande abondance, que tu pourras, au « sein même de l'affliction, convertir beaucoup de pécheurs. >>

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Fortifié par les leçons d'en haut, frère Henri attendait avec résignation les croix que le Seigneur lui réservait. La solitude lui parut favorable à ces nouveaux combats; il résolut de fuir pendant dix ans la conversation de tous les hommes, et de vivre dans un entier isolement du monde. Au sortir de table, il courait s'enfermer dans son oratoire, n'allait jamais à la porte du couvent et ne sortait pas dans la ville pour voir et entretenir qui que ce fût. Il s'imposait, quand il marchait, le recueillement et la retenue la plus grande, ne levant jamais les yeux et ne les laissant errer sur la terre qu'à la distance de quatre ou cinq pas. Il fit peindre dans l'étroite cellule où il s'était emprisonné les images des saints Pères, avec quelques-unes de leurs maximes et de leurs pensées; mais à peine le peintre avait-il esquissé au charbon son ouvrage, qu'un mal très-grave lui vint aux yeux. Il eût été arrêté pendant plusieurs mois si le Bienheureux ne l'avait guéri sur-le-champ en touchant du doigt d'abord les images des saints Pères, puis les yeux de l'artiste.

C'est dans cette retraite, qu'il avait choisi pour conserver la paix, que commença précisément la guerre. vécut dans de tels combats et de telles afflictions intérieures, qu'il n'avait pas un instant de repos, et

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qu'il semblait que Dieu eût permis à tous les démons de l'enfer de le tourmenter le jour et la nuit. Un matin, se sentant malade, il crut devoir aller dîner à l'infirmerie pour manger un peu de viande, dont il se privait ordinairement; il y alla, dîna et revint à son oratoire; mais voici qu'une troupe de démons se présentèrent à lui, et l'un d'eux se mit à déclamer ce texte de l'Écriture: << Leur nourriture était encore dans leur bouche, et la «< colère de Dieu descendit sur eux (1). » Il ajouta : « Ce religieux est digne de mort, et je serai son bourreau. >> Il voulut le tuer; mais les autres démons ne s'entendirent pas sur les moyens de le faire souffrir davantage. Alors le démon qui en voulait au religieux lui dit: Puisque je ne puis t'ôter la vie, je te torturerai avec

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ce fer, et tu vas sentir autant de douleur et de tour<«<ments que tu as eu de plaisir à manger de la viande. »> Et lui mettant son fer dans la bouche, il lui déchira tellement les gencives, et lui causa un si grand mal de dents, que pendant trois jours il ne put absolument rien manger.

XXV

Comment Dieu instruisit le Bienheureux par l'exemple d'un jouteur.

Dans sa jeunesse, frère Henri désirait ardemment plaire à Dieu et mener une vie sainte, mais sans fatigue

(1) Adhuc escæ eorum erant in ore ipsorum, et ira Dei ascendit super eos. (Ps. LXXVII, 30.)

et saus douleurs. Dieu lui fit comprendre son erreur par le monde lui-même. Un jour qu'il allait prêcher, il monta sur un bateau pour traverser le lac de Constance. Parmi les passagers se trouvait un jeune homme richement vêtu. Frère Henri l'aborda et lui demanda qui il était et ce qu'il faisait. Le jeune homme lui répondit qu'il était maître d'escrime et de joute, et qu'il apprenait aux nobles et aux chevaliers à jouter et à combattre corps à corps. Ces joutes se faisaient devant les dames, et le vainqueur obtenait de la plus belle un anneau d'or pour récompense. Le serviteur de Dieu lui demandant quelques autres détails, il ajouta : « Pour obtenir cet <«< anneau d'or, il faut combattre sans jamais faiblir, supporter de nombreuses blessures, et recevoir les <«<coups de ses rivaux avec sang-froid, générosité et « courage. Il ne suffit pas de commencer, il faut sou<«tenir le combat jusqu'à la fin et montrer toujours aux «<< dames un visage joyeux, serait-il tout couvert de (( sang. Celui qui se plaint devient la risée de tous les << spectateurs. >>>

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Alors le serviteur de Dieu quitta le jeune homme et médita ces paroles pendant toute la nuit. Cet exemple le remplissait de confusion, et il disait en soupirant et en gémissant: «O Dieu! quelle leçon je reçois ! ces cheva<«<liers, ces hommes du monde, pour plaire à une « femme, pour en obtenir une frivole récompense << s'exposent à tant de fatigues, à tant de dangers! ne « serait-il pas plus juste que nous, serviteurs de Dieu, <«<nous supportions avec courage les peines les plus «dures pour gagner une éternité de jouissance! Sei

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<< gneur, vous avez bien voulu me compter au nombre « des soldats de votre sacrée milice. Divine Sagesse, « Miroir d'éternelle clarté, Image de Dieu même, Fleur « de beauté, Dame la plus gracieuse et la plus aimable, << vous qui régnez au ciel, oh! si je pouvais obtenir de <«< vous un anneau de chastes fiançailles, comme je supporterais volontiers tout ce qu'il vous plairait << d'ordonner! » Ces pensées faisaient couler ses larmes, et le remplissaient d'ardeur.

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Lorsqu'il fut arrivé au lieu de sa prédication, Dieu lui envoya de telles douleurs, qu'il tomba presque dans le désespoir. Ses amis étaient touchés de son état, et il oubliait déjà l'exemple des jouteurs et les résolutions qu'il avait prises; son esprit bouleversé se laissait aller à l'impatience. Pourquoi Dieu, disait-il, me traite-t-il ainsi! Le jour suivant, comme il priait au matin, son cœur entendit ces paroles : « Henri, où est donc ton humeur guerrière et ta valeur? Serais-tu un soldat inu«tile et poltron, un vrai chevalier de théâtre? Tu es joyeux dans la prospérité, mais quand le malheur << arrive tout est perdu, et tu te laisses abattre comme << une femme. Est-ce ainsi que tu veux acquérir de la <«<divine Sagesse l'anneau de son amour? Mais,

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Seigneur, répondait le Bienheureux, je puis bien « m'abandonner à vous et souffrir pendant quelque temps; mais les croix ne me laissent aucun relâche.

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- Mais aussi, l'anneau de gloire que je destine à mes << braves est un bien éternel. — Je le sais bien, et je me << repens de mon péché: puis-je cependant, au milieu << de mes afflictions, m'empêcher de pleurer et de gémir?

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O honte, ò bassesse de sentiments, tu veux donc << te montrer faible comme une femme! Que diront dans << le ciel tous les saints, qui te regardent? ne vois-tu pas « que tu vas devenir la fable de cette noble assemblée, << de tous les grands du paradis? Allons, essuie tes <«< larmes, montre un cœur et un visage contents; et << que Dieu, que les anges et les hommes ne le voient << jamais pleurer au sujet de tes croix. >>

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Le Bienheureux secoua son chagrin, la sérénité et le sourire reparurent sur son visage; il remercia Dieu de ses afflictions, et prit la résolution de ne se jamais laisser abattre dans ses épreuves.

XXVI

Des croix et des tentations intérieures de notre Bienheureux.

Ainsi qu'il lui avait été annoncé, les croix qu'il eut à supporter d'abord furent intérieures et très-pénibles. Les trois plus pesantes furent celles-ci : 1° une tentation continuelle contre la Foi et les principaux mystères. Plus il cherchait à la combattre par l'étude, et plus il en était tourmenté. Cette affliction dura neuf ans; on ne saurait dire les larmes qu'elle lui fit répandre pour obtenir le secours du Ciel. Mais enfin Dieu eut compassion de lui, le délivra et lui accorda une croyance claire et surnaturelle de tous les mystères de la Foi. 2° Une tristesse profonde qui pendant huit ans pesa sur son âme comme une lourde montagne. 3° Une tentation de désespoir.

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