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Le démon lui persuadait qu'il était réprouvé dans les décrets éternels, et qu'il aurait beau faire, toutes les bonnes actions imaginables ne pourraient le sauver de la damnation.

S'il se mettait en prière, s'il allait à l'église ou s'il assistait au chœur, les mêmes pensées désespérantes le poursuivaient, et toujours le démon le tourmentait en lui criant: << Malheureux, à quoi te sert donc ce que tu « fais pour le ciel, puisque tu es déjà maudit et que tu <<< mourras maudit? Comment veux-tu lutter contre un « décret du Tout - Puissant? pourquoi chercher à te << racheter de l'enfer? Souviens-toi que tu t'es rendu << dès le commencement coupable du crime de simonie, puisque tu es venu dans le couvent par intérêt et dans l'espérance de posséder des biens temporels. Ne sais«<tu pas que les choses saintes, et surtout la vie monas<< tique, demandent d'autres pensées? Avec un si crimi<< nel commencement, peux-tu prétendre à une bonne << fin? Sois donc mieux avisé; car c'est une grande folie « de faire le bien inutilement, et de supporter tant de fatigues pour n'en tirer aucun fruit. »

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Frère Henri souffrit cette tentation pendant dix ans, et son âme en fut tellement accablée, qu'il s'écriait parfois en gémissant : « Malheureux que je suis! que faire? « où me réfugier? Si j'abandonne le cloître et si je « retourne dans le monde, je suis damné; si je reste « ici, je ne me sauverai pas davantage. Mon Dieu, << mon Dieu! fut-il jamais créature plus à plaindre que << moi ! Pourquoi suis-je né, si je dois être toujours << malheureux? oui, malheureux dans le temps et mal

il gé

<< heureux dans l'éternité! » Il soupirait ainsi, missait, il frappait sa poitrine. Dans son doute et son désespoir, il ne trouva aucune consolation jusqu'au moment où il se décida à découvrir son état à Eckard, théologien d'une grande sainteté, qui le calma par ses conseils et le délivra enfin de cet enfer qu'il avait enduré pendant tant d'années.

Il ne convenait pas que cette lampe brûlât toujours dans l'obscurité, et que frère Henri vécût ainsi dans le silence et la solitude. Dieu lui fit connaître sa volonté par plusieurs révélations, et l'envoya travailler dans le monde au rachat des âmes. Il rencontra dans sa mission des croix sans mesure et sans nombre; mais aussi ses prédications gagnèrent à Dieu des âmes innombrables, comme l'apprit d'en haut une sainte religieuse qui était sa fille spirituelle. Elle vit frère Henri sur une montagne où il célébrait la messe. Il était entouré d'une grande foule qu'il avait convertie, et il priait pour ce peuple avec tant de puissance, qu'aucun ne devait être damné. Une autre fois elle le vit couronné de roses blanches et de roses rouges, et Dieu lui révéla que frère Henri, son serviteur, était arrivé à une haute sainteté par sa pureté intérieure et par les croix excessives qu'il lui avait envoyées pour en faire une image vivante de son Fils crucifié. Ainsi, fallait-il considérer comme des faveurs de la grâce divine les occasions continuelles de souffrir, les travaux, les persécutions, les calomnies, les mépris, les faux témoignages de tout le monde, les infamies, et le danger de mort auquel il avait été toujours arraché. Le diadème d'or dont on orne la tête des saints figure

la béatitude éternelle dont ils jouissent dans le ciel, tandis que la couronne de roses rouges que portait frère Henri représentait la grandeur de ses afflictions et le mérite de ses peines. Frère Henri fut délivré de ses travaux, et, pour le consoler dans ses douleurs, Dieu lui accordait des rapports continuels avec les anges, qui s'entretenaient familièrement avec lui, le fortifiaient et l'encourageaient d'une façon merveilleuse.

XXVII

De quelques-unes des persécutions que souffrit le Bienheureux.

Dès que le Bienheureux eut quitté la solitude pour travailler au salut des âmes, les persécutions des hommes vinrent l'assaillir en toutes sortes de manières et d'occasions. Un soir qu'il était agenouillé dans une petite chapelle, devant un crucifix en grande vénération parmi le peuple à cause des nombreux miracles qu'il avait opérés, il y fut aperçu seul et à une heure avancée, par une petite fille de sept ans. Lorsqu'il eut fini sa prière, il se retira à l'hôtellerie; mais, la nuit, des voleurs forcèrent la porte de la chapelle et la dépouillèrent entièment. Le matin, la nouvelle s'en répandit dans toute la ville et y causa une indignation générale. Le gardien de la chapelle chercha le voleur, et la petite fille qui avait vu la veille frère Henri devant le crucifix l'accusa du sacrilége. Malgré le peu de crédit qu'aurait dû trouver ce témoignage, on y crut, et tout le monde se déclara

contre le serviteur de Dieu. Le peuple, qui se laisse toujours guider plutôt par la passion que par la raison, ne chercha point à examiner la vérité et à obtenir l'aveu du coupable, mais ne s'occupa que du genre de mort qu'on devait lui infliger, chacun s'érigeant en juge et prononçant sur le châtiment que méritait un si grand

crime.

Quand le Bienheureux apprit que l'effervescence du peuple se tournait contre lui, il fut si affligé de se voir sur le point de perdre à la fois la vie et l'honneur, qu'il se plaignit à Dieu d'une accusation si infâme et si calomnieuse. «< Seigneur, s'écria-t-il, si vous m'envoyez des << souffrances, je les recevrai avec joie: mais pourquoi « voulez-vous que je perde l'honneur et la réputation? « Comment pourrai-je vous servir et travailler au salut « des âmes si je suis déshonoré et regardé comme un << voleur? J'aurais le courage de supporter toute autre << affliction, mais celle-ci est trop forte pour mon âme. >> Après cette prière, il se décida à se cacher dans cette ville jusqu'à ce que la tranquillité fùt revenue. Dieu vint à son secours, et le délivra heureusement de cette calomnie.

Frère Henri quitta ce lieu, et alla dans une ville voisine où cette accusation de vol s'était déjà répandue. C'était pendant le carême, et il arriva qu'un crucifix de marbre versa du sang par le côté. Ce miracle attirait un grand concours de peuple. Le Saint y alla, s'approcha du crucifix, recueillit du sang sur son doigt, et appela les assistants en témoignage de ce qui s'était passé, sans décider si c'était une chose surnaturelle ou feinte. On

commença à douter dans la ville au sujet de ce sang qui découlait du marbre; les opinions se partagèrent, et on finit par dire que ce religieux s'était coupé le doigt avec lequel il avait touché le crucifix, pour obtenir de l'argent et des aumônes. On l'accusa de supercherie, et les magistrats de la ville ordonnèrent qu'on le cherchât et qu'on l'emprisonnât pour avoir si indignement trompé le peuple. Frère Henri fut forcé de prendre la fuite, et le sénat lança contre lui une sentence qui promettait une forte somme à qui le livrerait mort ou vivant, et il ne fut en sûreté que lorsqu'il eut quitté le territoire de la ville.

On ne saurait dire tous les jugements téméraires et injustes que le peuple portait contre lui partout où il allait; si quelqu'un moins précipité ou mieux informé prenait sa défense et le disait innocent, tout le monde se soulevait avec tant d'acharnement, qu'on était forcé de se taire ou de laisser croire à la calomnie. Sans cesse frère Henri était soumis à de nouveaux outrages. Une personne respectable qui savait combien ces mauvais traitements étaient injustes, et qui se sentait émue de compassion, l'engageait à se justifier près du sénat, et à obtenir des attestations légales de son innocence avec lesquelles il pût sauver son honneur. Frère Henri répondit: «Si je ne recevais pas de Dieu d'autres croix « que celle-ci, peut-être pourrais-je me défendre << avec des lettres du sénat; mais j'en reçois de sem« blables en si grand nombre, que je ne veux faire autre «< chose qu'obéir et souffrir. Je remets ma cause entre « les mains de Dieu sans résister ni me défendre. »

« EelmineJätka »