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logiquement successifs. et toutes les confusions théoriques qui en ont résulté.

En donnant, pour finir, un aperçu de la nouvelle législation allemande sur les successions aux dettes accessoires aux transmissions d'actif, nous verrons comment, en consacrant le principe de la succession aux biens, elle a mis fin à cette anomalie historique, qui a servi, pendant si longtemps, comme de seconde transition entre la conception personnelle et la conception patrimoniale de l'obligation, et comment elle marque, ainsi, le terme d'une évolution, qui, au moins pour les transmissions universelles, devrait être achevée depuis longtemps.

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Depuis qu'on s'est avisé de considérer l'idée de continuation de la personne plutôt comme une fiction traditionnelle que comme une idée scientifique, on lui a attribué deux origines différentes, dont on a essayé de superposer l'explication, mais qui, à l'analyse, paraissent bien inconciliables; et dont la première, si vraisemblable qu'elle puisse sembler, au premier abord, doit, à notre avis, être considérée comme inexacte.

On a commencé par attribuer l'origine de l'idée de continuation de la personne à la copropriété, et à l'organisation unitaire primitives de la famille. Cette hypothèse fut émise pour la première fois, croyons-nous, par M. Accarias. Tous les membres de la famille étant copropriétaires, et leur personnalité venant s'absorber dans un seul sujet juridique représenté par le chef de famille, il n'y avait pas, disait-on, à proprement parler, aux débuts de l'histoire, de transmissions à cause de mort. La mort du chef de famille laissait ses biens à la famille, comme elle lui laissait sa personnalité. Il ne mourait avec lui qu'un représentant; son successeur,dès lors, n'héritait que de sa fonction; il devenait simple gérant à sa place. Il lui

succédait, comme un roi vient après un roi dans l'Etat ; et s'il était tenu de répondre des dettes de son prédécesseur, c'est, qu'en réalité, c'était la famille et non luimême que celui-ci avait obligé, en s'obligeant; de même que c'était la nation que le roi obligeait sans obliger; el il en répondait, dès lors, au nom de la famille, comme la nation, par l'intermédiaire de tous ses représentants successifs, devait répondre de tous les engagements que leurs prédécesseurs avaient pris pour elle (1).

Quand la propriété individuelle avait succédé à la propriété familiale, quand l'individu s'était substitué, comme sujet juridique, à la personne morale de la famille, les dettes auraient dû, évidemment, puisqu'intransmissibles, s'éteindre avec le débiteur; mais l'habitude était prise; et, cette désagrégation s'étant faite insensiblement, l'on s'était laissé aller à garder les résultats acquis, en substituant, peu à peu, et de plus en plus, la fiction à la réalité ancienne, et en continuant à dire, comme on disait autrefois, que l'héritier représentait la personne du défunt.

Cette thèse, appuyée sur toutes les présomptions qui font admettre généralement la copropriété primitive à Rome, sans être contredite par tout ce que l'on sait sur l'organisation autoritaire de la famille patriarcale, et sur les pouvoirs presque illimités de son chef, a paru,pendant longtemps, indiscutable.

Mais, au fond, basée, en même temps que sur la copro

(1) Accarias, Précis de droit romain, t. I, no 76.

priété primitive, sur l'intransmissibilité primitive de l'obligation, cette théorie était contradictoire, puisqu'en réalité elle supprimait cette intransmissibilité.

Aussi, depuis que l'on a été amené à considérer cette intransmissibilité comme un fait indiscutable, a-t-on dû à peu près y renoncer. De vrai, c'était bien plus une con'struction logique, qu'une hypothèse historique consciencieusement établie sur des faits précis, et ce qu'elle avait d'harmonieux et de cohérent suffirait à dénoncer son caractère artificiel.

En réalité, il est bien probable que si la copropriété primitive a jamais existé à Rome, c'était dans un temps où l'obligation, à proprement parler, et le crédit, n'existaient pas encore; où les promesses pouvaient valoir, tout au plus, comme engagements d'honneur, comme serments envers la société, ou envers les Dieux, mais où elles n'avaient aucune sanction civile (1). Les conséquences délictuelles qu'entraînait peut-être leur violation, devaient frapper, dès lors, la personne, et non le sujet juridique, l'individu et non la famille. Les premiers modes spéciaux de contracter, le nexum et la sponsio, sont vraisemblablement d'une époque postérieure. En tout cas, la nature de leur sanction, qui paraît, encore, avoir été, à l'origine, purement délictuelle et corporelle (2) devrait amener aux mêmes conclusions. Aussi bien, trouve-t-on,

(1) Gaudemet, op. cit., p. 156.

(2) Voir Gaudemet, op. cit. pour la « sponsio », p. 164, pour le « nexum » p. 175,

dans le droit postérieur, des indices, qui permettent d'affirmer que les obligations ne passaient pas primitivement aux héritiers, ni au titre actif, ni au titre passif (1). Et il faudrait admettre, alors, qu'il y ait eu, entre la transmissibilité primitive, due à la constitution de la famille, et la transmissibilité postérieure, une solution de continuité qui les explique: supposition invraisemblable, et qu'il n'est venu à l'idée de personne de faire.

Ainsi donc, l'intransmissibilité primitive de l'obligation, qui est aujourd'hui universellement admise, contredit l'explication de M. Accarias et oblige à considérer l'idée de continuation de la personne, aussi bien que la transmissibilité des droits personnels, comme des produits

(1) Voir Esmein, Courtes Etudes, Nouvelle Revue historique, année 1887, sur la prohibition des stipulations post mortem, l'extinction par la mort du sponsor et du fidepromissor, l'intransmissibilité passive des actions ex delicto, et l'intransmissibilité active et passive des actions vindictam spirantes. Voir aussi Cuq, Recherches historiques, sur le testament per æs et libram, Nouvelle Revue historique, année 1886, p. 542 à 552, et Institutes juridiques, p. 692 à 702. Girard, Manuel, deuxième édition, p. 867. Pour le droit comparé, V. Gaudemet, op. cit., p. 159 et suiv.

La restriction faite par M. Cuq quant aux obligations résultant du nexum, nous paraît seulement, comme elle a paru à M. Esmein, une restriction dangereuse. Elle risquerait de ramener, en partie, à cette espèce de contradiction que contenait l'hypothèse de M. Accarias. Etendue aux héritiers externes et fondée sur la nature en quelque sorte, universelle de la domus, elle semble, comme l'a indiqué M. Gaudemet (op. cit., p. 38, no 4), en contradiction avec la nature primitive de l'obligation. Restreinte aux heredis sui, et fondée à la fois sur les effets de la damnatio et de la potestas, elle ne prouve pas,comme l'a montré M. Esmein, que l'effet de la damnatio sur les sui ait subsisté après la mort du chef de famille, puisque cette mort les libérait de la potestas. En tout cas, la restriction se limiterait-elle aux obligations issues du nexum.

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