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aurait fallu constater, dans le premier cas, que l'universalité, telle qu'on la concevait, se séparait de l'idée de vocation à un tout indéfini, et se confondait avec le titre de l'héritier, comme il aurait fallu, dans le second, s'apercevoir que si la dette n'a pas besoin, dans une hypothè se, de la continuation de la personne, pour s'exercer sur l'actif successoral, elle n'en a jamais besoin... Le caractère patrimonial répudie le caractère personnel. La succession aux biens exclut la succession à la Personne... Mais la doctrine classique était assez forte, déjà, de sa belle harmonie interne pour défier toute contradiction (1). Aussi bien, est-ce à Rome, sous les auspices de la succession personnelle, que s'est consacré l'adage non sunt pecunia nisi deducto ære alieno, qui, dans l'ancien droit, devait servir d'épigraphe aux théoriciens de la succession aux biens; de même que c'est à Rome, dans le berceau de l'idée d'universalité fongible et indéfinie, que les auteurs coutumiers devaient trouver de quoi justifier la vocation universelle des héritiers aux propres, appelés à certains biens, à cause de leur nature, et de leur origine particulières.

(1) Les transmissions à titre universel réalisées par les acquisitions des pécules des fils de famille et des esclaves, par les père et maître, étaient des successions aux biens.

II

ANCIEN DROIT.

Car tels sont les deux faits qui dominent l'histoire de la notion d'universalité et de la succession aux dettes dans l'ancien droit. D'une part, l'impossibilité de faire des héritiers testamentaires, et d'autre part, la vocation particulière des héritiers ab intestat. Deux incidents imprévus, qui viennent contredire toute la théorie classique romaine, et qu'on voudra, sans y parvenir, y faire entrer de force; et double source intarissable de contre-sens d'interprétation et d'équivoques théoriques; mais aussi, anomalies fécondes qui, en contraignant à déformer les moules romains, vont faire jaillir,justement, de leurs difformités logiques, toute la théorie de la succession aux biens, avec, d'une part, la limitation à l'actif successoral de l'obligation aux dettes, et, d'autre part, la saine distinction entre héritiers et légataires, basée sur le titre, et non sur la vocation.

Bien qu'ils soient intimement liés en plus d'un point, pour diviser la difficulté, nous les examinerons l'un après l'autre. Nous commencerons par chercher les conséquences qu'avait, au point de vue théorique, la distinction coutumière des biens, d'après leur nature et leur origine.

Puis nous étudierons celles qu'a engendrées la règle << Institution d'héritier n'a lieu ».

La distinction des biens, au premier abord, semblerait devoir supprimer la fongibilité des éléments du patrimoine; supposant que tous ses éléments viennent se fondre dans un tout homogène, où ils perdent leur individualité, le caractère fongible paraît s'opposer à ce qu'ils y conservent aucun signe distinctif; mais il n'y a là qu'une apparence; la fongibilité ne serait en question, que si la distinction concern ait les dettes. Or, cela n'était exact que dans quelques coutumes isolées, comme celle de l'Auvergne, où, à côté de l'origine des immeubles, l'on tenait compte de l'origine des dettes (1). En réalité, l'ensemble des dettes s'exerçant également sur tous les biens quelconques, meubles et immeubles, propres et acquêts, pour le montant de leur valeur pécuniaire, le caractère fongible subsiste. Et l'on se trouve exactement dans l'hypothèse que nous avons discutée dans notre critique théorique à propos de la distinction entre l'Universel et le Particulier (2), celle où il n'y a d'appelés que des successeurs particuliers. « Le fongible s'entend aussi bien du Particulier que de l'Universel mais non l'indéfini. » Telle est la vérité. La distinction des biens laisse son abstraction au patrimoine, mais elle lui ôte la possibilité d'être jamais, dans son total, ni dans ses parties, une substance indéfinie. Or, cela est, nous l'avons vu, le cri

(1) Pothier, ch. V, art. 2, sect. I, al. 2.

(2) Voir plus haut, page 120.

térium de l'idée classique d'universalité. Si bien que tous les héritiers aux propres de l'ancien droit, c'est-àdire à peu près tous les héritiers de l'ancien droit, étaient des successeurs à titre particulier.

Lebrun, à propos d'un point spécial, celui de la vocation des mâles aux fiefs en ligne collatérale, semble s'en être rendu compte (1). Mais il aurait pu faire à propos de tous les héritiers la remarque qu'il a faite là, à savoir <«< que la loi semblait faire le titre universel, de ce que, comme il disait, la volonté aurait fait « le titre particulier ». Cette remarque est encore vraie de nos jours pour le droit de l'ascendant donateur, qui n'était au fond qu'un successeur aux propres privilégié (2). Pour comprendre comment ni lui, ni les auteurs coutumiers ne s'en sont aperçus, il faut se reporter au culte aveugle qu'inspiraient les formules romaines. Le jurisconsulte qui aurait parlé d'héritier à titre particulier aurait passé pour avoir accouché d'une monstruosité. On aurait dit que c'était un fou ou un ignorant. On l'aurait assommé à coup de Digestes. Des mots, pour des mots. Et cependant la façon dont on expliquait la distinction des biens n'était au fond, au point de vue romain, pas moins hétéroclite. Seulement on y retrouvait les expressions romaines. Peu importait dès lors, qu'ainsi employées, elles fussent vides de sens.

On disait couramment que chaque espèce, chaque ori

(1) Lebrun, Successions, liv. IV, ch. II, sect. III, p. 2. (2) Lebrun, Successions, liv. I, ch. 5, sect. II, no 49.

gine de biens, constituait un patrimoine distinct. Ainsi se trouvait justifiée la vocation universelle de ceux qui y étaient appelés. Une infinité de patrimoines avec un seul passif, et tout le monde trouvait cela très naturel. Chaque patrimoine représentait, pour le tout,la personne du défunt. Les choses allaient toutes seules.

La distinction des différents patrimoines se retrouve chez tous les auteurs, et un peu pour tout; on l'affirmait bien haut, chaque fois qu'on avait à tirer des conséquences de la nature différente des biens, ainsi à propos de l'incompatibilité des qualités (1) d'héritier et de légataire, à propos de la fixation distributive de la (2) réserve des quatre quint; et, comme les conséquences pouvaient paraître justes, d'ailleurs, le principe passait pour indubitable. Aussi bien ceux qui la niaient tombaient-ils, comme Ricard (3), dans d'autres impossibilités et d'autres invraisemblances, en voulant reconstituer, à tout prix, la nature indéfinie du patrimoine unique, à l'hérédité coutumière.

Il aurait fallu s'avouer qu'il y avait là un cercle vicieux dont on ne pouvait sortir qu'en répudiant les doctrines

(1) Renusson, Propres, ch. III, sect. XI, p. 19 et 20; Pothier, Successions, ch. IV, art. III, sect. II; Dumoulin, sous l'article 92 de la coutume de Montfort; Commentaire sur la coutume de Paris, article 121, nos 10 à 22.

(2) Bourjon, Droit commun, t. II, p. 316; Ricard, Traité des donations, ch. 10, sect. I, no 1450; Lebrun, Successions, II, ch. IV, p. 28; Renusson, Traité des Propres, ch. III, sect. III, no 27.

(3) Ricard, Donations, 1re partie, ch. III, sect. XV, no 684; de même, d'Argentré, Commentaire de la coutume de Bretagne, article 218, glos. 9, n° 14.

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