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adaptée à un fait ancien. En fait, il y a longtemps que l'obligation, créance et dette, est transmise à l'héritier. Mais, jusqu'à présent, elle est restée, au moins pour la dette, théoriquement intransmissible. Elle ne lui passait que moyennant une fiction. C'est cette fiction, conservée des époques primitives, cette contradiction obstinée de l'interprétation devant les résultats acquis que la succession aux biens supprime, et que nous étions appelé à juger.

Nous n'avons pas cru qu'il suffisait, pour le faire, de dénoncer, d'une façon générale, le vice de méthode que réalise le procédé. Nous nous sommes attaché, en faisant l'analyse des trois notions par lesquelles on a cherché à en justifier l'emploi, celle du rapport de droit, celle de l'obligation et celle du patrimoine, à montrer comment la préoccupation conservatrice initiale qui le caractérise, a conduit à fausser peu à peu, et de plus en plus, ces catégories fondamentales du droit, en leur attribuant une nature purement personnelle, et à vicier, ainsi, toute la charpente de la systématisation classique. Nous avons insisté particulièrement sur la théorie traditionnelle du patrimoine. Nous nous sommes efforcé de mettre en lumière sa facture, selon nous, tout artificielle. Il y a là, croyons-nous, une constatation de première importance, et qui est seule capable de faire sortir de l'idée de succession aux biens toutes les simplifications qu'elle comporte.

Cette critique théorique appelle sans doute des con

clusions pratiques; la plupart sont du ressort de l'interprétation pure. En terminant une courte esquisse historique, où nous avons cherché l'origine et le rôle de l'idée de continuation de la personne dans le droit romain et l'ancien droit, nous avons donné, pour finir, un aperçu de la nouvelle législation allemande sur les transmissions successorales. Sans prétendre qu'il soit indispensable, ni même désirable, de la copier en tous points, nous pensons qu'il y aurait peu de peine, et d'incontestables avantages à s'approprier la notable simplification théorique et pratique qu'elle réalise. L'intervention législative nécessaire serait minime auprès du progrès scientifique et économique obtenu.

Cette étude s'est surtout donné pour tâche de faire ressortir les raisons de ce progrès, et de réduire les préjugés, qui, dans la pensée classique, sont de nature à l'entraver.

SUR

L'IDÉE DE CONTINUATION DE LA PERSONNE

considérée comme principe des transmissions à titre universel

INTRODUCTION

I

CARACTÈRE TRADITIONNEL DE L'IDÉE DE CONTINUATION

DE LA PERSONNE.

Les très vieilles idées sont comme les très vieilles choses. Elles s'imposent aux habitudes et l'on ne peut plus s'en détacher. On a beau, la plupart du temps, les sentir vermoulues, hors d'usage, les trouver surannées, très passées et un peu ridicules, il s'est attaché à elles, depuis si longtemps qu'elles existent, quelque chose de plus fort que ces apparences, et que l'opinion même qu'on en a, et qui fait que malgré tout on s'en sert et qu'on les garde : c'est le prestige de la tradition.

L'idée de la continuation de la personne, entre toutes,

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jouit de cette autorité que donnent les poussières anciennes. Il n'y a guère de personne qu'elle ne choque, et il n'y en a peut-être pas qui pense qu'elle corresponde à quelque chose de réel, mais tout le monde l'accepte et l'emploie.

Elle est consacrée par sa vétusté.

Chaque génération la reçoit de celle qui la précède, et il semble qu'elle devienne plus forte à mesure qu'elle vieillit. A force de vieillir elle a usé tous les étonnements, toutes les ironies, toutes les impatiences.

Il semblerait presque qu'on retardat à vouloir la chasser une bonne fois pour toutes de l'interprétation du droit... A quoi bon s'acharner contre une si faible, une si pauvre vieille chose?... A qui fait-elle du mal?... Qui est-ce qui en est dupe?... Il y a bien longtemps que personne n'y croit plus... En attendant, l'idée garde son rang, jouit, malgré le dédain, peut-être, qui sait, à cause du dédain, de toute l'influence qu'il lui donne. Tout le monde, à l'occasion, et les occasions ne manquent pas, s'adresse à elle sans scrupules. Nonchalance en même temps et faiblesse atavique. Les efforts et les violences de dialectique où l'on serait entraîné, s'il fallait y renoncer et la remplacer, effraient; il est commode après tout de paraître persuadé par ceux qui tentent de la réhabiliter et de lui donner une portée scientifique; c'est la raison du succès persistant d'une théorie comme celle de MM. Aubry et Rau. L'on ne croit guère à sa vérité absolue, mais l'on est heureux d'y rencontrer, sous une

apparence de logique impeccable, la consécration d'idées avec lesquelles on a été élevé, dont certaines, comme la nôtre, paraissent sans doute irréelles et arbitraires, mais qui empruntent à cet ensemble magistral une autorité actuelle suffisante pour conserver tout leur ascendant traditionnel.

Il ne faut pas s'y tromper d'ailleurs, l'ascendant de l'idée de continuation de la personne, fait d'autorité et de séduction, et, pour cette raison, plus enveloppant qu'on ne pense, est très complexe. C'est encore un privilège des idées qui ont beaucoup servi, de s'être peu à peu accrues, en descendant les générations. Les années leur ont fait perdre leur netteté, mais elles les ont enrichies de sens multiples. Les idées, à force de rouler, ont fait boule de neige. Et, sous les expressions anciennes, il foisonne à la fin tout un contenu nombreux, enchevêtré, inextricable, et qui est plein de charmes parce qu'il est plein de mystères. L'idée de continuation de la personne plaît par son mystère ancien. Peu à peu, depuis si longtemps qu'elle existe, il s'est attaché à elle comme une superstition inconsciente. Le droit s'en servait comme d'un procédé technique, mais, sans qu'on s'en rendit compte peut-être, on y attachait une autre valeur que celle d'une fiction doctrinale, une valeur, comme on dit aujourd'hui, ésotérique, qui lui donnait, semble-t-il, une signification sociale, et une portée autrement large, philosophique et profonde. La continuation de la personne... ne semblait-il pas qu'il y avait dans cette formule tout

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