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cette raison, elle est, au même titre que la continuation de la personne, un succédané secondaire de la qualité d'héritier. Qu'on reconnaisse les continuateurs de la personne à la saisine, cela paraît assez ingénieux. Tous les successeurs saisis sont héritiers, et tous les héritiers, suivant l'idée traditionnelle, sont représentants du défunt; tous les successeurs saisis seront donc continuateurs de la personne. Mais qu'on ne vienne pas établir entre les deux qualités une liaison de cause à effet ; cela serait tout artificiel; la survivance coutumière n'a rien à voir au préjugé romain, et la systématisation obstinée qui les grefferait l'une sur l'autre serait gratuite; naturellement elle a été faite.

Mais, la plupart du temps, elle se montre sans conséquence pratique, une déclaration platonique. Il y a, cependant, au moins un cas où elle entraîne des effets détestables (1). C'est dans le cas que nous avons signalé, où plusieurs légataires à titre universel absorbent la totalité de la succession, où la réunion des fractions de l'universalité auxquelles ils sont appelés, forme le total de l'universalité. Le cas n'est pas réglé par la loi; on a recours aux principes, et c'est à l'idée de continuanation de la personne qu'on prétend faire trancher la difficulté. La personne, dit-on, est indivisible, les légatai

(1) Ne saurait être considérée, à notre avis, comme une conséquence directe de cette conception de la saisine le fait que les héritiers réservataires resteraient tenus du total des dettes, même après la délivrance des legs universels. L'idée de continuation de la personne pourrait y amener toute seule.

res à titre universel ne sauraient la représenter pour partie, donc ils ne peuvent pas être saisis. Ce sera l'héritier non réservataire exclu, qui sera saisi, pour le tout, de la succession dont il est exclu pour le tout; ou, à défaut d'héritier appelé, il faudra faire nommer un curateur à succession vacante (1); un pareil résultat se passe de commentaires. Il critique tout seul le principe qui le produit, et suffirait pour le faire rejeter. Nous avons vu, pourtant, que c'était, au milieu de tous les autres, un de ses moindres inconvénients pratiques.

IV

CARACTÈRE PUREMENT THÉORIQUE DE LA CRITIQUE.

Le plus grand, celui qui doit attirer surtout l'attention, à notre avis, est celui de la transmission ultra vires des dettes. Non seulement il est pratiquement détestable, mais c'est lui que le principe produit le plus directement, et qui, au fond, est sa raison d'être. Il devient ainsi la cause indirecte de tous les autres; non seulement de ceux qu'on fait sortir directement de l'idée de continuation de la personne, mais de tous ceux que produisent d'autres idées connexes, dont elle est solidaire, et qu'elle entretient par sa vitalité persistante, de tous ceux, par exemple, qu'on tire de l'idée de personnalité

(1) Aubry et Rau, t. VI, § 64, 1, note 6.

du patrimoine. Au milieu de toutes ces idées, qui se tiennent les unes les autres dans des rapports étroits de cause à effet, la succession uttra vires nous apparaît comme la cheville ouvrière qui tient toute la systématisation en équilibre, et à laquelle il faut porter la main, pour jeter tout l'édifice par terre.

Et il faut alors dégager notre critique du scrupule d'être surtout une critique législative. Ne semble-t-il pas, en effet, au premier abord, que la succession ultra vires étant consacrée par la loi, tout ce qui se rapporte à elle, l'idée qui l'explique, et toutes celles qui la justifient, participe de cette autorité, et qu'on ne puisse pas discuter tout cet ensemble, sans discuter la loi ? Il faut bien avouer qu'il y a là, tout au moins, un préjugé courant (1). Toute interprétation juridique, d'habitude, se donne comme interprétation légale ; légaux, les principes supérieurs qu'on va chercher au-dessus des dispositions concrètes; légales, les conséquences qu'on en tire, et légales aussi, toutes ces vastes constructions logiques dans lesquelles on les fait entrer pierre à pierre... La systématisation dont fait partie notre principe n'échappe pas à cette tendance; mais par son origine très ancienne, elle n'échappe pas davantage à une autre tendance, aussi fâcheuse, de l'interprétation classique, celle qui attribue aux catégories traditionnelles une exactitude rigoureuse et une portée scientifique absolue, de sorte qu'elle se

(1) Gény, Méthode d'interprétation, p. 61 et suivantes.

présente, tout à la fois, sous la double autorité de la loi et de la science; doublement forte de ces deux impératifs, et qu'il semble alors, non seulement qu'on ne puisse pas y déroger sans violer la loi, mais encore qu'on ne pourrait pas changer la loi qui la consacre, sans violer des principes supérieurs (1) qui s'imposent à toutes les lois, parce qu'ils sont éternellement vrais et éternellement justes. On a su très bien montrer, à notre avis, la double exagération que contient ce préjugé. D'une part, l'exégèse des textes, pour garder dans toutes ses parties leur autorité, doit être infiniment prudente et humble, et se contenter, dans son travail, en quelque sorte d'extraction et de concassage, des plus humbles procédés logiques, le plus souvent d'une simple analyse grammaticale de leurs formules. Une prescription légale comme celle de l'obligation ultra vires des dettes ne va pas plus loin que sa lettre. Toute la systématisation théorique qu'on échafaude sur elle, régression à des principes supérieurs tels que ceux de la personnalité de l'obligation, de la personnalité du patrimoine, déductions indéfiniment poussées tirées de ces principes, y échappe. De près ni de loin, ce n'est plus la loi, c'est un travail personnel de l'interprète, qui peut avoir plus ou moins de valeur pratique ou théorique, mais qui, dans tous les cas, tire de lui-même tout ce qu'il peut valoir: son point de départ ne lui ajoute rien. Il ne faut pas se payer de mots, l'ensemble

(1) Gény, Méthode d'interprétation, p. 128.

des dispositions légales, les codes, se présentent comme une collection de formules sèches, obligatoires dans leurs strictes prévisions,mais non pas, comme l'ont trop pensé les civilistes du dernier siècle, forcément complets et suffisant à tout. Une fois leur contenu littéral dûment extrait, s'il paraît encore qu'ils laissent des lacunes, si le besoin se fait sentir de les féconder par des raisons plus larges, ce n'est plus en eux qu'on peut puiser, car il n'y reste rien, il faut se tourner vers l'extérieur. L'on fait alors, même quand on ne veut pas l'avouer, de l'interprétation libre.

Cela est tellement vrai,que ceux qui présentent comme des idées légales, des idées comme celles de la continuation de la personne, comme celles de la personnalité de l'obligation ou du patrimoine, réclament en même temps pour elles une valeur scientifique propre. Ils devraient cependant s'apercevoir, qu'entre les deux, il faut choisir. L'on ne peut pas prétendre rencontrer indéfiniment, toujours réunies, la loi non écrite, et la vérité scientifique. Si donc l'on prétend à une vérité scientifique continue, c'est qu'on l'a cherchée pour elle-même, en dehors de la loi. Et l'on voit bien alors, qu'en réalité, encore une fois, il n'y a pas de loi non écrite.

C'est en vain, en particulier, qu'on voudrait la chercher dans la volonté présumée du législateur, dans la pensée non exprimée qui a édicté la loi. Peu importe, par exemple, que, dans notre cas, l'idée de continuation de la personne ait poussé probablement les législateurs à la

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