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gères, le patron ayant déclaré qu'il ne pouvait faire de concession et jugeait inutile de tenter une conciliation, congédia tout le personnel de ses deux usines et annonça l'intention de transférer sa fabrication à Arpajon (Seine-et-Oise). Les ouvriers s'adressent alors au président du Conseil et, sur l'invitation de celui-ci, le préfet d'Ille-et-Vilaine entame des négociations avec M. Doussin pour obtenir la réouverture de ses établissements (1) ».

Mais c'est surtout dans la lettre adressée par le Comité de la grève du Creusot pour demander à M. Waldeck-Rousseau d'accepter la fonction d'arbitre que cet état d'âme des ouvriers vis-à-vis du Ministère se manifeste d'une façon à la fois très claire et très curieuse (2):

« Monsieur le Président du Conseil,

Depuis plus de vingt jours, et pour la seconde fois, nous sommes acculés à la grève par M. Schneider.

Debout pour défendre ici les réformes républicaines, et, confiants dans la grande promesse que la République a apportée au monde, nous résistons au nom de la liberté syndicale et de la liberté de conscience.

Nous sommes toujours résolus au calme, qui est la manifestation de la force, et cette force nous vient non seulement de la noble cause dont nous sommes les champions, mais des sympathies ardentes du prolétariat et de l'appui persistant des démocrates, de l'assurance dont nous avons donné chaque jour le gage que jusqu'au bout nous vous soutiendrons...

(1) Statistique des grèves, 1900, page 331. (2) Statistique des grèves, 1899, page 306.

Nous avons à cœur de faire éclater même aux yeux des plus prévenus, en un débat précis, l'excellence de notre cause, et surtout nous avons à cœur de ne pas prolonger en ce moment dans la République, un conflit douloureux et passionné.

Certains que le gouvernement ne peut pas, sans s'abandonner lui-même, laisser mutiler les droits qui furent pour le peuple l'incomplète rançon de ses efforts; certains que la liberté syndicale et la liberté de conscience, violées depuis tant d'années, en nos personnes, n'auront pas de meilleurs défenseurs que ceux-là mêmes qui après tout, ont intérêt à ce que la République remplisse sa mission, nous venons déposer entre vos mains, notre juste cause. Nous sommes prêts, par l'organe des délégués déjà choisis, à formuler devant la France républicaine tous nos griefs... Pour le comité de la grève, CHARLEUX.

Ainsi ce n'est seulement parce qu'il y a au Ministère un Ministre « socialiste », que les ouvriers ont confiance dans l'intervention du gouvernement et y font appel, c'est aussi parce qu'ils se persuadent, que tout gouvernement fermement républicain, tout Ministère à programme nettement démocratique doit nécessairement, et, par cela même, se montrer favorable aux revendications ouvrières.

Malheureusement ces espérances furent fréquemment déçues. Le plus souvent les ministres ne peuvent rien pour les grévistes. Le cas suivant est significatif (1): « L'annonce d'une interpellation à la Chambre des députés, sur les grèves de mineurs, fit espérer

(1) Statistique des grèves, 1900, page 574.

aux mineurs de Saint-Eloy, que le gouvernement serait amené à intervenir en leur faveur, et qu'il pourrait imposer aux Compagnies, les conditions nouvelles du travail qu'ils réclamaient, mais, dit la statistique, mélancoliquement, après la discussion de cette interpellation qui n'eut lieu que le 8 mars (les mineurs étaient en grève depuis le 8 décembre), les mineurs durent reconnaître qu'ils s'étaient fait illusion, sur les pouvoirs du gouvernement en matière de grève, et la reprise du travail fut décidée pour le lundi 11 mars >>.

Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que la présence de M. Millerand au pouvoir, l'existence du ministère Waldeck-Rousseau pendant les années 1899, 1900 et 1901, a facilité l'éclosion d'un certain nombre de grèves, mais elle ne les a pas déterminées. Certes, la classe ouvrière a eu l'espérance qu'un gouvernement démocratique ne gênerait point la manifestation de leurs. griefs, n'entraverait point leurs organisations, et que dans le conflit entre le capital et le travail, il observerait la neutralité. La cause économique cependant, reste la cause principale, la cause génératrice des grèves. C'est dans la situation économique de la France, dans l'état de l'industrie française à cette époque, qu'il faut voir la cause de l'augmentation des grèves. Il est et il restera toujours impossible à un gouvernement, quel qu'il soit, de provoquer un grand nombre de grèves, quand l'état économique ne s'y prêtera point, pas plus du reste qu'il ne lui serait possible, dans l'état actuel de notre législation, bien entendu, de les en

rayer (1). Le phénomène de grève est la conséquence naturelle et nécessaire de l'organisation économique moderne, de l'industrialisation croissante qui la caractérise (2).

« De même, écrit M. Swiedland, que le nombre absolu des grèves oscille suivant les saisons, de même il varie suivant les années et dépend d'influences sociales particulières, aussi bien que de l'état de l'industrie en général. Le nombre des grèves varie avec l'état du marché (3). »

Il est facile de vérifier encore cette conclusion à laquelle nous sommes arrivés en recherchant quelles sont les industries atteintes le plus fréquemment par les grèves. On se rendra parfaitement compte que c'est principalement dans les industries qu'on appelle collectivement « la grande industrie, où le machinisme est le plus développé, ou bien où l'organisation capitaliste de la production est la plus complète, que c'est précisément dans ces industries qu'éclate le plus grand nombre de grèves ». Voici, en effet, un tableau grou

(1) Il est à remarquer que la même accusation d'avoir augmenté par sa présence le nombre des grèves, a été lancée par les conservateurs italiens au gouvernement Zarnadelli. Or, ainsi que le remarque M. Schiavi dans le Mouvement socialiste du 2 mars 1902, les grèves et l'agitation ouvrière se multiplient en Italie, parce que ce pays traverse en ce moment une période de renaissance industrielle et de développement économique. Le prolétariat cherche alors à participer aux plus larges profits des capitalistes, en demandant une augmentation de salaire.

(2) Il est à remarquer, par exemple, que c'est en Allemagne, pays d'industrialisation récente et en même temps rapide, que la progression des grèves est la plus forte et la plus sensible. (3) Revue d'économie politique, 1896.

pant le nombres des grèves par industries depuis 1890 jusqu'à 1900.

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C'est l'industrie textile qui tient la tête dans les grèves, avec un chiffre qui dépasse de beaucoup toutes les autres, puis viennent immédiatement après, la métallurgie et l'industrie de la construction qui sont aussi des industries à forme capitaliste, groupant un grand nombre d'ouvriers soumis à la discipline et à l'autorité patronale, qui est parfois une société anonyme.

C'est donc bien le régime économique qui est le générateur des grèves, et, par cela même, des conséquences importantes en résultent. La lutte entre la classe ouvrière et la classe patronale, la division entre ces deux classes, l'antagonisme de leurs intérêts

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