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471. Telles sont les conséquences de l'article 19 de la loi du 5 juillet 1844, conséquences que nous trouvons aussi sous le régime de la loi du 25 mai 1791. On a songé jadis, lors de l'enquête de 1828, relative à la réforme de la législation des brevets d'invention, à porter remède à ces inconvénients, qui restèrent cependant inaperçus du législateur de 1844. Depuis, des législations étrangères très récentes ont préféré au système de la licence facultative le système de la licence obligatoire : le congrès de la propriété industrielle de 1878 en avait repoussé le principe s'il en fût de même au congrès de 1889, le congrès de 1900 a vu d'une façon plus favorable le système de la licence obligatoire. Le système de la licence obligatoire au profit du perfectionneur nous semble être très heureux et admis sous les plus expresses réserves, il peut, croyons-nous, être un correctif désirable et nécessaire pour remédier aux inconvénients parfois abusifs du monopole du breveté.

472. Lors de l'enquête de 1828 (1), parmi les réponses adressées aux questions de la commission, plusieurs chambres de commerce avaient insisté sur l'inconvénient de l'art. 8, titre II, de la loi du 25 mai 1791. Les réformes proposées l'étaient surtout dans l'intérêt du breveté primitif; on songeait en effet à supprimer les brevets de perfectionnement par suite des abus auxquels ils avaient donné lieu. La chambre de commerce de Tours décidait, que

1. Cf. de Moléon, Recueil industriel, année 1830, p. 142 et suiv.

quand un perfectionnement se rattacherait à une industrie brevetée, il ne devrait être accordé de brevet qu'avec le consentement du premier inventeur, les chambres de commerce de Bordeaux, Nantes, Troyes, voulaient accorder au premier breveté la faculté de se servir jusqu'à l'expiration de son titre des perfectionnements brevetés sur son invention, enfin la chambre de commerce de Boulogne (1) proposait de régler d'une façon plus équitable les rapports entre perfectionneur et inventeur, en demandant de faire régler à l'avance, soit par les tribunaux, soit par des experts, la part à assigner à l'inventeur et au perfectionneur dans l'exploitation de l'invention et du perfectionnement. Ces projets de réforme, d'ailleurs fort imparfaits, restèrent inaperçus et, lors de la discussion de la loi de 1844, aucune observation ou objection ne fut soulevée quand il s'agit de voter l'article 19. Au système de la licence facultative nous préférons le système de la licencce obligatoire et pour assurer la protection du droit du perfectionneur nous croyons deux réformes désirables : 1° que la prorogation du brevet principal entraîne pour une même durée celle des brevets pour perfectionnement; 2° que la licence obligatoire soit établie dans les rapports de perfectionneur et inventeur.

A. PREMIÈRe réforme.

De la prorogation du brevet pour perfectionnement d'une même durée que celle du brevet principal en cas de prolongation de ce dernier.

473. Cette première réforme est moins discutable que la seconde et personne ne contestera son utilité. Elle tend

1. De même Société d'émulation d'Epinal et Barcelonnette.

à ne pas rendre illusoire le droit d'exploitation du perfectionneur et à reconnaître au perfectionneur un droit acquis à la jouissance d'exploitation qu'il aurait eue, si le brevet principal n'avait pas été prolongé. Si la prolongation ne doit être accordée qu'en vertu d'une loi et dans des circonstances exceptionnelles (résolution du congrès de la propriété industrielle de 1900), il est logique et juste que la prolongation du brevet principal entraîne la même faveur de plein droit quant aux brevets pour perfectionnement (1).

B. DEUXIÈME RÉFORME. - De la licence obligatoire au profit du perfectionneur.

474. Cettte seconde réforme soulève plus de difficultés et donne lieu aux plus vives controverses. Nous voulons à la fois, essayer de justifier la théorie de la licence obligatoire au profit du perfectionneur et montrer comment elle serait susceptible d'application pratique. L'organisation pratique du système de la licence obligatoire est très difficile et très délicate répondaient à la commission du congrès de 1900, M. Fletcher Moulton, avocat à Londres et le professeur Bernthcsen, délégué de la Badisch Anilin und soda Fabrik: néanmoins, si le principe est juste il ne faut pas le rejeter et, si l'application pratique du système de la licence obligatoire est difficile, il ne faut pas cependant désespérer d'arriver à en trouver la solution.

475. Nous repoussons la théorie de la licence obligatoire

1. Le Congrès de la propriété industrielle de 1889 a voté une résolution aux termes de laquelle la prolongation du brevet entraîne la même prolongation des brevets de perfectionnement.

Verley

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absolue, en y voyant une entrave au progrès industriel et la violation détournée, qui n'en est que plus injuste, du droit de l'inventeur. Cette théorie, consistant à accorder à tout individu le droit de réclamer de l'inventeur la faculté d'exploiter l'invention, moyennant une redevance arbitrée en compensation du droit pour l'inventeur de jouir seul de l'exploitation de son invention, ne méconnaît pas, en principe, le droit de l'inventeur, mais elle en rend la protection illusoire. La licence obligatoire découragera l'esprit d'invention, en permettant à tous de s'approprier indirectement la découverte ainsi elle frustre et dupe l'inventeur. Après avoir reconnu la propriété de l'inventeur sur son invention, elle en accorde à tous la jouissance moyennant finance. Comme le disait M.Charles LyonCaen au congrès de la propriété industrielle de 1878: <«N'y a-t-il pas une contradiction singulière à proclamer d'abord que le droit de l'inventeur est une propriété et à déclarer ensuite que tout le monde peut exploiter l'invention, ne serait-il pas singulier de dire à quelqu'un : << vous êtes propriétaire d'une maison, mais vous ne pourrez l'habiter seul, ni même choisir vos locataires, toute personne qui voudra l'occuper le pourra à la charge de payer un loyer. Telles seraient pourtant les conséquences de la licence obligatoire absolue. Une législation doit avoir assez de respect pour ses inventeurs et comprendre assez le sentiment d'honneur qui existe pour l'auteur de la découverte, pour ne pas attribuer au premier venu le droit de l'exploiter : elle doit comprendre aussi que s'il est bien difficile pour l'inventeur, au lendemain de la découverte, de ne pas exiger d'un tiers des sommes considérables pour l'usage d'une invention où il voit presque toujours la source d'une fortune, il est encore beaucoup

plus difficile pour le juge de fixer dans ce cas la juste et équitable rémunération due à l'inventeur.

La licence obligatoire absolue nous semble donc être un système inique, foulant aux pieds le droit de l'inventeur et son point d'honneur, au surplus d'une application bien difficile et délicate.

476. Soutenue au congrès de Vienne en 1873 par de Steinbes et Ratkowsky, la licence obligatoire y fut admise en principe mais sous une forme très mitigée, dans l'intérêt public et après un délai de trois ans réservé exclusivement au breveté. En Allemagne, le jurisconsulte Klostermann s'est montré le partisan le plus convaincu de la théorie de la licence obligatoire, aussi le Patentschutzverein présenta, lors des travaux préparatoires de la loi de 1877, un projet où la licence obligatoire était admise d'une façon absolue mais toutefois après un délai de cinq ans : le Reichstag en rejeta l'adoption, en se basant sur les motifs que nous donnions précédemment. Il en fut de même en Suisse, au sujet d'une proposition identique de M. Imer, au moment du vote de la loi fédérale du 29 juin 1888. L'expertenkomission rejeta le système de la licence obligatoire absolue. En France, le congrès de la propriété industrielle en 1878, s'est prononcé contre le principe de la licence obligatoire, le congrès de 1889 a formulé la même résolution. Le principe peut n'être pas toujours aussi absolu, il admet des tempéraments et, sous de nombreuses réserves, nous devons dans certains cas nous rallier au système de la licence obligatoire.

477. S'il faut, en effet, repousser le système de la

1. Wurtlembergisches Gewerbeblatt, 1873, no 24.

2. Ratkowsky, Zur reform des Erfinderrechts. Vienne, 1870.

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