Page images
PDF
EPUB

cle, quand le roi était présent; il était présent à un sermon, et toutes les formes, toutes les lois de l'étiquette disparaissent par un mouvement imprévu : on put juger dès-lors que tout cédrait à l'expression de la volonté générale. Lestrois ordres s'assemblèrent immédiatement dans leurs chambres respectives; elles étaient préparées dans le même local, avec des communications; mais tellement disposées qu'elles semblaient présager leur destinée. Le tiers-état occupait la grande salle, celle où s'était faite l'ouverture des états-généraux, celle où les ordres devaient se réunir toutes les fois que le roi les rassemblerait. La chambre du clergé, beaucoup moins vaste, l'était cependant beaucoup plus que celle de la noblesse, et pouvait contenir les deux premiers ordres. Cette construction était un plan secret qui eût pu réussir, mais la cour même ne le voyait que comme un pis aller, auquel il serait toujours temps de revenir; elle en craignait la stabilité, et ne désespérait pas de s'en dispenser. Les principaux moteurs du tiers le voyaient de même, mais avec cette différence qu'ils espéraient mieux et plus; tellement que déja, à cette époque, les systêmes les plus opposés s'accordaient sans s'entendre; les uns, voulant et espérant tout obtenir ou tout enlever, gagnaient du temps; les autres, espérant ne rien céder, gagnoient aussi

1. Ept

1789.

1. 1789.

Edu temps, sans autre espoir que de retarder une décision quelconque.

Les premières séances se passèrent respectivement en projets de règlements de police intérieure, en discussions sur l'admission des membres. Plusieurs scissions, dans les bailliages, avaient donné lieu à des nominations doubles; et bientôt cette question devint générale pour la vérification des pouvoirs. Le tiers prétendit qu'ils devaient être vérifiés en commun, par des commissaires de chaque ordre, travaillant et opinant ensemble; cette prétention se fondait sur un principe très-juste, c'est que les députés, une fois nommés, cessaient d'être réprésentants de tel ordre, ou de telle province, mais prenaient le caractère de représentants de la nation entière; car, même en ne préjugeant pas la grande question de la réunion des ordres et de la délibération par tête, il était clair qu'en ma- ́ tière de législation, la majorité des ordres devant décider, c'était une chose intéressante pour chaque ordre, de connaître la légalité des membres des autres ordres.

La question était plus de droit que de fait; chaque ordre était bien autant intéressé à la légitimité de ses propres membres, que pouvaient l'être les ordres réunis; mais on commençait à ramener tout au principe; on sentait déjà la force de cette arme qui, s'empa

1." Ep. 1789.

rant de l'opinion, élève un pouvoir moral, auquel il faut que tout finisse par céder. Plusieurs jours s'étaient passés depuis l'ouverture des états; les deux premiers ordres s'étaient constitués et reconnus; le tiers seul restait dans un état provisoire. Cette stagnation était une force d'inertie, dont il sentait toute la puissance, et l'on commençait à s'en alarmer. On proposa la nomination de commissaires que l'on appela conciliateurs, et qui devaient tra- 15 mai. vailler réunis; une députation du clergé en apporta la proposition dans la chambre de la noblesse, et, peu d'instants après, une députation du tiers vint annoncer qu'il avait nommé seize commissaires pour se réunir à ceux des autres ordres, et qu'ils attendaient leur avis pour commencer leur travail commun. On remarqua que l'orateur de cette députation (Target) prit la dénomination de députés des Communes de France. Sur l'avis de Deprémenil, on fit réserve de cette expression comme d'une innovation; il y eût eu plus de justesse à en réclamer l'application; la réserve resta, et l'expression de communes devint d'usage pour indiquer la chambre du tiers. On touchait au temps où toutes choses devaient s'appeler par leur nom, et où les mots propres devaient décider de l'état des choses. Les commissaires du tiers furent Rabaud, Mounier, Bailli, Viquier,

I.” Ép.

1789.

Target, Thouret, Redon, Dupont, Chapellier, Legrand, Volney, Milscent, Barnave Barnave, Bergasse, Garat, Salomon. Ces noms, dont plusieurs reparaîtront dans la suite des événements, appartiennent à l'histoire, et doivent être désignés. Les commissaires nommés par la chambre de la noblesse furent Boutillier, duc de Luxembourg, Laqueille, Prescy, d'Entragues, de Mortemar, de Pouilly, Cazalès. Pour le clergé, l'archevêque de Bordeaux, l'évêque de Langres, Coster, Dillon, Richard, Thibaud, Lefevre, l'archevêque de Vienne.

Le lendemain on posa la question relative à la renonciation aux priviléges pécuniaires; cette motion fut faite dans la chambre de la 20, 23 noblesse; on en sentit l'utilité dans ce moment du travail des commissaires, et cette question n'en était déja plus une.

mai.

La renonciation s'était faite franchement et de bonne grâce, dans plusieurs assemblées de bailliages; presque tous les cahiers en contenaient l'expression, plusieurs seulement avec la réserve que l'énonciation n'en serait faite qu'après qu'il aurait été statué sur les bases constitutionnelles. Cette expression vague pouvait rappeler également les anciennes lois constitutives, s'il en existait, ou les nouvelles qu'il fallait faire à la place des anciennes; la délibération passa pour l'affirmative, à une très-grande majo

1789.

(4).

rité : cependant l'arrêté n'en fut porté, par les I. Ep commissaires de la noblesse, à la première conférence des commissaires réunis, que comme Pièces j. un vœu contenu dans ses cahiers. Cette première conférence n'eut que le caractère d'une conversation, les commissaires du tiers insistant sur la vérification commune, comme préalable nécessaire, sans préjuger la question de la délibération par tête ou par ordre; ceux de la noblesse soutenaient c'était préjuger la question, le clergé se tenant hors de cause, en biaisant toujours sur le fond. La seconde conférence eut à peu près les mêmes résultats, et les commissaires du tiers déclarèrent qu'ils ne viendraient plus aux conférences, sans une autorisation spéciale.

que

[ocr errors]

Cependant, les papiers publics travaillaient l'opinion; cette arme qui peut tout sur elle parce qu'on finit toujours par persuader au grand nombre, ce qu'on lui répète tous les jours; cette arme, qui devait être d'un si grand effet, essayait encore sa force. Le journal de Paris fut dénoncé à la chambre de la noblesse, comme rendant un compte inexact de ses séances; on proposa d'en demander la suppression, et la sagesse de la décision est remarquable : cette proposition fut rejetée comme contradictoire aux cahiers de la noblesse, qui demandaient la liberté de la presse. On décida l'impression des

« EelmineJätka »