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ma patrie, pour mon roi, pour ma famille, et pour vous, messieurs.

Relation de ce qui s'est passé à Grenoble le 7 juin 1788.

Ledit jour, le duc de Tonnerre, le duc de Tonnerre, lieutenant-général

et commandant en chef de la province du Dauphiné, a fait remettre au premier président, et à chacun des membres du parlement, des lettres-de-cachet portant ordre du roi de quitter la ville, et de se retirer dans différents endroits désignés par lesdites lettres datées de Versailles, du 1.er mai, remises et notifiées depuis sept heures et demie jusqu'à une heure, ledit jour 7 juin, aux magistrats, par des officiers du régiment d'Austrasie et Royal-Marine; chaque magistrat a donné un reçu de sa lettre, excepté le premier président, qui a répondu au major du régiment de Royal-Marine, qui lui a remis la sienne, qu'il en rendrait compte au ministre. Quelques-uns des membres sont partis; et, pendant que les autres se préparaient à obéir, pour se rendre aux lieux qui leur étaient désignés, toutes les boutiques se sont fermées. Vers les dix heures, le peuple s'est porté en foule vers l'hôtel du premier président; a détaché ses vaches, malles et paquets, démonté sa voiture, et en a porté toutes les pièces dans une remise fermant à clef, et a emporté la clef ; de là, il s'est rendu successivement aux demeures de plusieurs magistrats, a enlevé les voitures de force, et les a conduites à bras à l'hôtel du premier président, où il avait mis bonne et sûre garde pour garder les portes. Pendant que les hommes se portaient à cette extrémité, les femmes sonnaient le tocsin ; les portes de la ville ont été fermées et clouées; le trouble et l'émotion ont augmenté par

F'arrivée de deux régiments qui se sont emparés des places, et se sont répandus dans les différents quartiers de la ville. Le peuple s'est porté en foule à l'hôtel du commandant, pour demander les clefs du palais, et que le parlement fût réintégré; un renfort de grenadiers, arrivé pour repousser la multitude, occasionna un choc •si considérable, que l'émeute se communiqua tout le long de la rue Neuve jusqu'à la place Grenelle.

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Les détachements du régiment Royal-Marine, qui se trouvèrent dans ces quartiers, eurent l'imprudence de faire feu, de tuer et blesser plusieurs personnes, ayant baïonnettes au bout du fusil; il y a eu aussi plusieurs soldats de tués. Le peuple, en fureur, s'est mis à dépaver les rues, et à se saisir des pavés; il grimpa sur les toits et fit pleuvoir à foison une grêle de pavés et de tuiles, ce qui écarta les troupes; un peuple immense gardait l'hôtel du premier président, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur; un autre parti de ce même peuple se porta vers l'hôtel du commandant, força la garde et les portes, entra, fit plusieurs dégâts, et enleva même des papiers.

Pendant que tout cela se passait à la ville, les paysans des villages voisins, avertis par le son du tocsin, au nombre de plusieurs mille, vinrent armés; ayant trouvé les portes de la ville fermées, ils ont fait des tentatives pour escalader les remparts, et ont fait brèche, se sont introduits et ont marché droit à l'hôtel du commandant, sur lequel ils ont fait plusieurs décharges.

Le duc de Tonnerre a écrit au premier président le billet dont voici la teneur :

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Je vous prie, monsieur, de vouloir bien suspendre « votre départ, et celui de messieurs de votre compagnie, qui se trouvent ici, jusqu'à nouvel ordre ; je vais

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rendre compte à la cour de ce qui se passe ici, etc. Signé, le duc de TONNERRE.»

Grenoble, le 7 juin.

Le trouble et l'émotion augmentant dans les différents quartiers de la ville, entre autres aux hôtels du commandant et du premier président, malgré les exhortations de ce magistrat; le peuple insistant à vouloir avoir les clefs du palais, le duc de Tonnerre les a fait remettre au premier président, avec un ordre signé de sa main, dans les termes suivants :

« Il est ordonné aux gardes du palais de se retirer quand M. le premier président se présentera. »

A Grenoble, ce 7 juin 1788.

Le peuple ayant déclaré qu'il ne se retirerait pas que le parlement n'eût repris ses séances au palais, le duc de Tonnerre a écrit au premier président un billet dans les termes suivants :

« Je vous prie, monsieur, dans, les circonstances où « sont les choses, de prendre toutes les précautions que «< votre prudence exige, et notamment d'aller en robe « au palais avec le nombre de messieurs que vous pourrez « rassembler de votre compagnie, et d'en imposer au peuple, au nom du roi et du parlement.

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A Grenoble, 7 juin 1788. Le duc de TONNERRE.

En conséquence, le premier président a fait prier les magistrats qui n'avaient encore pu sortir de la ville, de se rendre chez lui pour leur communiquer les intentions du duc de Tonnerre.

Ils s'y sont rendus en robe, plusieurs n'arrivant pas

assez

eux,

assez tôt, au gré du peuple, ont été enlevés de chez et conduits à l'hôtel du premier président qui, leur ayant communiqué les différents billets du duc de Tonnerre, les a engagés à envoyer chercher leurs robes pour se rendre au palais ; ils ont trouvé sur leur passage, tant dans les rues que dans les places, une multitude considérable du peuple ; les salles du palais étaient remplies de monde de tous les ordres et de différents sexes; ils ont pris séance et apporté toute la prudence et la fermeté possibles pour faire cesser l'émeute; le peuple voulait absolument qu'on lui livrât les registres du greffe pour en séparer les nouvelles ordonnances, et les faire brûler; mais la prudence et la douceur du premier président a mis le calme, et il lui a adressé le discours suivant :

་་

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"

Mes enfants, vous devez être persuadés que le roi " ne veut que le bonheur de ses peuples; nous ne dis" continuerons pas de solliciter sa justice; mais le moyen « le plus sûr d'accélérer le retour de ses bontés, est de l'attendre dans le calme et la tranquillité; ainsi, re"tirez-vous paisiblement chacun dans vos demeures. " Chacun des magistrats s'est réuni au premier président pour calmer l'effervescence et l'émotion, en assurant le peuple de la justice et de la bonté du roi, et le tranquillisant sur la crainte qu'il avait de leur éloignement, lui ayant communiqué les billets du duc de Tonnerre pour lui faire voir qu'il fallait éviter tous les malheurs que leur soulèvement préparait, espérant par ce moyen faire renaître le calme et la tranquillité; ensuite tous les magistrats se sont retirés en l'hôtel du premier président, où le présent a été dressé et signé de chacun des membres présents, à qui l'on a remis une expédition en forme pour sa sûreté personnelle. Fait à Grenoble, le 7 juin 1788.

Tome I.

3

Tels étaient déja les progrès de l'esprit de liberté publique parmi les troupes, que le régiment de la Marine se laissa reconduire à son quartier à coups de pierre: deux officiers furent grièvement blessés; plus de trente soldats à l'hôpital, sans que l'on osât faire feu sur le peuple; et, peu de temps après, les mêmes circonstances étant prêtes à se renouveler, on assembla en conseil tous les chefs de corps, qui prévinrent que rien ne les forcerait à commander le feu contre les citoyens de la ville; et cette résolution, reportée au cardinal - ministre, contribua beaucoup au parti de douceur et de modération. Le maréchal de Vaux fut envoyé ensuite pour commander à ces moments de troubles et de désordres. Sa rigidité était connue et le ministre y comptait; mais la loyauté du vieux général ne se prêta point aux projets de la cour. Au, moment de son arrivée, s'adressant à l'un des chefs militaires qui l'entouraient : — – Je viens de votre province, lui dit il; le ministre m'avait envoyé cent mille francs pour distribuer aux bous citoyens, je lui ai répondu que je n'en connaissais point de tels. Le jour de la réunion à Vizille, il donna, par écrit, l'ordre d'empêcher tout rassemblement sur les routes, mais de ne gêner aucun voyageur tous les députés passérent un à un par les postes établis sur leur passage.

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Relation exacte et détaillée de ce qui s'est passé à Paris, à l'occasion de la retraite de M. de Lamoignon, et des excès auxquels s'est livrée la populace, depuis le 14 septembre 1788, jusqu'au 17 au soir (*).

La lie du peuple, qui porte le plus souvent les jugements les plus inconséquents, mais qui est toujours flattée de trouver matière à la révolte et au brigandage, dans les instants où elle croit être assurée de l'impunité, s'est portée aux plus grands excès, lorsque la nouvelle de la

(*) Cette pièce est jointe à la précédente comme une suite de l'esprit d'insurrection qui commençait à se manifester, et qui se lie aux événements. Le style de rédaction seul est un contraste curieux avec le style des écrits, au temps de l'esprit public, de franchise et de liberté.

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