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qui se dirent déserteurs des canonniers, pour m'aider à distribuer au peuple la poudre en cornet, et c'est ce qui dura jusqu'à deux heures après minuit, que je fis fermer la première porte des magasins; mais bientôt une nouvelle foule brise la porte sous les coups redoublés de haches et de pieux : elle est encore dans le même état. Elle entre avec violence, et, dans l'impétuosité, un coup de pistolet part; la balle, m'ayant effleuré légèrement, porta sur la fenêtre, dont elle cassa plusieurs carreaux. Je fus forcé de distribuerde la poudre, en sacs et cornets, à ce peuple effréné qui me présentait, d'un air menaçant, des piques, sabres et autres armes.

Le reste de la nuit se passa à cette distribution.

A la pointe du jour, un homme assez mal vêtu vint s'asseoir sur un baril de poudre, et fumait tranquillement sa pipe. Alarmé du danger que je courais, ainsi que ceux qui étaient présents, j'offre de lui acheter sa pipe, moyennant 3 liv. qu'il prit. Je l'a jetai par la fenêtre. Depuis cet instant, j'ai toujours délivré la poudre jusqu'à trois heures après-midi, heure à laquelle vinrent les gardes-françaises, qui me demandèrent des barils de poudre pour assiéger la Bastille. Je leur livrai, sur leur demande, trois barils, sans autre permission. A cinq heures, d'autres citoyens vinrent aussi me demander de la poudre pour terminer le siége. Je leur en délivrai deux autres barils, et l'instant d'après je vis arriver un groupe de gens de toute espèce qui montèrent à la Ville, et me dirent que la Bastille était prise ; ce que j'eus peine à croire. En effet, sur les six heures, un peuple immense, armé de toute pièce, venant de la Bastille, arrive sur la place de Greve. Au milieu, était M. Delaunay, le gouverneur. Là, après avoir été massacré à coups de crosses de fusils, baïonnettes, par le peuple, on lui coupa la tête devant la porte de la Ville, sous les fenêtres de

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mon magasin : ce qui me convainquit que cette forteresse était réellement prise. A peine l'expédition de M. Delaunay était faite, que vingt à vingt-cinq hommes de la milice de Saint-Denis vinrent se réfugier à mon bureau, me demandant de quoi vivre et mourant de faim. Je leur fis donner du pain et du vin: leurs besoins satisfaits, ils s'offrirent à passer la nuit pour m'aider à faire la distribution, ce que je n'acceptai pas. Je les renvoyai au commandant-général qui était alors M. Delasalle. Le peuple m'assaillait pour avoir de la poudre et des armes que je leur distribuai toujours. Sur les neuf heures du soir, trois de MM. les électeurs vinrent à mon magasin, me proposerent de m'aider. Surpris de voir arriver quarante-cinq milliers de poudre, venant de la Bastille et autre part, me reposant sur leur offre, je sortis un instant pour prendre de quoi me soutenir le reste de la nuit. Je revins à dix heures, et surpris de ne trouver que mes deux garçons, je leur demandai où étaient mes confrères; ils me répondirent qu'ils s'étaient retirés. Je passai la nuit toujours dans la même perplexité, au sujet des poudres. A une heure du matin, un électeur vint me trouver avec M. le chevalier Désaudraye, et me demandèrent si je n'avais aucune inquiétude étant seul: ils me firent observer seulement à mettre du papier autour des chandelles. Sur le matin, on m'apporta des piques et autres objets, et l'on m'offrit des fusils à acheter, provenant de la prise faite aux Invalides. Je fus consulter M. Delasalle, qui m'engagea à les acheter ; j'en pris vingt-sept qui furent déposés au magasin, et ensuite distribués, ainsi que la poudre, par les ordres du commandant - général. Demi-heure après, l'on apporta des tentes, matelas, couvertures, etc. que l'on me dit avoir été enlevés au Champ-de-Mars, ainsi que d'autres effets qui furent transportés dans les magasins

du greffe, et entre autres les débris de la voiture da prince de Lambesc, et des bagages appartenants au régiment cantonné à Vaugirard; enfin une tonne en fer appartenante à la caisse de Poissy, qui fut déposée dans mon magasin, au milieu des barils de poudre. Je remplis mes fonctions, sans avoir rien éprouvé de remarquable jusqu'au 16 matin, époque où l'annonce de l'arrivée du monarque fit naître l'idée de transporter les poudres dans un lieu moins exposé à la foule qui nécessairement précéderait le roi, Après bien des réflexions, je proposai de les transférer à l'hôtel de Soubise, sous la galerie de la grande cour; ce qui fut à l'instant exécuté. Elles furent gardées par les troupes des Capucins et des Enfants Rouges, jusqu'au 18 matin. Après avoir pris toutes les précautions nécessaires, en pareil cas, je les fis transporter à l'Arsenal. Je les remis entre les mains de M. Mazurier, qui m'en donna une décharge. Depuis cette époque, je ne fis que délivrer les effets, saisis, tels que les cartouches, tentes, matelas, couvertures, bidons, etc.

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SECONDE ÉPOQUE.

LAFAYETTE, né le 6 septembre 1757.

Lorsqu'on désespérait de la cause des insurgés en Amérique, i acheta un navire, leur porta des secours, malgré les défenses de Versailles, et débarqua à Charlestown, au commencement de 1777; fut fait général-major, servit comme volontaire, fut blessé à la première bataille, rejoignit le général Greem dans le Jersey, battit , avec quelques milices, un corps d'Anglais et Hessois, et eut le commandement d'une division. En 1778, il tenta une expédition sur le Canada, retira sans perte, à Barrenhill en Pensylvanie un corps entouré par l'armée d'Howe et de Clinston; commanda à la bataille de Monmouth, d'abord une avant-garde, puis la seconde ligne; commanda l'arrière-garde des troupes du général Sullivan, engagées sur Rhodesisland, et reçut une épée du congrès.

A 22 ans, il revint en France chercher des secours d'hommes, de vaisseaux et d'argent; débarqua à Boston, où il fut reçu avec honneur; commanda, pendant cette campagne, l'infanterie légère et les dragons.

La campagne suivante, il fut chargé de la défense de la Virginie contre l'armée de lord Cornwalis, et s'y maintint sans être entamé; sauva les magasins de l'armée du Sud, reçut quelques renforts, et après plusieurs mois d'une campagne très active, réussit à enfermer lord Cornwallis dans la position d'Yorktown. L'amiral Grasse entra dans la baie avec trente vaisseaux de ligne, et envoya le marquis de Saint-Simon, avec trois mille Français, renforcer l'armée de Lafayette. Grasse et Saint-Simon pressèrent Lafayette d'attaquer ; mais; sûr que son adversaire ne pouvait plus échapper, il voulut épargner le sang, et attendit le général Washington et le général Rochambeau, qui vinrent de Newyork avec de nouvelles forces. La capitulation de Yorktown, 19 octobre 1781, décida le sort de cette guerre.

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En 1784, il fit un voyage aux États-Unis, reçut partout, même des nations: sauvages, des témoignages d'affection et de gratitude. En prenant congé du congrès à Trenton, dans le Jersey, il termina son discours par ces mots: « Puisse ce temple immense, que nous ve.

nons d'élever à la liberté, servir à jamais de leçon aux oppresseurs, et d'exemple aux opprimés !

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En 1785, il fit un voyage dans les cours et les armées d'Allemagne, et nommément chez le grand Frédéric. Les États-Unis firent présent de son buste à l'Hôtel-de-ville de Paris: il fut placé dans la salle devenue depuis celle des électeurs.

En 1787, il fut du nombre des notables assemblés à Versailles": il proposa la suppression des lettres-de-cachet et prisons d'état, demanda l'état civil des protestants, et fit la demande formelle et unique de la convocation d'une assemblée nationale.

En 1789, il fut nommé député; et au moment de la révolution du 14 juillet, fut proclamé commandant de la garde bourgeoise de Paris.

En 1792, il fut rappelé de ses foyers et nommé général d'une armée qui s'assembla à Metz; au mois de juin, il dénonça les jacobins par une lettre au corps législatif, vint lui-même, après le 20 juin, parler à la barre de l'assemblée, dénoncé et acquitté le 8 août ; il refusa de plier, et fut obligė, après avoir pourvu à la sureté de son armée, d'aller chercher un asile dans un pays neutre, il y trouva une prison, et repoussa avec indignation les propositions de donner des conseils contre sa patrie; après cinq années de la plus cruelle et vindicative captivité, il aima mieux, ainsi que ses deux amis, Latour-Maubourg et Puzy, laisser refermer les portes d'Olmutz, que de consentir aux engagements que l'empereur leur demandait; enfin, le 19 septembre 1798, il fut rendu aux réclamations du gouvernement, appuyées par les victoires de Bonaparte.

N. I. ( Page 95.)

Lettre de la municipalité de Soissons.

MONSIEUR,

Soissons, ce 27 juillet 1789.

Peut-être êtes-vous déja instruit de l'événement affreux qui nous met au comble du désespoir. Un courrier, arrivé de Crépy à une heure et demie, nous annonce qu'une

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