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Tout en acceptant les rectifications de faits qui lui sont démontrées, M. Limousin déclare qu'elles n'entament pas les conclusions de son travail. Il se joint volontiers à M. Cheysson pour demander que la discussion s'ouvre à fond sur le rôle des diverses voies de transport et l'intervention de l'État vis-à-vis d'elles.

La Société décide que cette question sera inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.

M. Turquan dit qu'il a étudié avec le plus grand soin la partie d'un travail de M. Cheysson consacré à la situation des communes de moins de 50 habitants. Il a cru devoir, de son côté, étudier ces petites communes aux divers points de vue que comporte le recensement de fait. Une enquête a été prescrite à ce sujet par M. le ministre du commerce. Autorisé à en faire connaître les résultats, l'orateur les analyse un à un. Il en fera plus tard l'objet d'un travail spécial qui sera publié.

M. Ducrocq pense qu'il ne fait que traduire l'impression éprouvée par tous ses collègues en se demandant pour quelle raison on persiste à maintenir de pareilles communes qui, selon lui, n'ont aucune raison d'être; si elles subsistent, ce ne peut être que par suite d'intérêts locaux et pour satisfaire certaines ambitions personnelles. M. Turquan a parlé d'une commune qui ne se compose que d'une tuilerie et de trois maisons. Il est probable que, si le propriétaire de cette tuilerie en redoute l'annexion à une autre commune, c'est qu'il craint de n'y être pas le maitre.

Au moment de la Révolution, le nombre des communes de France dépassait 44.000; c'est à peine si l'on en a réduit le nombre de 6 à 7.000. Ce fait ne peut s'expliquer que par des influences électorales qui ont prévalu sous n'importe quel gouvernement.

M. Ducrocq ne peut donc que persister dans les conclusions qu'il a déjà présentées à la Société lorsqu'il a été question de ces petites communes. L'intérêt public exige qu'on en supprime un certain nombre, en commençant par les plus petites. Les conditions dans lesquelles elles se trouvent justifieraient et au delà cette mesure. Il ne peut, d'ailleurs, que remercier l'administration d'avoir prescrit l'enquête dont M. Turquan a bien voulu communiquer les résultats.

M. Flechey fournit, sur quelques communes de l'Algérie, des renseignements analogues à ceux qui viennent d'ètre produits sur les petites communes de France et cite, entre autres, une commune de la province d'Oran qui ne se compose que de fonctionnaires et d'un indigène, remplissant les fonctions de messager.

M. Paul Leroy-Beaulieu dit que la solution proposée par M. Ducrocq

parait simple au premier abord. En supprimant les petites communes, il semble que tous les embarras disparaîtront; mais quand on étudie la question de plus près, on ne tarde pas à se heurter à des obstacles souvent invincibles. A l'appui de sa thèse, l'orateur énumère un certain nombre de petites communes du département de l'Hérault, qu'en sa qualité de conseiller général il a eu souvent l'occasion de visiter. Il fait observer que la plupart de ces communes sont des agglomérations généralement formées dans les montagnes, où elles existent de temps immémorial. Par suite de leur éloignement de tout autre centre de population, elles ont besoin de tous leurs organes, écoles, église, police, etc. Il serait à redouter que par leur réunion à une autre commune ces avan tages fussent perdus, et même qu'elles ne fussent opprimées.

Comme contre-partie, M. Leroy-Beaulieu ajoute qu'il existe dans le midi de la France plusieurs grandes communes dont quelques-unes n'ont pas moins de 8.000 hectares, et sont ainsi plus étendues que Paris. Ce ne sont là, à vrai dire, que des agglomérations de petites communes ayant chacune leur école, leur église, etc.; or, il y a souvent plus d'embarras à concilier ces fractions de communes que de faire disparaître l'opposition d'intérêts qu'il y a à Paris entre le 8° et le 20 arrondissement. Ces communes, qui ont souvent de grands biens communaux, sont, par le fait, morcelées et n'ont de communal que l'expression.

Il ne suffit donc pas, on le voit, de réunir ensemble plusieurs communes pour éviter tous les inconvénients, car les fractions dont elles se composent continuent à jouir de leur personnalité individuelle, quoique la loi les ait réunies. Il ne faut donc pas, dans des questions de ce genre, s'en rapporter à des raisons purement numériques. Il faut, avant tout, avoir égard à celles qui résultent de la topographie et de l'histoire.

Les conseils généraux ont le droit de sectionner les communes et ils en usent largement aujourd'hui; mais comme ils cèdent le plus souvent à un mobile politique, sans tenir suffisamment compte des besoins de la population, leur avis risque trop souvent d'être repoussé par le Conseil d'État.

M. Delboy partage, sur ce point, l'opinion de M. Paul Leroy-Beaulieu et reconnait que le conseil général est mal placé pour être arbitre dans ces sortes de questions, chaque conseiller étant intéressé personnellement au maintien du statu quo. Il lui semble que ce rôle d'arbitre conviendrait mieux au préfet, qui seul pourrait y apporter de l'impartialité.

M. Tarry exprime le désir de voir compléter les indications qu'on a présentées sur les petites communes par des informations sur l'état de leurs propriétés et de leurs revenus.

M. Ducrocq, répondant à M. Delboy, reconnaît que les conseils généraux ne sont pas aptes à résoudre seuls la question des suppressions ou annexions de communes. Ils n'ont d'ailleurs qu'à donner leur avis, la création de nouvelles communes ne pouvant avoir lieu qu'en vertu d'une loi, et le sectionnement ou les annexions ne pouvant être autorisés que par un décret rendu en Conseil d'État.

Sans doute, comme l'a dit M. Paul Leroy-Beaulieu, la question de la suppression des petites communes est très délicate, et il est souvent difficile de modifier des habitudes invétérées; aussi la loi d'organisation municipale n'a-t-elle pas édicté sur ce point des règles inflexibles? Toutefois, il y a lieu de s'orienter dans le sens qu'il a indiqué, en laissant à l'administration supérieure le soin de donner, dans chaque cas particulier, une solution conforme aux véritables intérêts des populations.

Vu l'heure avancée, la réunion renvoie à la séance de juillet la discussion du rapport de M. Claude (des Vosges), sur la consommation de l'alcool.

COMPTES RENDUS

ESSAI SUR LA THÉORIE DU SALAIRE; LA MAIN-D'ŒUVRE ET SON PRIX, par P.-V. BEAUREGARD, professeur agrégé à la Faculté de droit de Paris. In-8°. Paris, Larose et Forcel, 1887.

Voici un livre qui vient à son heure. Ce qu'on appelle la question ouvrière, une des plus grosses et des plus inquiétantes « questions sociales» de nos jours, tient presque tout entière dans la question du salariat. Les ouvriers, non seulement en France, mais dans le monde entier, s'agitent et mènent la campagne contre le salariat. C'est pour eux et pour les écrivains de talent qui marchent avec eux la bête de l'Apocalypse; une fois qu'ils en seront venus à bout, tout leur sera facile. Et ils l'attaquent de mille façons. Parler de salariat, c'est dire qu'il y a des salariés et des salariants, en d'autres termes des ouvriers et des capitalistes. Le capital, voilà l'ennemi. Aussi ne le ménage-t-on pas. Le supprimer n'est pas facile, bien qu'à vrai dire toutes les attaques dont il est l'objet le diminuent en fait ou du moins en retardent l'accroissement. Mais le prendre est plus simple; pour plus de correction, on veut que le capital de toute la nation, ce composé des individus, retourne à la nation, considérée comme un être impersonnel, laquelle, par des actes législatifs et administratifs, en concédera la mise en valeur à ceux qui sauront effectivement le mettre en valeur. Or, quels sont ceux-là, sinon les ouvriers, qui depuis des siècles gémissent sous l'oppression capitaliste. Voilà ceux qui doivent, de toute justice, gérer le capital national. « La terre au laboureur », « la mine au mineur », « l'usine à l'ouvrier »>, etc., telles sont les formules pratiques de cette « nationalisation du capital ».

Que cette nationalisation soit, à proprement parler, un vol, ou, terme moins déplaisant, une spoliation; qu'elle doive, et très rapidement, par le simple effet des lois économiques, ramener l'agglomération, aux mains des plus habiles et des plus sages, d'un capital, non nationalisé celui-là et, par conséquent, reconstituer une classe de capitalistes et une classe d'ouvriers, cela ne fait pas de doute; nos « nationalisateurs » ne peuvent l'ignorer. Il leur faudra alors, à intervalles périodiques, recommencer l'opération; cela en augmente singulièrement les difficultés et en atténue d'autant les avantages. Toutefois, ils ne reculent pas et sont prêts à tout plutôt qu'à tolérer plus longtemps le statu quo.

Pourquoi cette horreur du salariat? Parce que, disent les ouvriers, le salariat n'engendre que l'injustice; parce que de deux personnes qui travaillent, qui produisent, l'entrepreneur-capitaliste et l'ouvrier, celui-ci, qui dépense le plus, et le plus visiblement, sa force et son énergie, voit qu'après tout ses efforts ne vont qu'à enrichir son associé. Quant à lui, quel que soit son labeur, il le sait, il ne pourra jamais arriver même au bien-être. Il y a, dans les produits du travail, une répartition inégale qui ne peut le conduire, lui, qu'à la misère. Et cela, quelques progrès qu'il fasse. Si perfectionnée et ingénieuse que devienne la main-d'œuvre, elle ne peut enrichir son homme. Le jeu naturel des lois de l'économie poli tique, telles que les exposent les économistes les plus illustres, ne permet pas à l'ouvrier de s'élever au-dessus d'une certaine situation, qui n'est que la misère. Tout cela, à cause du mode de répartition jusqu'ici adopté des produits du travail entre le capitaliste et l'ouvrier. Le principe en est mauvais. On pourra y faire des changements de détail, essayer par exemple de la participation sous ses diverses formes, rien n'y fera, ce sera encore le salariat, avec la « loi d'airain ».

Voilà ce que dit aujourd'hui la classe ouvrière, ou plutôt ce qu'elle répète d'après ses prophètes. Qu'y a-t-il de vrai dans ses plaintes? Quelle part le salariat lui laisse-t-il? Qu'en peut-il espérer dans l'avenir? Tels sont les divers points qu'étudie M. Beauregard dans cet ouvrage qui, je le répète, vient à son heure.

Mais il n'a pas que le mérite de l'opportunité. Il en a d'autres, de divers ordres, et également précieux : une grande prudence dans la méthode, dans les termes, les définitions et les conclusions; une grande sincérité; beaucoup de savoir, et par-dessus tout, l'unité dans la composition. Ne demandez pas à l'auteur ce qu'il n'a pas voulu faire. Il a traité du salariat; ne cherchez pas dans son livre une étude sur les gains de certaines professions, comme celles de médecins, avocats, etc., ou sur la coopération, par exemple, ou sur les mille moyens qui peuvent être aujourd'hui mis à la disposition des ouvriers pour se constituer nn capital soit d'exploitation, soit de prévoyance. Ce n'est pas un essai sur les conditions et l'avenir de la classe ouvrière qu'il a fait; c'est une étude sur le salariat et sur les chances qu'il lui offre dans le présent et dans l'avenir.

Cette étude est conduite, j'y insiste, avec infiniment de science, de prudence et de modération. Qu'est-ce que le salariat? qu'a-t-il donné à la classe ouvrière ? que lui donne-t-il aujourd'hui ? d'où vient qu'elle se plaigne comme elle fait ? quels résultats ou plutôt quelles craintes peuvent expliquer ses doléances? la théorie actuelle du salariat serait-elle donc erronée ? quelles erreurs ont été commises pour autoriser la sorte de désespoir farouche où les ouvriers se disent acculés? démon

« EelmineJätka »