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recevaient un salaire et la nourriture. J'appris que ces bonnes gens avaient de petites possessions. Ainsi le fermier possédait un vignoble, qui lui rapportait, et un petit terrain sur lequel il avait l'intention de bâtir une maison et de se retirer dans ses vieux jours. La laitière avait une maison, un petit coin de terre, sans oublier ses économies; avec le temps, elle quittera le service, achètera une vache ou deux et vendra du beurre et du fromage pour son compte. Il y avait un domestique, qui servait à table, arrosait les fleurs et conduisait la voiture. Il a une maison, un champ et ses économies lui donnent un revenu de 500 fr.

Dans le Maine-et-Loire, la moyenne des propriétés est de soixante-dix à quatre-vingts acres; les closeries ou fermes de deux ou trois acres ne sont pas rares. Il y a aussi de très grandes fermes. Une de nos voisines était une dame qui dirigeait une propriété de plusieurs centaines d'arpents.

D'Angers, je me rendis à Niort, chef-lieu des Deux-Sèvres. Onze ans auparavant j'avais parcouru le Bocage en diligence. Quels changements se sont produits depuis cette époque. De nouveaux chemins de fer s'étendent dans toutes les directions; de grandes fermes s'élèvent de tous côtés. Niort est une tête de ligne de la première importance, comme le prouve sa belle gare. Quel que soit le développement que les villes doivent aux chemins de fer, l'effet produit sur les campagnes est encore plus considérable. La valeur des produits agricoles a augmenté, et l'introduction des méthodes de culture perfectionnées est devenue plus facile. On se sert beaucoup dans ces parages d'engrais artificiels et de machines. Niort est entouré d'une ceinture luxuriante de vergers et de jardins potagers. Il faut aller dans le cœur du Bocage pour trouver le type de la ferme vendéenne de plusieurs centaines d'arpents, mais à peu de distance de Niort on peut voir des fermes importantes. Une des spécialités du pays est l'élevage des mulets. Je visitai une ferme à bail de quatre à cinq cents arpents, qui était ainsi fournie soixante mulets et chevaux, dix bœufs, quinze vaches, soixante moutons, sans parler des chèvres, des cochons et d'une masse de volailles. Le fermier quitta son travail pour nous montrer ses bêtes. Sa femme, dans son costume de paysanne, était à l'ouvrage. Et pourtant ils possédaient un capital de plusieurs milliers de livres, et en Angleterre depuis longtemps ils seraient devenus des dames et des messieurs. Il n'est pas étonnant que l'on supporte en France les crises agricoles!

Prenez comme exemple les deux départements que je parcourus ensuite la Charente et la Charente-Inférieure. Aucune partie du pays n'a été plus cruellement ravagée par le phylloxéra. La ruine a passé sur la Charente depuis quelques années; les vignobles ont été réduits d'un dixième, et les pertes s'élèvent à beaucoup de millions, pertes qui ont

été durement senties par les petits vignerons. J'ai eu de longues conversations avec les habitants, et le récit de ce que les gens de la campagne ont souffert était poignant. Maintenant cela commence à s'améliorer. Les vignerons ruinés se sont tournés vers d'autres cultures ou bien vers d'autres occupations. Le moment le plus dur est passé. On trouve encore ici et là parmi les paysans des traces d'aisance.

Mon hôte, par exemple, employait une femme de ménage, qui venait pendant quelques heures chez lui faire la cuisine. Cette femme, propre, soignée, intelligente, avait 25,000 fr. placés en fonds publics. Son mari possédait un jardin potager; son fils était commis-voyageur, sa fille apprentie chez une couturière et pourtant la mère était contente d'ajouter à son petit fonds et de préparer de nouvelles ressources pour les mauvais jours.

Je passai plusieurs semaines dans la Charente-Inférieure, à SaintGeorges-de-Didonne, charmant petit village près de Royan. Le nom de ce village est connu des lecteurs de la Mer de Michelet. Saint-Georges est une petite Arcadie, où chacun s'assied dans sa vigne, à l'ombre de son figuier. Le sol est riche et produit des légumes et des fruits pour le marché de Royan. Mais dans l'intérieur du pays l'aspect est lamentable, on ne voit que vignes ravagées, et pourtant on n'entend pas de demandes de secours. Les autres produits sont cultivés avec d'autant plus de soins et on cherche à tirer parti des moindres ressources. La partie du pays qui est à une certaine distance des grandes lignes de communication présente une culture assez arriérée. J'ai visité une petite métairie qui m'a rappelé mes excursions en Bretagne il y a onze ans : le tas de fumier devant la porte, les poules dans la cuisine, etc. Mais on ne doit pas oublier que le petit métayer, quelque déplorable que soit son habitation, quelque pauvre et ignorant qu'il soit, devient peu à peu un fermier ou un propriétaire à son aise. Le métayer est un degré intermédiaire entre la position du journalier agricole et celle du capitaliste. Qu'on me permette de citer quelques chiffres. Nous trouvons dans le département des Landes 27,484 métairies, dans l'Allier 11,632, dans la Gironde 11,568, dans la Charente 10,776, dans le Lot 10,000, dans la Haute-Vienne 8,337, dans le Cantal 2,292, dans la Creuse 2,069, etc.; le métayage prévaut plus ou moins dans toute la France. Dans les AlpesMaritimes, on trouve de petites étendues de terre cultivées d'après ce système; beaucoup de vignobles dans le Sud-Ouest sont de véritables métairies. Le métayer est regardé comme un excellent agent pour développer la culture.

Le fermage à bail est pratiqué sur une grande échelle dans certaines régions. Il y a un fermier pour trois ou quatre métayers ou cultivateurs. La Picardie, l'Artois, la Brie, la Beauce et le pays de Caux sont des

pays à grandes fermes. On y voit des fermes de deux cent cinquante arpents et plus, dans les mêmes conditions qu'en Angleterre. D'après une enquête officielle récente les grands fermiers souffrent davantage dans les périodes de dépression que les petits cultivateurs et les métayers. La cherté de la main-d'œuvre, la diminution des profits sur la betterave, la substitution du pétrole à l'huile de colza ont interrompu l'ère de prospérité pour les grands fermiers de la Picardie et de l'Artois. Un mot encore avant de terminer. Si je voulais appuyer ce que j'ai avancé d'après mon expérience personnelle sur une autorité inattaquable, je n'ai qu'à citer M. Henri Baudrillart. Cet écrivain, il est inutile de le rappeler, a consacré des années à une enquête officielle sur la condition passée et présente du paysan français. Son ouvrage sur la Normandie, ses contributions à la Revue des Deux Mondes et à d'autres recueils sont des mines d'informations pour ceux qui ne peuvent étudier sur les lieux la question du petit propriétaire sur le sol français (The Fortnightly Review. Août 1887).

M. BETHAM-EDWARDS.
(Traduit par Mlle S. R.)

LA 13° CONFÉRENCE DE L'ASSOCIATION

POUR LA RÉFORME ET LA CODIFICATION

DE LA LOI INTERNATIONALE

La Société pour la réforme et la codification de la loi internationale 's'est réunie à la fin du mois dernier au « Guildhall » (l'Hôtel de Ville de da cité de Londres) pour sa treizième conférence annuelle.

Elle avait déjà siégé une première fois à Londres en 1879. Les autres réunions ont eu lieu à Bruxelles, La Haye, Brême, Anvers, Francfort, Cologne, Liverpool, Milan et Hambourg.

L'ordre du jour de la conférence, cette année, était celui-ci :

--

La neutralisation des territoires par la voie des traités ;
Les progrès de l'arbitrage international;

Les limites et les privilèges des eaux territoriales;
La sécurité de la navigation dans le canal de Suez;

Le concert des nations et les obligations des traités;

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L'exécution des jugements civils en pays étrangers;
L'audition des témoins domiciliés en pays étrangers;
Les lois contradictoires sur le mariage;

Les traités d'extradition et les délits qu'ils comprennent;

Les abordages et les collisions sur mer;

Les conventions internationales pour le maintien des phares;
Les lois sur l'affrètement et les formules de connaissements;
L'avarie maritime.

Plusieurs de ces sujets sont d'ordre politique autant que d'ordre économique ou commercial. Tout au moins la politique joue-t-elle un grand rôle, sinon le rôle principal, dans leur discussion. La Société pour la réforme et la codification de la loi des nations se propose d'ailleurs un double but, dont l'un est assurément d'aspect essentiellement politique. Elle a d'abord pour objet la recherche des moyens propres à harmoniser entre elles les lois et les pratiques commerciales diverses des nations, dont les nombreuses divergences entravent les transactions internationales; puis elle s'occupe du développement à donner à l'usage des arbitrages entre nations, en vue d'assurer le maintien constant de la paix et d'éviter qu'on fasse appel à la guerre pour vider les différends d'aucun genre qui peuvent surgir entre les peuples et les gouvernements.

La séance d'ouverture eut lieu le lundi 25 juillet, sous la présidence de M. le juge de la haute cour Butt qui, en inaugurant les travaux, a précisément parlé assez longuement du principe des arbitrages internationaux. Il pense qu'il n'est pas inadmissible qu'un jour la pratique en devienne universelle, bien qu'il reconnaisse que ce ne sera probablement ni nos enfants, ni les enfants de nos enfants qui verront ce jour. En tout cas, dit-il, chaque pas dans cette voie, chaque différend international vidé par l'arbitrage, est un pas dans la bonne direction, et nous épargne une somme incalculable de misère humaine et de souffrances.

L'attorney général' exprima l'opinion que « le monde commercial tend au rapprochement; que l'on commence à comprendre que les principes et les lois de la propriété ont plus d'influence sur les relations des hommes entre eux qu'on ne l'avait supposé jusqu'ici; et que l'augmentation des moyens de communication doit nous conduire à rechercher les principes sur lesquels il faut que repose la loi des nations >>.

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1 L'avoué-général; la fonction d' « attorney général » est parlementaire et politique autant que juridique son titulaire change avec chaque changement de cabinet; fait partie du conseil juridique du gouvernement et donne son avis sur toute question contentieuse.

Sir Travers Twiss a présenté le premier travail, celui sur la neutralisation des territoires par voie de traité; après quoi les divers délégués, jugeant qu'ils en avaient assez fait pour une première journée, se sont rendus à un banquet à « Mansion House », résidence officielle du lordmaire. La séance du mardi a débuté par un travail de M. George Baden Powell, membre du Parlement, sur les limites des eaux territoriales. Le conférencier a dû constater qu'il était assez difficile de déterminer ces limites d'une manière satisfaisante. La Norvège avait, par exemple, dans un cas spécial, stipulé un rayon de quatre milles en mer; l'Angleterre elle-même, dix dans certains cas et douze dans d'autres; l'Espagne avait voulu établir une zone de souveraineté de dix milles autour de l'île de Cuba, La Chine a accordé à l'Angleterre droit de juridiction sur tous sujets anglais à bord de navires naviguant dans ses eaux jusqu'à la limite d'un éloignement des côtes de 100 milles, ce qui équivaut à une prétention de sa part d'exercer des droits territoriaux dans cette même limite. Le canal de Saint-Georges qui sépare l'Angleterre de l'Irlande a été reconnu diplomatiquement comme territoire anglais. Il faut pourtant plusieurs heures en paquebot à vapeur pour le traverser. Il est bien évident que les circonstances de temps et de lieux jouent un grand rôle là-dedans, et motivent des écarts considérables de la limite usuelle indiquée par M. Baden-Powell, celle de trois lieues marines d'éloignement de la côte. L'examen de la question a été renvoyé à une sous-commission.

Une question essentiellement commerciale a occupé l'ordre du jour de la séance du mercredi. C'est la question des connaissements maritimes. Il y a toujours eu lutte entre les armateurs et les commerçants, les premiers s'efforçant constamment de se dégager de toute responsabilité à l'égard des avaries et accidents que peut subir la marchandise qu'ils transportent, et les derniers persistant au contraire à maintenir le principe de la responsabilité de l'armateur tout au moins dans le cas d'avaries provenant de la négligence des équipages. En 1882 déjà, à la conférence de Liverpool, on fit une tentative de rédaction d'un connaissement type. La tentative n'eut pas de succès véritable et fut encore renouvelée en 1885 à la conférence de Hambourg, sans aboutir davantage. La conférence de 1887 aboutira-t-elle à un résultat définitif, c'est assez douteux; mais elle aura servi à bien dégager les points de vue res pectifs; c'est déjà quelque chose.

La conférence de Liverpool avait penché du côté des armateurs, celle de Hambourg pencha du côté des commerçants. Le connaissement de Liverpool dégageait l'armateur de toute responsabilité du chef des accidents de navigation, alors même qu'ils étaient imputables à la négligence, à la faute ou à l'erreur de jugement du capitaine, du pilote ou

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