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qu'elles comprennent un peu mieux que leurs devancières la dignité de leur profession. L'ensemble de l'enseignement français et celui même des grandes écoles de commerce a beaucoup de progrès à faire sur ce point, car on peut dire avec vérité qu'il n'a pas le caractère commercial. En attendant, félicitons Mlle Luquin pour son second volume et souhaitons-lui un succès qui nous semble bien mérité.

C. S.

LA QUESTION AGRAIRE, étude sur l'histoire politique de la petite propriété, par MM. R. MEYER ET G. ARDANT. Paris, 1887.

« La grande propriété occupe aujourd'hui une surface plus grande qu'il y a cent ans, et le droit de ceux qui la détiennent a un caractère plus absolu et tranché qu'il n'a jamais eu depuis l'époque romaine. Ce n'est point le seul démenti que les événements contemporains font aux promesses de 1789; aussi commence-t-on à devenir sceptique à leur endroit et à se demander en particulier si alors le paysan n'a pas été leurré par un bienfait aussi passager que perfide. La liberté complète, l'indépendance sans protection ni garantie, c'est pour la petite propriété rurale, au bout d'un temps plus ou moins long, l'isolement forcé, la ruine fatale.» Telles sont les données générales qui ont guidé les auteurs dans leur étude sur la question agraire qui doit comprendre vraisemblablement deux volumes, et dont celui-ci n'est que la première partie. Leur but, qui se révèle dès maintenant, est la constitution d'une petite propriété entourée de garanties suffisantes, telles que le homestead des Etats-Unis par exemple ou l'insaisissabilité, pour qu'elle ne puisse être emportée aux époques de difficultés. Ces conclusions seront précisées dans la deuxième partie qui est déjà ébauchée par l'introduction jointe à cette première partie.

MM. Ardant et Meyer considèrent la petite propriété comme le remède suprême à la crise sociale qu'ils relèvent dans les temps modernes. Ils étudient avec assez de soin son organisation en Chine, dans la Grèce, à Rome, dans l'empire byzantin, en Irlande, en Pologne et en Russie, et rattachent toujours la conservation de la stabilité politique et économique au respect des préceptes religieux. Les évangiles et les pères de l'église sont pour eux les meilleurs critiques des vices de l'organisation sociale et les meilleurs guides de sa réformation.

C'est dans la généralisation de la petite propriété, conformément aux doctrines d'un socialisme chrétien légèrement modifié, qu'ils trouvent le salut des sociétés modernes.

Pour eux, c'est à tort que l'économie politique orthodoxe a séparé la société civile de la religion et a cherché à développer les appétits égoïs-.

tiques aux dépens de l'esprit de charité, de sacrifice, qu'avait si noblement remis en honneur la religion de Jésus-Christ. Ils ne semblent pas voir que les instincts et les besoins guident seuls les actes des hommes et que le bien-être matériel est la seule chimère qu'ils poursuivent avec persévérance.

L'égalité sociale par le sacrifice serait-elle pratique, même si la foi religieuse reprenait assez d'empire dans le monde pour le gouverner? C'est peu probable. Or, nous sommes aujourd'hui, plus que jamais, éloignés de cette situation; le doute scientifique que les progrès des sciences ont fait naître, autant que l'appétit naturel pour la richesse, s'y opposent invinciblement.

La seconde partie de l'ouvrage doit comprendre l'analyse du mouvement agraire aux Etats-Unis, en Orient, en Allemagne, en France et en Angleterre. Toutes les sociétés et toutes les époques se trouveront donc passées en revue, sauf, toutefois, les périodes de formation de la propriété.

On peut faire au sujet de cette savante étude deux observations. La première, peut-être prématurée, motivée par l'esprit tendencieux que montrent les auteurs, sans qu'ils puissent proposer un moyen pratique d'arriver à la réalisation de leurs idées. On conçoit, en effet, que, si l'on se range avec eux à l avis que le socialisme chrétien peut fournir la meilleure solution du problème social, il faut de plus reconstituer la société sur cette base. Voir un but est bien quelque chose, mais il faut l'atteindre, et pour cela il faut une route.

La seconde observation qu'appelle cette étude dépend en quelque mesure de la première. Les auteurs négligent à peu près complètement les sources qui peuvent être contraires à leur doctrine. Cette abstention s'explique peut-être, mais elle nous prive d'un grand nombre de réfutations qu'il eût été très utile de trouver dans leur travail.

Quoi qu'il en soit, il s'agit ici d'un ouvrage parfaitement conçu et rédigé, présentant la meilleure étude de la propriété comparée qui ait été tentée jusqu'ici, et sortant largement des bornes de la petite propriété qui y est plus spécialement étudiée cependant. C'est donc un livre à recommander même aux économistes orthodoxes qui s'y trouvent quelque peu houspillés, mais qui, suivant les préceptes évangéliques des auteurs, voudront ne voir que la bonne foi qui l'a inspiré et l'ensemble des recherches qu'ils y trouveront résumées.

FRANÇOIS BERNARD.

DES PLANTES VÉNENEUSES et des empoisonnements qu'elles déterminent, par M. CORNEVIN, professeur à l'École nationale vétérinaire de Lyon. Un vol. in-8°, Paris, Firmin-Didot, 1887.

M. Cornevin vient de publier, chez l'éditeur Firmin-Didot, un livre qui, croyons-nous, est appelé à un grand succès. Il traite des plantes vénéneuses et s'adresse particulièrement aux médecins et aux vétérinaires; mais on peut affirmer qu'il intéresse tout le monde et il serait assurément à désirer qu'il se répandit dans les campagnes où les végétaux dont il s'occupe amènent de si fréquents et parfois de si graves accidents.

Les plantes dotées de propriétés nocives sont, en effet, beaucoup plus nombreuses qu'on ne le pense communément. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter la table des matières de l'ouvrage de M. Cornevin. On y trouvera énumérées plus de trois cents espèces dangereuses et, cependant, il ne s'occupe que des plantes phanérogames appartenant à la flore européenne.

Dans la première partie de son livre, l'auteur traite de l'étude générale des poisons d'origine végétale et des intoxications qu'ils occasionnent. Cette étude soulève des questions multiples que M. Cornevin examine avec une parfaite compétence; les unes se rapportent aux plantes qui élaborent les poisons; les autres, aux organismes qui sont impressionnés par les matières toxiques.

Les plantes, indépendamment des matières utiles qu'elles nous fournissent, élaborent également des poisons dont l'étude chimique est déjà fort avancée, mais il n'en est pas de même du déterminisme de leur formation, qui est subordonné aux progrès de la chimie biologique et de la physiologie végétale.

Dans l'état actuel de nos connaissances, on peut, suivant M. Cornevin, admettre que la formation des poisons se rattache à quatre modes :

1o La substance toxique existe dans la graine; elle ne subit pas de modifications lors de la germination, mais elle passe intégralement et immédiatement dans la tigelle et la radicelle qui sont vénéneuses au moment même de leur formation. Il n'y a pas d'interruption dans la toxicité de la plante;

2o Le principe vénéneux n'existe pas dans la graine et on ne le rencontre pas dans la jeune plante; il ne se forme que plus tard, lorsque certaines parties qui l'élaborent, telles que les laticifères pour quelques végétaux, se trouvent dans les conditions nécessaires pour cette production. Il y a transmission héréditaire de la faculté créatrice du poison, mais non du poison lui-même;

3o Il peut arriver que la graine soit vénéneuse sans que la plantule, qui en est issue, le soit immédiatement;

4° Les éléments d'un poison peuvent exister dans un végétal, mais dans des parties ou des tissus séparés de telle sorte que le poison ne se forme réellement que lorsque ces tissus ou ces parties sont déchirés et mis en contact les uns avec les autres. Tel est le cas de quelques rosacées, notamment des amandiers qui renferment de l'amygdaline et de l'émulsine, corps inoffensifs s'ils restent séparés, mais qui, mis en contact en présence de l'eau, produisent de l'acide cyanhydrique.

L'élaboration en poisons chez les végétaux est soumise à des variations nombreuses qui tiennent à diverses causes. Et les différences constatées tant dans le moment d'apparition que dans la quantité des substances toxiques élaborées, tiennent au végétal ou au milieu dans lequel il vit.

L'activité d'une plante vénéneuse peut être subordonnée à son âge; elle peut se montrer dans toutes les parties ou n'être l'apanage que de quelques-unes.

Si, en général, les jeunes pousses des végétaux dangereux élaborent plus activement des poisons que les tissus plus âgés, il n'en est pas toujours de même. Il existe même de très nombreuses plantes qui ne sont pas ou à peine vénéneuses dans le jeune âge et peuvent, à ce moment, être consommées impunément soit par l'homme, soit par les animaux et n'acquièrent des propriétés nocives qu'avec l'âge.

En ce qui concerne le milieu, il exerce une influence d'autant plus prépondérante que les végétaux ne peuvent, comme les animaux, se soustraire partiellement à son action.

La lumière, la chaleur, les saisons, la situation topographique, la nature du sol, la culture, les engrais prennent une part plus ou moins considérable dans l'élaboration et la migration des poisons.

Les empoisonnements spontanés se produisent surtout chez l'homme, dans les campagnes et notamment chez les enfants, car précisément le poison se concentre souvent dans le fruit qui le tente.

Quant aux animaux domestiques, observe judicieusement M. Cornevin, on dit assez fréquemment que, guidés par leur instinct, ils ne touchent point aux plantes qui peuvent les incommoder. Que si, par hasard, ils en mangent avec leurs aliments habituels, ils n'en prennent jamais suffisamment pour faire naître des symptômes alarmants. Cette observation n'est pas exacte, ainsi que de nombreux faits le prouvent. Les ani maux sauvages ne s'empoisonnent pas en s'alimentant, à moins que l'homme n'intervienne pour mêler à leur nourriture quelque substance vénéneuse, mais les animaux domestiques sont dans de tout autres conditions. La domesticité a affaibli en eux l'instinct qui éloigne leurs

congénères en liberté des plantes vénéneuses; quand celles-ci ne possèdent ni saveur âcre, ni odeur nauséabonde, ils les mangent volontiers. De là de nombreux empoisonnements de chevaux et de bœufs par l'if à taie. Certaines circonstances, ajoute-t-il, favorisent les accidents. Tel est le cas des animaux tenus pendant l'hiver en stabulation et qui, au printemps, se jettent avec avidité sur la nourriture verte. Parfois, dans les pâturages, les bonnes et les mauvaises espèces sont si intimement mélangées que le bétail consomme forcément des plantes nuisibles. D'autres fois, l'homme distribue à ses animaax un mélange de bonnes et de mauvaises herbes. Des graines vénéneuses peuvent être attribuées au bétail en même temps que les menus grains de céréales. On voit que diverses causes peuvent introduire des empoisonnements dans nos exploitations rurales, où le soi-disant instinct se trouve complètement en défaut.

La première partie de l'ouvrage se termine par l'examen des diverses causes qui font varier l'énergie d'un même poison.

La seconde partie, qui occupe la plus large place dans le livre de M. Cornevin et sera certainement lue avec intérêt et profit par tout le monde, est consacrée à l'étude des plantes vénéneuses. Il fait d'abord connaître leurs caractères botaniques; les principales espèces sont accompagnées d'excellentes figures qui permettront de les reconnaître aisément. Les accidents que leur consommation peut provoquer chez nos animaux domestiques, de même que chez l'homme et surtout chez les enfants, sont soigneusement indiqués. L'auteur décrit les symptômes consécutifs à l'empoisonnement, les lésions que celui-ci détermine et les principes toxiques auxquels les espèces doivent leurs propriétés nocives. Il signale les remèdes dont on peut faire usage en cas d'accident et met en garde contre les dangers qu'il peut y avoir à consommer la viande d'animaux abattus à la suite d'empoisonnements par certaines plantes.

M. Cornevin résume dans son livre tous les travaux de ses devanciers et des notices bibliographiques renseignent consciencieusement tous les documents où il a puisé; mais il a enrichi son ouvrage de nombreuses et importantes recherches personnelles.

Consacrée entièrement à l'étude des espèces vénéneuses, la seconde partie du livre ne saurait être analysée; aussi nous bornerons-nous à lui faire quelques emprunts qui, pensons-nous, pourront intéresser nos lecteurs et probablement leur donnner envie de faire plus ample connaissance avec le précieux volume.

Beaucoup de personnes apprendront, sans doute, avec étonnement, que le muguet, si recherché au printemps pour son odeur suave, est vénéneux dans toutes ses parties. Les fleurs sont les plus dangereuses,

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