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SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

RÉUNION DU 5 OCTOBRE 1887.

NECROLOGIE.
COMMUNICATION.

M. Hipp. Cahuzac.

de fer à Milan.

DISCUSSION.

La deuxième session du congrès international des chemins

De l'intervention de l'État dans les conditions du travail des femmes et des hommes adultes dans les manufactures et les ateliers. OUVRAGES PRÉSENTÉS.

La réunion est présidée par M. Léon Say, président. A sa droite sont assis, invités par le bureau, MM. Luzzatti et Ellena, délégués par le royaume d'Italie pour la négociation du nouveau traité de commerce franco-italien.

M. le président rappelle à l'assistance la perte récente que vient de faire la Société en la personne de M. Hipp. Cahuzac, qui en était membre depuis 1881. Ancien banquier, M. Cahuzac, qui s'intéressait avec un esprit très ouvert à toutes les questions économiques, avait apporté plus d'une fois le tribut de son expérience pratique dans les discussions qui touchaient aux finances. Il était particulièrement sympathique par l'aménité de son caractère, et ceux de ses collègues qui ont eu occasion de le rencontrer aux séances mensuelles de la Société conservent de lui le meilleur souvenir.

M. A. Courtois, secrétaire perpétuel, énumère les ouvrages et brochures adressés à la Société depuis la précédente réunion. (Voir ci-après la liste de ces publications).

Sur la demande de M. G. de Molinari, M. Léon Say donne à l'assemblée quelques renseignements très intéressants sur les questions d'ordre économique traitées au récent congrès des chemins de fer à Milan, auquel il assistait.

Il rappelle d'abord le caractère de ce congrès, exclusivement consacré à réunir des représentants de l'industrie des chemins de fer dans les divers pays, pour traiter des intérêts spéciaux de cette grande industrie. Voici les quelques sujets susceptibles d'intéresser la Société d'économie politique.

D'abord, dit M. Léon Say, vient la question de l'emploi des femmes dans les chemins de fer. On cherche, dans les divers pays, à étendre cet emploi et à multiplier les attributions qu'on leur confie. C'est

ainsi qu'on les voit appliquées tant au service de la voie, à plusieurs branches de l'exploitation, qu'au travail des bureaux dans l'administration centrale. Il y a maintenant des femmes chefs de gare, dans de petites localités, et l'orateur cite même ce fait d'une femme mettant à l'amende, par mesure disciplinaire, son mari attaché à la station qu'elle dirigeait.

Partout, l'on a constaté que la moralité n'avait nullement à souffrir de ce mélange de sexes, et le Congrès, bien que n'ayant aucun vote à émettre, s'est manifestement montré favorable à cette solution d'une question toujours fort délicate.

Il est vrai qu'en Belgique, on a craint que la femme ne vint faire ainsi à l'homme, dans une foule d'emplois, une déplorable concurrence. Mais cette extension du rôle de la femme semble de plus en plus se justifier depuis qu'elle est largement admise à bénéficier de l'instruction, et l'on a reconnu déjà, dans plusieurs pays, que, au point de vue de l'instruction primaire spécialement, les femmes sont plus avancées que les hommes. En Russie, la femme, d'une manière générale, est très instruite et est capable de remplir des fonctions importantes. Encore une fois, le Congrès a conclu qu'il était utile de développer l'emploi des femmes dans les chemins de fer.

Vient ensuite la question des économats. Tout le monde sait que, dans beaucoup de Compagnies françaises, a été organisée une sorte de patronage grâce auquel l'administration procure à son personnel des denrées et des objets de consommation de toutes sortes dans des conditions d'extrême bon marché. Or, les discussions du Congrès ont semblé démontrer, dit M. Léon Say, que le système français ne paraissait pas le meilleur. En Italie, les délégués des diverses compagnies étrangères ont vu avec le plus vif intérêt fonctionner, entre les employés des chemins de fer, des sociétés coopératives indépendantes, établies les unes dans les villes, les autres extra muros. Les Compagnies italiennes n'interviennent là que pour encourager ces fondations et les favoriser, par exemple, au moyen de réductions de prix sur les transports, réductions allant sur la ligne de la Méditerranée, entre autres, jusqu'à 40 et 50 0/0. Ces sociétés coopératives fonctionnent parfaitement et donnent d'excellents résultats sous ce régime de liberté.

En France, il semble y avoir une tendance à passer à ce système. Déjà la Compagnie de l'Est a transformé son économat en Société coopérative, réalisant ainsi ce que formulait si bien M. Luzzatti lorsqu'il déclarait que, malgré l'intérêt qu'il présente, le patronat est simplement le germe, l'embryon de la Société coopérative.

L'intervention de l'État dans la création des chemins de fer a été

combattue par des arguments qu'il est bon de relever. Les représentants des divers pays venus au Congrès pensent que l'État, en prétendant se faire le défenseur des intérêts du public, des consommateurs, entrave simplement les progrès de l'industrie des chemins de fer. N'y a-t-il pas lieu, pour les Compagnies, à demander une plus grande liberté ? N'y a-t-il pas lieu de distinguer, au point de vue des rapports avec l'État, entre les voies d'intérêt local et celles d'intérêt général ? Il y a aussi une distinction plus importante que celle-là, entre le trafic secondaire et le trafic général, sur laquelle M. Heurteau, directeur de la Compagnie d'Orléans, a rédigé un résumé tout à fait remarquable.

Il y a aussi la question des économies à réaliser dans l'exploitation. Quelles sont les dépenses de la voie, de la traction, qu'il serait possible de réduire ? On a beaucoup parlé des avantages qu'on pourrait retirer d'une meilleure utilisation de la force des machines et de l'application du système américain, suivant lequel la même machine fonctionne à outrance, presque sans repos, ayant plusieurs équipes de chauffeurs et de mécaniciens.

Un ingénieur du Nord, M. Pierron, a développé une combinaison permettant une économie sensible sur la voie, par l'emploi de modifications dans les traverses; il s'est occupé aussi de la gestion des gares, sur laquelle, par une meilleure organisation, l'on pourrait faire de notables réductions de dépenses.

M. Léon Say fait remarquer, d'une façon générale, que l'on conçoit maintenant les économies autrement que jadis. Ainsi, encore jusqu'à ces derniers temps, lorsqu'on voulait économiser, on réduisait la puissance productive du réseau, on réduisait l'outillage, etc. Aujourd'hui, on procède par l'étude de la meilleure utilisation de ce qui existe, sans déperdition de force et sans immobilisation de matériel.

M. Léon Say termine en remerciant l'Italie, représentée à ses côtés par MM. Luzzatti et Ellena, de la splendide réception qui a été faite aux hôtes étrangers et aux vives sympathies dont ils ont été entourés pendant leur séjour à Milan et pendant les charmantes excursions organisées par les membres du Congrès des chemins de fer..

M. Luzzatti reproche à M. Léon Say d'avoir été incomplet dans son rapide résumé du Congrès de Milan. Le président de la Société d'économie politique a oublié, en effet, de signaler la part si large qu'il a prise lui-même aux travaux du Congrès et au succès de cette session.

M. Luzzatti rappelle, en effet, entre autres souvenirs, les paroles éloquentes par lesquelles M. Léon Say enthousiasmait l'assis

tance à Gênes, par exemple, lorsqu'il disait : « Il y a place pour tous les hommes de bonne volonté, il y a place pour Gênes et pour Marseille dans la Méditerranée. Celle-ci baigne également la France et l'Italie, elle ne les sépare pas... >>

M. Luzzatti regrette aussi que dans les Congrès de ce genre, dans celui de Milan, comme dans les autres, on parle de la fraternité des peuples, tandis qu'on en fait si peu.

Partout éclate, à l'heure qu'il est, la méfiance et l'esprit d'antagonisme. Où en sont les vérités scientifiques qui, il y a quinze ans, paraissaient définitivement acquises?

Aujourd'hui, le libre-échange est presque proscrit. Chacun aspire à vivre chez soi et pour soi. L'esprit d'exclusivisme envahit toutes les grandes nations et déjà le particularisme se manifeste clairement. On proscrit les produits étrangers et on se défend contre l'invasion du travail et des bras étrangers.

Que sont donc devenues ces idées de libre travail et de solidarité entre les peuples, qui, il y a vingt ans, faisaient battre tous les cœurs à l'unisson ?

Puis, revenant au Congrès, l'orateur dit qu'une des surprises de cette assemblée a été de voir combien les Compagnies de chemins de fer étaient riches en institutions philantrophiques, telles que caisses de retraites et de secours, économats, crèches, etc., dont on ne soupçonnait pas l'existence. Avant de se séparer, le Congrès a donné mandat à son comité permanent de dresser un questionnaire détaillé et méthodique qui serait envoyé à toutes les Compagnies du monde et qui contiendrait exclusivement des demandes relatives aux institutions de bienfaisance ou de prévoyance organisées par leurs soins. Le prochain Congrès aura aussi un inventaire détaillé qui lui permettra de se rendre compte de tout ce qui a été fait pour l'amélioration matérielle et morale du sort des employés de chemins de fer.

Comme M. Léon Lay, M. Luzzatti a constaté que partout les employés avaient une tendance à ne plus profiter des avantages de l'économat organisé par les patrons et qu'ils préféraient fonder, à leurs risques et périls, des sociétés coopératives de consommation administrées par eux. L'orateur voit ce mouvement avec satisfaction, parce qu'il estime que les institutions de bienfaisance organisées par les patrons ont le tort de retarder l'avènement de la prévoyance libre, bien supérieure, sous tous les rapports, à la prévoyance officielle. Quant à lui, tout en reconnaissant, avec les orateurs qui ont pris part au Congrès de Milan, combien ces institutions sont difficiles à classer, il croit pourtant qu'on peut les grouper en trois catégories :

1o Les patronages. Les fondations organisées par les Compagnies pour améliorer le sort de leurs employés et sans le concours de ceuxci. On refuse avec raison à ces créations le titre d'institutions de prévoyance.

2o Institutions mixtes, où les Compagnies et le personnel confondent et mêlent leur action et leurs moyens.

3o Institutions pures de prévoyance, où les intéressés eux-mêmes, personnellement, pourvoient aux secours aux malades, aux secours contre les accidents, organisent la prévoyance pour l'avenir pour la vieillesse.

La seule prévoyance, sans le patronage, est capable, suivant M. Luzzatti, de résoudre toutes les difficultés, et de donner toutes les garanties, toutes les satisfactions nécessaires au nombreux personnel des chemins de fer.

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L'enquête qui va se faire permettra du reste d'étudier le problème avec de précieux éléments qui font encore défaut. L'Allemagne, qui ne s'était pas fait représenter au Congrès, l'Allemagne, où l'on a substitué depuis peu la prévoyance obligatoire à la prévoyance libre, fournira sans doute d'importants renseignements, en montrant les résultats obtenus par le système autoritaire.

Encore une fois, pour M. Luzzatti, le système mixte ci-dessus est celui qui conduit le plus sûrement, au point de vue de la dignité humaine et du progrès économique, à l'organisation supérieure de la prévoyance individuelle et libre.

M. Léon Say ajoute encore un mot au sujet de la question de savoir si les traitements des employés de chemins de fer doivent être insaisissables et dans quelle mesure; cette question a donné lieu à une discussion intéressante. Un fait nous a, dit-il, particulièrement frappé : c'est qu'à Milan, lorsque cette question a été discutée en réunion plénière, les directeurs des grandes Compagnies se sont prononcés en grande majorité en faveur de l'insaisissabilité des traitements, tandis que les hommes de science, les économistes, les jurisconsultes inclinaient vers une solution contraire.

M. Léon Say propose ensuite d'utiliser la fin de la séance pour revenir à l'ordre du jour, un peu modifié. On étudierait plus particulièrement :

L'INTERVENTION DE L'ÉTAT POUR RÉGLEMENTER LE TRAVAIL DES

FEMMES DANS L'INDUSTRIE.

L'orateur rappelle que, récemment, en Angleterre, un bill interdisant aux femmes le travail dans les mines avait été voté par la Chambre des communes.

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