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SOMMAIRE DU NUMÉRO DE DÉCEMBRE 1887.

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE ET COMMERCIAL

DES

ÉCONOMISTES

LE MOMENT PSYCHOLOGIQUE

C'est à l'Europe, c'est à la civilisation, dont elle a été jusqu'à ce jour la principale personnification, que nous pensons en écrivant ces. mots. L'Europe va-t-elle, comme beaucoup le croient et comme quelques-uns malheureusement le souhaitent, s'engager demain dans la voie sanglante où se préparent à se rencontrer les rivalités, les ambitions, les ressentiments, les revendications qui la divisent? Va-t-elle, comme d'autres le désirent et le réclament, sans toujours l'espérer beaucoup, entrer au contraire dans la voie bénie de la sagesse et de l'équité et rendre peu à peu au travail qui produit et rassure les forces et les ressources trop longtemps absorbées par la guerre qui détruit et par les préparatifs de guerre qui inquiètent et stérilisent? L'ogre de la guerre qui, suivant l'expression de Bastiat, consomme autant pour ses digestions que pour ses repas, doit-il, avant la fin de ce siècle et pour l'anniversaire de 1789 peut-être, nous donner le spectacle du plus formidable déchaînement de ses appétits qu'ait jamais vu le monde? Ou doit-il enfin, comme ces forces redoutables que la science moderne a tournées en instruments dociles et bienfaisants, désarmer devant les progrès de la raison humaine et laisser à l'industrie laborieuse des villes et des campagnes, au percement des isthmes, à l'aménagement des eaux, au dessèchement des marais et à l'assainissement de ces foyers d'infection d'où s'échappent la fièvre et la peste, à la lutte contre les fléaux naturels en un mot, les budgets immenses, les engins prodigieux et les trésors de courage, de dévouement et d'énergie morale employés depuis trop longtemps à étendre sur la surface de la terre le cercle infernal des maux artificiels ?

Telle est la question qui depuis longtemps, mais à cette heure plus que jamais, se pose devant nous et sur laquelle, sans avoir la prétention d'y donner une réponse formelle, nous croyons devoir

4. SÉRIE, T. XL. 15 décembre 1887.

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appeler avec plus d'insistance que jamais l'attention de tous ceux qui ne font pas profession d'insouciance, d'aveuglement ou de fatalisme.

Deux tendances, pour quiconque sait voir et réfléchir, deux courants, comme l'on dit, sont aux prises dans le monde contemporain; deux ordres de faits, inégalement remarqués peut-être, parce que les uns frappent les yeux du corps tandis que les autres s'adressent surtout aux yeux de l'esprit, mais également puissants et considérables, se partagent le domaine de la politique internationale. D'un côté, que voyons-nous? Des armements tels que jamais l'histoire n'en avait montrés et l'imagination rêvés. Des populations entières appelées dans les camps, et la majeure partie des ressources des nations employée à préparer le carnage et l'incendie. Des moyens de destruction. capables de faire en un jour, en une heure, disparaître des millions d'hommes, sauter des villes entières et sombrer dans le néant le produit du labeur lentement accumulé de mille générations. Et au milieu de cet amas de matières inflammables dont la moindre étincelle peut déterminer l'explosion, les sujets les plus graves d'irritation, de colères, de rancunes et des mains, tantôt malfaisantes et tantôt généreuses mais imprudentes; promenant au hasard des torches dont le moindre vent peut faire sortir la conflagration universelle. Voilà ce que nous voyons, et ce qui nous fait dire que demain, à la place où la civilisation européenne s'enorgueillit de ses lumières et de sa grandeur, il ne restera plus peut-être, comme dans ces plaines désolées où le voyageur cherche les ruines de Babylone et de Ninive, que des débris informes de ce que fut l'Europe et des vestiges destinés à dire aux âges futurs à quels abîmes conduisent fatalement les emportements de la discorde et de la haine.

Oui, nous voyons tout cela, mais nous voyons autre chose en même temps.

Nous voyons d'abord que, malgré les plus sinistres et, il faut le dire, les plus plausibles prédictions, cette conflagration tant redoutée (parce qu'elle est justement redoutée précisément), n'éclate pas. Nous voyons que tandis que d'une main, pour employer l'expression vulgaire, on sèche ses poudres, de l'autre on les mouille; et qu'à peine un conflit de nature à susciter le recours aux armes a-t-il surgi sur un point quelconque de l'horizon, aus sitòt et de tous les points de l'horizon les influences les plus diverses s'emploient à l'empêcher de s'envenimer et de dégénérer en guerre déclarée. Tantôt, c'est la Russie et l'Angleterre qui, face à face dans l'Afghanistan, ont déjà vu les avant-postes se rencontrer et le sang couler; le monde s'émeut, des médiations amicales interviennent et

les armes sont remises au fourreau. Tantôt c'est l'Allemagne et l'Espagne qui ont l'une contre l'autre les griefs les plus sérieux et en d'autres temps les moins susceptibles d'arrangement. Ici, le drapeau national, emblême de la souveraineté, a été, malgré la présence d'un navire de guerre, l'objet d'une violence intentionnelle. Là, les immunités du personnel et du territoire diplomatique ont été outrageusement méconnues: la pensée d'un arbitrage est suggérée et l'arbitrage règle tout. Ailleurs, sans que le mot soit prononcé, la chose se réalise plus ou moins; et si le recours aux bons offices des puissances amies n'est pas ostensiblement réclamé ou offert, nul doute que ses bons offices n'interviennent dans l'ombre avec une efficacité d'autant plus réelle qu'elle est plus discrète. Pourquoi le conflit turco-grec a-t-il été apaisé au moment où il semblait le plus menaçant? Parce que le temps est venu, suivant les paroles du président du Conseil, qui dirigeait alors les affaires étrangères en France, de substituer à la voix brutale du canon la voix de la raison, de la justice et de l'humanité. Pourquoi depuis tant de mois la question de la Bulgarie n'a-t-elle pas mis aux prises les grandes puissances et le feu allumé dans cette province y a-t-il été circonscrit et jusqu'à un certain point étouffé sur place? Parce que, dans l'appréhension trop justifiée du développement que pouvait prendre l'incendie, les puissances directement intéressées et les autres se trouvent d'accord pour ne pas permettre que l'on réveille à cette occasion l'éternel cauchemar de la question d'Orient. Pourquoi, dans le cours de cette année même et malgré tant de prophéties contraires, les douloureux incidents qui ont mis en péril à plusieurs reprises la paix de l'Europe occidentale ont-ils pu, presque contre toute attente, être réglés sans effusion de sang et, il faut le dire pour être juste, de la façon la plus honorable pour les deux partis ? Parce que, ni à Paris, ni à Berlin, on n'oubliait que la victoire dans une guerre entre la France et l'Allemagne peut n'être, suivant l'expression de M. de Bismarck lui-même, qu'une question de hasard, et que ni à Paris, ni à Berlin, on ne se souciait d'assumer la responsabilité de ce formidable appel au hasard; mais aussi, on peut le dire avec certitude sans avoir la prétention d'avoir été en rien dans le secret des gouvernements et des chancelleries, parce que, à Paris comme à Berlin et à Berlin comme à Paris, la voix du reste de l'Europe a su se faire entendre, et que de partout les mêmes conseils de modération, de prudence et de sagesse sont venus faire comprendre que l'opinion de l'Europe était unanime à réclamer une solution pacifique et à condamner celui des gouvernements en cause qui s'y refuserait. En tout, partout, toujours, n'est-ce pas sous une forme nouvelle ou sous une autre, avouée ou tacite, ce procédé hier tant décrié de la médiation et

« EelmineJätka »