tiers; 19.455 marchands de vin à emporter; 54.189 restaurateurs et aubergistes; 90.312 épiciers. Or, la consommation en alcools se fait principalement dans les deux premières catégories; et c'est sur ces catégories qu'il aurait fallu porter la comparaison et non sur l'ensemble des débits. M. Fournier de Flaix dit ne pouvoir admettre les conclusions du Rapport de M. Claude sur l'augmentation progressive de la consommation des alcools. Il suffit de se reporter au travail de M. Broch sur les excitants modernes, pour voir que depuis 1875 les diverses consommations classées sous ce titre ont diminué, à l'exception peut-être du sucre, qu'on ne peut, à vrai dire, considérer comme un excitant. Il conteste également l'évaluation qui a été faite de la fraude due aux bouilleurs de cru. Si les chiffres cités étaient exacts, la consommation réelle de l'alcool serait plus forte en France qu'elle ne l'est en Allemagne et même en Russie, ce qui est absolument invraisemblable. Quant aux bouilleurs de cru, qu'on voudrait faire passer pour des fraudeurs, il ne faut pas oublier que ce sont en général des propriétaires fonciers, travaillant pour eux-mêmes et peu disposés à tromper le fisc. Il ne sait pas ce qui se passe en Normandie, mais il peut se porter garant à cet égard pour les vignerons de la Gironde, de la Champagne et de la Bourgogne. M. Turquan a présenté plusieurs diagrammes, dans lesquels il a juxtaposé des faits qui peuvent n'avoir aucun rapport l'un avec l'autre. M. Fournier pense en outre qu'il ne faut pas abuser des moyennes trop générales; ces moyennes ayant pour effet de masquer certains faits qui sont de nature à éclairer la question, en permettant de trouver les causes du phénomène à étudier. Revenant aux bouilleurs de cru, M. Fournier de Flaix dit que c'est à eux que l'on doit les meilleures eaux-de-vie, et que tous les hygiénistes sont d'accord pour les préférer aux alcools, même les mieux rectifiés, de l'industrie. La réprobation dont on les poursuit ne lui parait donc pas tout à fait justifiée. Cette discussion sur la question de l'alcool sera continuée dans la séance de décembre. COMPTES RENDUS HISTOIRE DES GRÈVES, par CHARLES RENAULT. 1 vol. in-18. Paris, 1887, (Guillaumin.) Après avoir mis sans succès, une première fois au concours, pour le prix Rossi, la question des coalitions et des grèves, l'Académie des sciences morales et politiques l'a de nouveau proposée en 1885, et M. Charles Renault a obtenu la récompense, sinon le prix, qu'elle a décernée au meilleur des six mémoires qui lui ont été présentés. L'Académie souhaitait, dit son rapporteur, que les candidats se livrassent à des recherches historiques qui leur permissent de dresser un tableau aussi complet que possible des coalitions et des grèves et de leurs résultats. Elle voulait en même temps que les questions de principes ne fussent pas perdues de vue, que la notion du salaire, notamment, et des influences diverses qu'il subit, fût attentivement analysée. Elle désirait donc faire naître tout à la fois une œuvre de doctrine et d'histoire. M. Charles Renault n'offre au public aujourd'hui que la partie historique de son travail, trop séparée, à mon sens, de la partie doctrinale qu'il se réserve de publier plus tard. Exposer l'histoire des grèves sans parler des modes et des lois du travail, des besoins et des ambitions des ouvriers, des prescriptions pénales promulguées à l'occasion des revendications de ces derniers et des conséquences mêmes des grèves sur l'ensemble de la production, c'est vraiment œuvre trop restreinte. Le rapporteur de l'Académie reprochait à M. Renault de n'avoir nulle part traité de la nature du salaire, des causes réelles et diverses qui déterminent la rémunération de l'ouvrier ». Je lui reprocherais, on le voit, autre chose encore, ainsi que l'oubli par trop absolu du milieu économique, politique et social dans lequel se sont produites les grèves. L'histoire réduite au pur récit d'un certain ordre de faits présente peu d'intérêt, et quel avantage scientifique en saurait-il provenir? M. Charles Renault a cependant voulu marquer l'origine des travaux manuels dûment organisés, puisqu'il remonte aux corporations d'artisans du temps de Romulus et de Numa. « Tout le monde sait qu'à Rome elles remontent à cette époque, dit-il. » Tout le monde, je le veux bien, pourvu que n'y soient compris ni Niebuhr, ni à peu près tous les historiens autorisés. Conçoit-on des corps de métiers parmi les bandes conduites par Romulus, à supposer que Romulus ait existé? Du reste, M. Renault se contente de cette simple indication. Et il ne pouvait guère faire autrement; car il ne consacre que douze pages et demie in-32 à l'histoire des grèves de l'antiquité, du moyen âge et de l'ancien régime, comme il n'en consacre que six à celle des grèves de la révolution, de l'empire et de la restauration. On dirait qu'il craint l'ennui de ses lecteurs. Lui-même écrit : « Comment présenter avec intérêt la série des innombrables luttes du capital et du travail?... Le sujet est monotone. Toutes les grèves se ressemblent... Les incidents sont souvent les mêmes... » Cette histoire n'est ni attrayante, ni variée». Mais ne serait-elle ni attrayante ni variée si elle était autrement comprise et exposée ? M. Charles Renault a voulu rappeler toutes les grèves françaises et les principales grèves étrangères, surtout celles de la Belgique et de l'Angleterre, dans un cadre trop restreint, en les isolant de tout ce qui les explique, et de tout ce qui en fait la vie et le caractère, la justification et le succès bien rarement, la condamnation et l'échec presque toujours. Quel intérêt en pouvait-il ressortir? Il s'est livré à beaucoup de recherches méritoires; mais des recherches n'empêchent pas un travail de paraître monotone et peu attrayant. Voici, par exemple, de quelle sorte il rend compte des grèves du mois de mars 1884 : << TISSEURS DE SAINT-SOUPLET (Nord). prix du travail. - Cause Diminution sur le « Incidents: Quelques pierres lancées et quelques menaces aussi. << Issue: Soumission prompte des grévistes. « TISSEURS DE LEERS (Nord). Cause Refus de vingt-cinq ouvriers de travailler sur quatre métiers et demande par eux de l'affichage du tarif dans les ateliers. « Incidents: Placards sans retenue ni orthographe signés : Ceux qui se chargent de l'exécution des patrons. << TISSEURS DE ROUBAIX. » « JARDINIERS, MARCHANDS DE FRUITS ET DE LÉGUMES DE TOULON. - Cause : Augmentation par la municipalité du prix des places. « Issue: Résiliation de l'adjudication demandée par le fermier et acceptée par la municipalité et le Conseil. Sept « OUVRIERS MANUFACTURIERS DE TETSCHEN (Autriche-Hongrie). mille grévistes! Lettres de menaces aux fonctionnaires. Un bataillon d'infanterie est envoyé de Theresienstadt. » Sept autres grèves de France, de Tunisie, de New-York sont encore ainsi décrites pour le mois de mars 1884. Peut-être M. Charles Renault a-t-il pensé que cette manière de procéder, qui rappelle singulièrement les éphémérides de fin d'année des journaux, rentrait dans le programme du prix Rossi. Pour moi, je m'attendais, je l'avoue, à une tout autre suite d'observations en ouvrant son livre. Je croyais y trouver la successive exposition des principales grèves, décrites dans leur milieu social et économique, avec au moins l'indication des mœurs et des pensées ouvrières de chaque époque. N'y aurait-il pas eu là plus d'intérêt et de profit ? - Toutes les grèves rappelées par M. Charles Renault ne sont pas pourtant aussi succinctement retracées. Mais il en cite tant qu'il ne peut s'étendre suffisamment, même sur celles dont il expose le mieux ce qu'il nomme les incidents. Parmi celles-ci, je citerai notamment la grève de Lyon du commencement de la monarchie de juillet et celles de Decazeville et de Vierzon de ces dernières années. Comment ne puis-je ajouter à cette courte liste la grève de Ricamarie, d'Aubin et du Creuzot, de la fin du second empire? Son importance et son caractère l'y auraient au moins, je crois, dû placer. Pour les grèves de Lyon, de Decazeville et de Vierzon elles-mêmes, je suis encore forcé de dire que M. Renault s'en tient trop aux tumultueux incidents qui s'y sont {manifestés. En lisant les trois pages consacrées à la grève de Lyon, de 1831, je me rappelais mon premier voyage économique, quelques années plus tard. Comme j'admirais ces ouvriers de Lyon, si trompés et si imprévoyants! Dans leur exaltation insensée, au milieu de leurs folles ambitions, qui venaient de tellement surprendre les classes dirigeantes et si ignorantes de cette époque, quelle dignité de sentiment et de conduite ils montraient ! C'étaient sans comparaison les premiers ouvriers de France. A bien des portes des petits ateliers ou des petits ménages de la Croix-Rousse, j'ai offert quelques pièces de monnaie ; pas une fois elles n'ont été acceptées. Aucun rubannier de Saint-Etienne, à quelques jours de là, n'attendait mon offre pour me tendre la main. De telles oppositions et de tels faits ne valent-ils pas d'être connus et rapportés ? Pourquoi n'avoir rien dit non plus, à propos des grèves de Decazeville et de Vierzon, de l'apparition en plein jour, dans ces grèves, des politiciens, spéculant honteusement, cyniquement, sur leurs mensonges et la misère des ouvriers, pour satisfaire leurs basses et détestables convoitises ? Méprisables énergumènes, qui, sur les ruines de la production, sonnent l'assaut des riches, à la façon de Marat, dont ils n'ont pas le désintéressement, assistés par moments, quelque étonnement que cela puisse causer, de l'administration et des pouvoirs publics. Un ouvrier disait bien, après beaucoup de grèves : « La grève, c'est une bonne chose pour ceux qui la font; ça sert à avoir des places. >> Quant aux grèves étrangères, M. Charles Renault, si laconique, m'a quelquefois fait regretter de ne l'ètre pas assez. Il attribue, par exemple, la prospérité manufacturière des Etats-Unis à leur tarif douanier, et il déclare la concentration des capitaux « la plaie de l'Amérique ». C'est, on l'avouera, d'une étrange économie politique. Il aurait bien fait, à mon avis, de négliger ces observations pour parler à propos de l'Angleterre, des trades-unions, et à propos des Etats-Unis, des Chevaliers du travail, cette récente et très curieuse association, mi-démocratique et mi-socialiste, qui peut avoir bientôt de si graves conséquences. Les essais et les tribunaux de conciliation de MM. Mundella et Rupert Kettle auraient aussi dû peut-être trouver place dans cette partie de l'Histoire des grèves. Je paraîtrai sans doute trop sévère à M. Charles Renault; mais il se consolera facilement en se rappelant la récompense de l'Académie des sciences morales et politiques. Je n'ai pas voulu, d'ailleurs, atténuer mes critiques, dans l'espoir, s'il y fait quelque attention, qu'il en tiendra compte dans la seconde partie de son travail. GUSTAVE DU PUYNODE. PROTECTION OU LIBRE-ÉCHANGE, de M. HENRY GEORGE, traduit de l'anglais et précédé d'une préface par M. Louis Vossion; orné d'un portrait de l'auteur. In-8, Paris, Guillaumin et Cie, 1887. Protectionbyor Fre trades HENRY GEORGE, Kegan Paul, Trench et Co. London, 1886. Le dernier ouvrage de M. Henry George est aussi le meilleur. En le lisant on a peine à se rappeler que le même écrivain a soutenu tant d'erreurs, qu'il est le partisan de la nationalisation du sol, l'ennemi des machines et du progrès, qu'il a repris pour son compte, les idées de Proudhon; et ces idées il les a exposées avec tant de hardiesse et de verve, qu'il les a fait paraître presque nouvelles. M. H. George n'a pas renoncé à ses doctrines anti-économiques : la dernière partie de Protection ou Libre-Echange en est la preuve; mais sur la question du libre-échange, M. George parle en économiste. Il défend la bonne cause avec le talent d'écrivain qu'il avait déployé pour appuyer de fausses théories. Il est impossible de mieux présenter les arguments en faveur du libre-échange et de mieux démontrer l'inconséquence des arguments des protectionnistes, leur peu de portée, et les fâcheuses conséquences de l'application de leur doctrine. Toute la partie du livre qui se rapporte au libre-échange (les 300 premières pages) est vraiment remarquable, et ce n'est pas un mince triomphe que d'arriver à faire une œuvre originale et forte sur cette question, tant débattue. Dire quelque chose de nouveau et de juste, après les grands champions du libre-échange, après Cobden et Bright, |