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Nous empruntons ces citations à la traduction de M. Louis Vossion qui a fort bien rendu le charme du style et l'entrain de l'auteur américain. Il a fait précéder la traduction d'une préface, où il donne des détails biographiques intéressants.

« Henry George est né le 2 septembre 1839 à Philadelphie. Ce fut dans les écoles publiques de cette ville qu'il reçut son éducation première. Jusqu'à l'âge de trente ans, sa vie ne fut marquée par aucun incident notable. Après avoir essayé de diverses professions, il se fixa dans celle de typographe, puis devint reporter, journaliste et finalement, en 1869, nous le trouvons éditeur et propriétaire du journal the Post de SanFrancisco; en 1872, il prit part, comme délégué, à la convention de Baltimore qui désigna M. Greeley comme candidat à l'élection présidentielle. A son retour en Californie, il fit paraître un nouveau journal, the State, qui n'eut qu'une existence précaire. Ce fut en 1879 que son nom fut révélé au public pour la première fois par la publication de son beau livre Progress and Poverty qui eut un succès retentissant. On en fit en Angleterre une édition bon marché à un schilling qui inonda le monde...

Au physique, Henry George est de petite taille, trapu et fort simple d'allures. L'œil est vif et inquisiteur. Quand il parle en public, il se promène de long en large devant la tribune, les mains dans les poches et avec une certaine crânerie qui ne messied pas. Sa voix est forte et porte jusqu'aux confins les plus éloignés de la salle. Le geste, quelquefois violent, est toujours juste; il n'ignore aucune des ressources de la mimique oratoire. Son débit est vif, sa parole élégante, et toujours claire; il ne se sert que d'arguments simples, faisant image, et pouvant être compris facilement par les masses. Il est d'ailleurs profondément convaincu, et quel que soit le sujet qu'il traite, il force l'attention de son auditoire; celui-ci peut être hostile, il n'est jamais et ne saurait jamais être indifférent ».

Nous pourrions reprocher à M. Vossion un enthousiasme excessif pour les autres doctrines de M. Henry George qui ne sont pas toutes aussi justes que celles sur le libre-échange. Il exagère le rôle politique que M. George est appelé à jouer, et la nouvelle Croisade n'a pas autant de chance de succès qu'on pourrait le croire en lisant la préface de M. Vossion. Les Chevaliers du Travail ont bien perdu de leur crédit aux Etats-Unis, le nombre de leurs adhérents diminue considérablement, et cette association ne semble pas appelée à produire des résultats plus durables que l'Association internationale des Travailleurs, qui lui a servi de modèle.

Il est vrai que la préface date du mois de mai 1887 et peut-être aujourd'hui M. Vossion ne parlerait pas avec autant de confiance des

Cheva iers du Travail et de la campagne que dirigent MM. Henry George, Powderly et Mac Glynn 1.

Mais sans un peu d'aveuglement le traducteur n'aurait peut-être pas si bien accompli sa tâche, et il s'en est trop bien acquitté pour que l'on songe à se plaindre, au moment de fermer ce superbe volume, placé par l'auteur américain sous une invocation qui dispose à la sympathie.

M. Henry George a dédié son livre: « A la mémoire de ces illustres Français d'il y a un siècle, Quesnay, Turgot, Mirabeau, Condorcet, Dupont et leurs amis, qui, dans la nuit du despotisme, ont prédit les splendeurs de l'ère nouvelle ».

Le livre de M. Henry George n'est pas indigne d'une telle dédicace. Il s'y trouve tant de raison, d'élévation d'esprit et d'éloquence, que le seul regretdu lecteur, c'est que l'auteur ne soit pas resté sur le terrain de la protection et du libre-échange et n'ait pas réservé les cent dernières pages pour un autre volume. Il n'y aurait eu alors aucune réserve à faire.

SOPHIE RAFFALOVICH.

LIFE OF ADAM SMITH, par R.-B. HALDANE. Londres, Walter Scott. 1887. M. Haldane vient d'écrire une charmante biographie d'Adam Smith. La vie du grand économiste s'est écoulée fort paisiblement dans le travail et la retraite. Il n'a été mêlé à aucun événement mémorable, et c'est dans un calme absolu qu'il a composé l'ouvrage qui a produit une des plus grandes révolutions dans le monde. « On peut dire d'Adam Smith, et sans crainte de contradictions, écrivait Buckle, que cet Ecossais isolé, par la publication d'un seul ouvrage a plus fait pour le bonheur de l'humanité que les efforts réunis des législateurs et des hommes d'État, dont l'histoire nous a gardé le souvenir ». Et Buckle rappelle comment les grandes vérités démontrées par Adam Smith ont gagné peu à peu du terrain; quelques hommes d'élite les comprirent et les firent entendre dans la Chambre des communes, à l'étonnement des membres de cette assemblée « dont les opinions étaient réglées par la sagesse des ancêtres, et qui étaient peu disposés à croire qu'une vérité, inconnue des anciens, pouvait être découverte par les modernes. » La

1 Pour se convaincre à quel point a été rapide le recul de l'Association des Chevaliers du Travail,il suffit de lire les derniers numéros du journal américain the Nation, l'article de M. Charles K. Adams dans la Contemporary Review du mois de novembre et un article intéressant de l'Economiste français du 12 novembre sur les Socialistes allemands, où l'on peut constater les résultats différents obtenus par un régime de liberté et par un régime de répression.

minorité, qui avait adopté les idées d'Adam Smith grossit avec les années; elle devint une majorité; en 1846, la victoire de la Ligue contre les lois céréales venant consacrer la doctrine de liberté commerciale exposée avec tant d'autorité dans la Richesse des nations.

Mais ce n'est pas ce triomphe que M. Haldane nous raconte, c'est la vie modeste du grand homme de lettres, et son récit est très attachant. Après avoir terminé la biographie, il passe en revue les travaux d'Adam Smith. Le chapitre consacré à la Théorie des sentiments moraux est intéressant, et M. Haldane fait bien voir les points sur lesquels Smith est d'accord avec son contemporain et ami David Hume. Il s'occupe ensuite de l'œuvre, qui a rendu immortel le nom d'Adam Smith. Il indique les grandes lignes de la Richesse des nations, les idées principales que Smith a développées, il montre en quoi il se sépare de l'école française, et en même temps tout ce qu'il doit à Quesnay et à Turgot, il énumère les théories les plus importantes que Smith a mises en lumière, et il définit ce qui caractérise le plus sa méthode.

Mais c'est toujours une œuvre ingrate que de résumer la Richesse des nations, et après avoir lu le travail de M. Haldane, comme après celui de M. Delatour', ce qu'il y a de mieux à faire, c'est d'oublier tous les commentateurs et de prendre en mains la Richesse des nations. Toutefois pour ceux qui n'ont pas le temps nécessaire à consacrer à cette étude, le volume de M. Haldane est excellent, et leur donnera une notion exacte de la tâche accomplie par Adam Smith. Sa biographie est de dimension plus modeste que celle de M. Delatour, mais elle nous paraît conçue dans un meilleur esprit. Tout en faisant ressortir ce qu'Adam Smith devait à ses devanciers et à ses contemporains, tant en Angleterre qu'en France, M. Haldane s'abstient d'attribuer à l'économiste écossais un indigne et puéril sentiment de jalousie à l'égard des physiocrates. Adam Smith était le premier d'ailleurs à exprimer sa reconnaissance pour les écrivains français, et si la mort de Quesnay ne l'en eût empèché, c'est à lui qu'il avait l'intention de dédier son grand ouvrage. Et dans les pages de la Richesse des nations, tout en démontrant l'erreur fondamentale des physiocrates, il a rendu pleine justice aux hommes qui ont les premiers découvert les lois de la science économique.

S. R.

Adam Smith, sa vie, ses travaux, sa doctrine, par Albert Delatour. Librairie Guillaumin et Cie, 1886.

ÉCONOMIE SOCIALE ET POLITIQUE, OU SCIENCE DE LA VIE, par l'abbé Camille RAMBAUD. 1 vol. in-8, Paris, Victor Lecoffre, 1887.

Le titre est peu long et peu en rapport avec le livre qui n'est que la reproduction d'une série de leçons, destinées à des élèves d'école primaire, et portant sur des sujets assez variés.

C'est de propos délibéré que l'abbé Rambaud a fait l'école buissonnière. Voici ce qu'il dit dans sa préface: « Nous serions coupables si <<< nous nous étions renfermés dans les limites que se tracent les traités << d'économie politique...........; mais nourri de la lecture de F. Ozanam, < éclairé par le spiritualisme en économie politique d'A. Rondelet; par ⚫ les réflexions de M. Blanc de St-Bonnet et par notre propre expé<rience, l'économie sociale nous est apparue sous un jour complètement < nouveau. Nous n'avons pas consenti à voir seulement en elle une << simple étude des questions concernant la production et la consomma<<tion, le régime des douanes et des monnaies, les institutions de cré<< dit... Nous l'avons considérée, bien au contraire,comme une science de « premier ordre, chargée de nous révéler les lois de la vie elle-même < dans ce qu'elle a de plus élevé... etc. >

La table des matières nous dira plus clairement que cette préface, ce que l'abbé Rambaud, dédaigneux de l'économie politique, a voulu faire.

Le livre se divise en 106 chapitres : Voici les titres de quelques-uns : Des choses nécessaires à la vie ; pour le logement; pour le vêtement;... etc;

Routes; fleuves; canaux; ports: phares, éclairage des côtes; postes ; télégraphes; les villes; etc;

Des banquiers; des sociétés par actions; des prêts par hypothèques ;... etc;

De l'armée; de la justice; etc., des arts;

Des différentes formes de gouvernement;... etc., de la responsabilité ministérielle;... etc., des élections ;... etc;

Des impôts;... etc., budget d'une grande ville;

Des lois;... du code;...

Des grandes usines;... de ce qui peut être fait pour contrebalancer les inconvénients des grandes usines;... qu'il est bon que les fils des industriels et des commerçants leur succèdent et que la fortune héréditaire oblige comme obligerait la noblesse ;...

Que l'avenir des enfants dépend beaucoup de leur éducation;...
Des rapports entre l'Église et l'État;... de l'esprit politique.

Par ces citations on voit très clairement que le livre de M. l'abbé Rambaud n'est pas un traité de quoi que ce soit. C'est en effet un re

cueil de développements très élémentaires sur un grand nombre de sujets, de droit civil ou administratif, de politique, d'économie politique, de morale.

Les intentions de l'auteur sont louables; il a voulu instruire de jeunes enfants, leur expliquer quelques rouages essentiels de la machine administrative, leur décrire des organes de la vie politique, leur faire connaître des faits sociaux. En se lançant sur le terrain d'un enseignement dont il ne voyait sans doute aucun modèle autour de lui, il a cru qu'il créait une science nouvelle : le titre du livre n'est en rapport ni avec les sujets assez variés qu'il contient ni avec la façon élémentaire dont ils sont traités. Ce travail peut être utile à des gens chargés de l'éducation de jeunes enfants, ou à des personnes très igno

rantes.

LÉON ROQUET.

MÉMOIRES DE LA SOCIETÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES ET BELLES LETTRES de Bayeux. Tome X.

Ces Mémoires embrassent une période de quatre ans à peu près, du mois de novembre 1879 au mois de décembre 1883, mais la publication n'a pu en être achevée qu'en 1887. Ils se divisent en deux parties bien distinctes, l'agriculture prenant, à elle seule, plus de la moitié du volume; c'est qu'en effet entre Bayeux et Isigny les soins de la terre forment la grande préoccupation des habitants; là se trouve la source de leur bien-être, le reste n'attire l'attention qu'à titre de délassement.

Comme on le pense, les pâturages, les vaches laitières prennent le premier rang dans les discussions de la Société ; ce sujet traité au point de vue technique n'est pas de ceux dont le Journal des Économistes ait à s'inquiéter, on n'y trouve guère à relever que la tentation d'obtenir de l'État qu'une vacherie modèle comme celle de Corbon soit fondée dans la région si fameuse par

....

cette pâte onctueuse au teint de la jonquille Que fournit de Brunou la nombreuse famille

et qu'a chantée un poète du crû, Gabriel Delaunay. Certaines démarches ont été entamée à cet effet, mais en gens avisés, les Normands de Bayeux n'ont pas compté, même à moitié, sur les faveurs officielles et il est à croire que commençant par s'aider d'eux-mêmes, s'ils ne provoquent par les grâces d'en haut, ils sauront s'en passer.

On doit louer l'attention qu'ils commencent à montrer pour la production du cidre; pour peu qu'ils le veuillent, ils pourront bientôt rivaliser à cet égard avec les arrondissements situés au delà de l'Orne. On le souhaite sans toutefois aller jusqu'à partager leur ambition de suppléer

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