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CHRONIQUE

SOMMAIRE.

Fin de la crise présidentielle.

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La guerre de tarifs entre la France et l'Italie. L'admission en franchise à charge de réexportation. L'identique et l'équivalent. · Les rapports des Compagnies de chemins de fer avec leurs agents commissionnés. Un abus des caisses de retraite. La lettre de M. de Lesseps au sujet du canal de Panama.- Les unemployed de Trafalgar Square. Le Congrès des socialistes allemands à Bruggen. La question des pêcheries canadiennes. - Le message du président des Etats-Unis et la réforme du tarif. Un gabelou héroïque.

La crise présidentielle s'est heureusement terminée. M. Sadi Carnot a été élu, le 3 décembre, président de la République, par 616 voix sur 827 votants Les esprits semblent apaisés, pour le moment du moins. Les Chambres vont prendre leurs vacances de Noël, et on peut espérer que l'année 1888 commencera paisiblement.

Le rendement des impôts pendant le mois de novembre accusait une certaine amélioration dans l'état général des affaires. Les impôts et revenus indirects, pendant ce mois, ont dépassé de 5.165.000 fr. les prévisions budgétaires et de 4.765.000 fr., les produits du mois correspondant de 1886. Si la paix est maintenue en Europe, si les passions politiques nous laissent quelque repos et si les appétits protectionnistes ne se montrent pas trop exigeants, nous avons quelque chance de voir s'ouvrir une nouvelle période de prospérité relative. Mais les charges publiques sont bien lourdes et la mode est passée de les alléger, quand le pouvoir vient à changer de mains, en remettant aux populations une partie de l'impôt, à titre de don de joyeux avènement.

Les négociations pour le renouvellement du traité de commerce entre la France et l'Italie n'ayant pas abouti, une guerre de tarifs est imminente entre les deux pays. L'ouverture des hostilités aura lieu le 31 décembre, date de l'expiration du traité. Dans cette sorte de guerre, les généraux sont remplacés par des hommes d'État ou des législateurs (?) et les soldats, par des douaniers. Les hommes d'Etat proposent et les législateurs votent des tarifs aussi meurtriers que possible, les douaniers les appliquent. Plus prévoyants que les Français, et peut-être plus ardents en leur qualité de nation jeune, les

Italiens ont préparé de longue main leur matériel de guerre. Ils ont renforcé leur tarif général en le hérissant d'une série de droits prohibitifs, et ils ont, de plus, armé leur gouvernement du pouvoir de frapper d'une surtaxe de 50 0/0 les produits ennemis qui essayeraient d'envahir le sol sacré de l'Italie. A cet armement formidable, la France n'avait à opposer que son tarif général, lequel est construit à la vérité selon toutes les règles de la stratégie protectionniste; mais il est clair que cela ne pouvait suffire, et qu'il fallait se håter d'élever l'armement de la France à la hauteur de celui de l'Italie et même de le surpasser. En conséquence, M. Félix Faure a proposé à la Chambre, non seulement d'armer le gouvernement de la surtaxe de 5000, mais encore d'élever sur la frontière d'Italie la muraille de notre tarif général au niveau de celle du tarif italien, sur tous les points où elle est plus basse. Les Italiens ne manqueront pas évidemment d'imiter cet exemple en exhaussant la leur sur tous les points où la nôtre est plus haute. Grâce à cette émulation protectionniste, le commerce que les deux belligérants se proposent de détruire recevra une atteinte profonde et peut-être mortelle.

Ce commerce n'est pas déjà si florissant. En 1869, il s'élevait à 539 millions, dont 318 millions pour les importations d'Italie en France et 221 pour celles de France en Italie. Il a monté successivement jusqu'à 644 millions en 1881, mais arrivé à ce point culminant, il a subi une décadence rapide; en 1885, il n'était plus que de 440 millions (263 millions d'importations d'Italie en France, 177 de France en Italie), c'est-à-dire inférieur de près de 100 millions à ce qu'il était seize ans auparavant. Que sera-t-il lorsque le régime de guerre des tarifs généraux et des surtaxes aura succédé au régime de paix des tarifs conventionnels? Si les mesures offensives décrétées par les législateurs belligérants ont une efficacité suffisante, et si elles ne l'ont point, ils n'auront pas de grands efforts à faire pour les aggraver, il leur suffira de déposer un certain nombre de boules dans les urnes du scrutin, - le commerce des deux pays baissera encore d'au moins une centaine de millions. Ce rétrécissement de leurs débouchés respectifs atteindra principalement en Italie les agriculteurs et les commerçants qui nous ont expédié en 1885 pour 226 millions de matières premières et de produits alimentaires (soie et bourres de soie 63 millions, vins 43 millions, bestiaux 22 millions, huile d'olive 14 millions 1/2, fruits de table 9 millions 1/2, etc., etc.), et en France les consommateurs de ces articles, qui seront obligés de les acheter plus cher et en moins bonne qualité à l'intérieur ou dans d'autres pays. Il atteindra, d'un autre côté, principalement en France, les industriels et les commerçants qui ont expédié en Italie

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pour 93 millions de produits manufacturés (tissus de laine, de soie et de coton 77 millions, tabletterie et bimbelotterie 7 millions, poteries, verres et cristaux 2 millions 1/2, peaux préparées 9 millions, outils et ouvrages en métaux 5 millions,) et en Italie, les consommateurs de ces articles. En considérant, suivant l'habitude, les dommages et les souffrances infligés aux consommateurs des deux pays comme une quantité négligeable, en tenant compte seulement des pertes que la guerre de tarifs fera subir aux agriculteurs, aux industriels, aux commerçants et aux ouvriers dont les débouchés seront rétrécis ou supprimés, et en évaluant à 1.000 fr. en moyenne par tête le revenu qu'ils en tirent, on trouvera qu'en diminuant de 100 millions le commerce entre la France et l'Italie, la guerre de tarifs privera 100.000 individus de leurs moyens d'existence. Quelle sera la proportion de ces victimes de la guerre, en France et en Italie ? Le nombre des ouvriers de l'agriculture italienne qui succomberont ou souffriront par suite de la suppression du débouché qui les fait vivre, sera-t-il supérieur ou inférieur à celui des ouvriers de l'industrie française? C'est un calcul assez difficile à établir. D'après un rapport adressé au gouvernement français, le nombre des victimes de la guerre sera plus considérable en Italie, et l'auteur du rapport se félicite hautement et patriotiquement de ce résultat. Mais il faut considérer, en revanche, que l'Italie possède un surcroît d'ouvriers agricoles, et la preuve, c'est qu'ils émigrent en nombre croissant, - · tandis que la France n'a pas trop d'ouvriers industriels — et ce qui le prouve encore, c'est qu'elle est obligée d'en importer un nombre également croissant. En supposant donc que la guerre de tarifs fasse souffrir et même périr 60.000 ouvriers en Italie, et qu'elle en paupérise ou en tue seulement 40.000 en France, on n'en pourra pas conclure que la perte des belligérants italiens sera supérieure à celle des belligérants français, et qu'ils se trouveront réduits à demander la paix.

Car tel est le but que poursuivent les gouvernements qui engagent une guerre de tarifs; ils, veulent obliger leur adversaire à prendre l'initiative du rétablissement de la paix commerciale, en infligeant à son armée industrielle des pertes plus sensibles que celles auxquelles ils condamnent leur propre armée. Ce but est certainement des plus louables; mais il est permis de douter que le procédé des guerres de tarifs ait toute l'efficacité désirable pour l'atteindre. L'Italie et la France sont assez riches en hommes pour en sacrifier des milliers et même des centaines de milliers si leurs gouvernements estiment que l'honneur national leur défend de se reconnaître vaincus en prenant l'initiative des propositions de paix. D'un autre côté, les

deux pays ont l'avantage de posséder un nombre respectable de protectionnistes qui seront ou se croiront intéressés à la continuation de la guerre. Une fois commencée, cette guerre qui semble aujourd'hui inévitable, pourrait bien se prolonger plus longtemps qu'on ne le suppose, et qui sait-même? en préparer une autre, encore plus coûteuse et destructive.

Ce sera fàcheux assurément pour les populations qui en paieront les frais, mais les hommes d'État et les législateurs n'en souffriront point. Comme le disait le bon abbé de St-Pierre, la guerre la plus destructive ne leur fait pas retrancher un plat de leur dîner. On conçoit donc qu'une guerre de tarifs entre la France et l'Italie ne soit pas pour les faire reculer et qu'ils l'engagent d'un cœur léger.

Le conseil supérieur du commerce vient d'émettre à l'instigation des protectionnistes, un vœu tendant à substituer le régime de l'identique à celui de l'équivalent pour les fontes d'affinage et de moulage, introduites en franchise à charge de réexportation. C'est la loi du 5 juillet 1836 qui a autorisé, comme on sait, l'importation en franchise de certaines matières premières à la condition qu'une quantité égale de produits fabriqués serait réexportée. Grâce à cette dérogation au système protecteur, les constructeurs de machines et les autres fabricants de produits métallurgiques ont pu se soustraire en partie au monopole des maîtres de forges et lutter avec moins de désavantage avec leurs concurrents anglais, belges ou allemands sur les marchés étrangers. La construction et l'exportation des ponts métalliques, du matériel des chemins de fer, etc., ont pu notamment prendre un vif essor. Le « travail national » des ouvriers employés aux ateliers de construction en a profité, sans causer d'ailleurs aucun dommage aux maîtres de forges et à leur personnel relativement peu nombreux, car l'exportation des machines et des autres produits de l'industrie du fer eût été impossible, s'il avait fallu payer la fonte aux prix, auxquels la coalition des maîtres de forges la maintenait sous le régime d'un tarif ultra-protectionniste. En réalité, le système d'admission en franchise ne causait de dommage qu'aux constructeurs et aux ouvriers anglais, belges et allemands, avec lesquels les nôtres pouvaient lutter désormais, à des conditions à peu près égales sur les marchés étrangers. L'administration des douanes parut le comprendre et elle eut la sagesse d'encourager l'importation en franchise, en interprétant d'une manière libérale la loi de 1836. Elle n'exigea point que la fonte travaillée par les fabricants de produits

métallurgiques fut identiquement celle qui avait été importée; il lui suffit de constater qu'ils exportaient une quantité de produits équivalente à la quantité de matières premières, qu'ils avaient importée en franchise. Cette tolérance intelligente donna lieu au commerce des acquits-à-caution. Les fabricants des régions éloignées de la frontière cédèrent aux importateurs de fonte du littoral, leur autorisation d'en introduire une certaine quantité en franchise. Les uns et les autres y trouvèrent un avantage dont il est facile de se rendre compte. Les fabricants de l'intérieur achetaient de la fonte indigène dans leur voisinage, ils économisaient ainsi les frais de transport de la fonte étrangère, tandis que le prix auquel ils vendaient leur acquit à caution diminuait d'autant le coût de leur matière première, et leur permettait de lutter plus avantageusement avec leurs concurrents étrangers. C'était tout profit pour le « travail national ». Les importateurs de fonte du littoral trouvaient également leur bénéfice à ce système, car le prix qu'ils payaient l'acquit-à-caution était inférieur au droit de douane. En supprimant la tolérance du régime de l'équivalent, en obligeant les fabricants éloignés du littoral à exporter identiquement après les avoir travaillées, les fontes qu'ils sont autorisés à importer en franchise, que va-t-on faire? On augmentera leurs frais de production, et on les placera dans une situation moins favorable sur les marchés du dehors, ils exporteront moins de machines et de produits métallurgiques de toute sorte, tandis que les constructeurs et les fabricants anglais, belges et allemands en exporteront davantage. Et voilà comment les protectionnistes s'entendent à protéger le travail national.

Le Sénat s'est occupé d'une proposition de loi acceptée par la Chambre des députés pour régler les rapports des compagnies de chemins de fer avec leurs agents commissionnés. Nous n'avons pas besoin de faire remarquer que ces rapports sont une affaire privée et que la loi n'a pas à intervenir pour les régler. Mais il ne s'ensuit pas que toutes les conditions stipulées entre les parties méritent également d'être approuvées et qu'il faille leur accorder indistinctement la sanction des pouvoirs publics. Il en est une, par exemple, qui est devenue habituelle dans les entreprises de chemins de fer et de mines, mais qui n'en est pas moins parfaitement dolosive, nous voulons parler de celle qui dépouille un employé ou un ouvrier de la somme versée par lui à la caisse de retraites, du moment où il cesse d'être au service de l'entreprise, soit qu'on le révoque ou qu'il s'en aille de son plein gré. Un sénateur, M. Cuvinot, a proposé à ce sujet un article addi

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