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sède. Ce serait stériliser une partie des ressources de la petite culture en l'empêchant de transformer ses produits.

Nous n'insisterons donc pas.

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2o Rectification (2° distillation). L'Etat, rectificateur d'alcool, n'aurait pas le monopole complet, car il y a des alcools qui ne sont pas et n'ont pas besoin d'être rectifiés, et sont livrés à la consommation, tels qu'ils sortent de l'alambic; toutes les eaux-de-vie sont dans ce cas. Ce détail est sans doute ignoré par ceux qui se contenteraient du monopole de la rectification.

On ne rectifie, c'est-à-dire, on ne distille une deuxième fois que les alcools d'industrie produits par la fermentation de matières plus ou moins épaisses, et qui à la première distillation sont chargés d'huiles essentielles et d'impuretés diverses toxiques.

Les eaux-de-vie de vin, de cidre, de cerises, de fruits, le rhum, ne doivent pas être rectifiées, car la rectification leur enlèverait précisément les qualités pour lesquelles elles sont recherchées, c'est-à-dire le bouquet, le parfum et les huiles empyreumatiques qui en vieillissant donnent aux eaux-de-vie le moelleux et l'agrément dont l'alcool pur est dépourvu. Les savantes recherches de M. Ordonneau, de Cognac, ont même montré que dans l'eau-de-vie des Charentes provenant des crûs les plus renommés, il y a de l'alcool amylique et autres substances tout aussi dangereuses pour la santé des consommateurs.

Ainsi tout le produit des 540.167 bouilleurs de crû et des 3.397 distillateurs de profession qui fabriquent des eaux-de-vie de vin, de cidre, de marcs, de lie et de fruits échapperait au monopole de la rectification. Aujourd'hui, avec le phylloxera, la quantité ainsi produite est relativement minime, mais la reconstitution des vignobles à laquelle on travaille vigoureusement peut nous faire espérer la production d'eau-de-vie d'il y a dix ans, et alors, ce serait plus de 600.000 hectolitres d'alcool qui seraient détournés du monopole de la rectification.

On peut concevoir le monopole de la rectification dans un pays comme la Prusse, par exemple, où tout l'alcool produit doit passer par l'appareil rectificateur, mais il n'y a aucune assimilation possible avec la France.

Le projet de monopole à la rectification ne repose que sur une connaissance imparfaite des exigences de la fabrication des eaux-de-vie, et n'est donc pas pratique.

3° Monopole du débit. L'Etat achèterait l'alcool aux producteurs, et le revendrait aux débitants, en majorant le prix d'achat du taux de l'impôt.

C'est le système dont l'application vient de commencer en Suisse, mais dont il faut attendre les résultats après une expérience d'une certaine durée; car nous dirons de la Suisse ce que nous avons dit de la

Prusse, on ne peut pas comparer ce pays à la France; la Suisse fabrique peu et importe beaucoup d'alcool, et l'eau-de-vie de cerises que l'on fait sur les bords du lac de Zug, sur les flancs du Rigi, ainsi que celle provenant des vins des autres cantons n'est pas en quantité assez considérable pour nuire au fonctionnement du monopole.

L'Etat achèterait donc tout l'alcool pour le revendre. Cela paraît tout simple au premier abord; dans la pratique ce serait une autre affaire; car il faut toujours ne pas perdre de vue la diversité des produits, le genièvre qu'un Flamand trouve délicieux, l'eau-de-vie de marc, dont se délecte un Bourguignon, l'eau-de-vie de cidre, que les Normands prétendent supérieure au cognac, le kirsch, l'eau-de-vie des Charentes, de Montpellier, de Marmande, etc., perdent non pas de leur qualité mais de leur valeur conventionnelle en changeant de pays; ce qui est bon pour l'un est exécrable pour l'autre.

Il faudrait donc établir des entrepôts régionaux, car on ne peut pas songer à faire boire aux Français la même eau-de-vie comme on leur fait fumer le même tabac et brûler les mêmes allumettes.

Ici se trouve une difficulté, qui n'est pas mince, dont nous n'avons rien dit, pour le monopole de la fabrication, car elle se représente au débit avec beaucoup plus de force et de complications.

L'Etat acquéreur universel revend le produit revêtu du sceau officiel, garantie de l'acquittement de l'impôt et du contrôle hygiénique. Nous parlerons plus loin de ce contrôle hygiénique.

Dans les Charentes, par exemple, les négociants de cognac s'approvisionneront dans les magasins de l'Etat; dans ces magasins à alcool que l'on veut installer à côté des entrepôts de tabac. Mais alors que fait-on des Marques de Commerce? C'est la destruction du commerce intérieur et extérieur des eaux-de-vie de Cognac, tel qu'il est pratiqué actuellement. La renommée de certaines maisons de Cognac et de Bordeaux provient de l'attention qu'elles apportent au choix des eaux-de-vie chez les producteurs, et des soins qui leur sont donnés dans les caves des négociants; si l'Etat vient s'interposer entre la production et le commerce, l'Etat substitue son cachet aux marques commerciales, et annule celles-ci. Vat-on indemniser les propriétaires des marques qui ont fait la renommée universelle de la France vinicole?

Le même cas se présente pour les marques de rhum, de kirsch, etc. Le monopole du débit, par l'achat et la revente nous paraît donc sinon impossible, du moins extrêmement préjudiciable à la fortune du

pays.

4° Monopole intégral, c'est-à-dire comprenant l'ensemble de l'industrie, production et commerce; un monopole calqué sur le monopole des tabacs.

On peut le rêver, mais c'est impossible; pour une fois, le dicton français recevra un démenti.

Il n'y a de comparaison possible à aucun point de vue entre le tabac, consommation de fantaisie, et l'alcool qui répond à un besoin physiologique si réel, que sa consommation varie suivant l'effort et le milieu. La consommation est plus forte dans les pays humides que dans les pays secs, elle varie encore si on travaille au grand air ou à l'abri, si l'alimentation est grossière ou délicate, si la boisson ordinaire est aqueuse ou alcoolique, etc.

Mais où la différence entre le tabac et l'alcool est essentielle, c'est surtout dans la manière dont ces deux produits « éminemment imposables » selon la formule connue, sont débités et consommés.

Pour débiter le tabac, l'Etat qui n'a pas de concurrent ne se met pas en frais pour attirer les acheteurs, aussi les débits de tabac français font la surprise et l'ébahissement des étrangers venant des pays où la vente du tabac est libre, et où les commerçants cherchent à attirer les acheteurs, par un luxe relatif, et un choix assez considérable de produits ; la vente du tabac se fait donc presque sans frais, car les installations sont très primitives; il est juste de reconnaître que cela suffit du reste à l'acheteur puisqu'il ne consomme pas sur place.

Le boulevard, la rue, l'atelier, le café, l'estaminet, sont le domaine du fumeur.

Le café et l'estaminet, où se débite l'eau-de-vie, c'est là que va le client de l'Etat marchand de tabac; c'est le bénéfice fait sur l'eau-de-vie qui doit fournir les frais de l'installation confortable des fumeurs.

C'est ce bénéfice que veulent prendre les partisans du monopole, pour faire rentrer un milliard dans les caisses de l'Etat, sans qu'il en coûte rien aux consommateurs, en tarifant le débit de la vente au détail, dans les établissements publics! L'Etat vendrait 10 francs ce qui coûte 2 francs aujourd'hui et obligerait les débitants à vendre le même prix !

Il se trouve des hommes sensés, des économistes, pour soutenir une pareille thèse.

Il est vrai que l'on offre comme compensation à ce malheureux débitant la suppression des droits sur les vins et la bière, c'est-à-dire la suppression de droits dont profiteront ses fournisseurs les négociants en vins et les brasseurs!

Le projet de M. Alglave reposait donc sur la petite bouteille qui devait servir de contrôle pour le payement de l'impôt, et sur cette combinaison de vente à un tarif fixé par l'Etat, pour que le consommateur au détail ne s'aperçoive pas que l'impôt sur l'alcool a été porté de 156 fr. 25 à 1.000 fr.

L'emploi de la bouteille n'est pas pratique, le tarif obligatoire chez les

débitants sera difficilement obtenu, et la taxe de 1.000 fr. nous semble bien forte car dans aucun pays elle ne dépasse 450 fr.

La taxe de 1.000 fr. c'est l'organisation de la fraude sur tout le territoire, car rien n'est plus facile que de fabriquer de l'alcool. Pour le tabac la matière première n'est pas à la portée de tout le monde, tandis que la matière première pour faire de l'alcool existe partout le sucre, la farine, les fruits, le vin, la bière, le cidre, etc.

Par le monopole on veut relever les finances, mais aussi ne livrer que des produits hygiéniques.

A notre avis, le gouvernement est bien coupable de laisser mettre en consommation des produits insalubres sur lesquels il prélève 156 fr. 25 d'impôts; il doit en surveiller la salubrité aussi bien à raison de 156 fr. 25 qu'à raison de 1.000 fr., et il a un moyen bien simple pour cela, c'est que les documents que la régie délivre pour la circulation des alcools soient accompagnés d'un certificat du laboratoire de l'État indiquant la pureté de l'alcool; on pourrait sur les documents commerciaux indiquer la pureté hygiénique comme on indique la tereur en degrés.

C'est un moyen très simple et qui peut être mis facilement en pratique. La régie aujourd'hui surveille l'alcool pour qu'il paie l'impôt, son devoir est de le surveiller pour qu'il ne nous empoisonne pas; elle est assez payée pour cela; il n'est pas besoin du monopole.

L'augmentation des recettes peut être atteinte sans augmentation de l'impôt, en réprimant la fraude, et en réformant une législation vicieuse, qui crée l'inégalité devant l'impôt et décourage l'industrie.

Les idées de monopole jetées dans la circulation n'ont fait que retarder un travail sérieux de revision d'un régime fiscal qui n'est plus de notre temps. Qui croirait que presque toute la législation sur les boissons date de 1816?

Au lieu de travailler à reviser toute cette vieille législation, qui entrave l'industrie, on s'attarde à des chimères, à des promesses de dégrèvement et on s'expose à détruire une industrie florissante.

J. PAUL ROUX.

CORRESPONDANCE

1

D'UNE LOI LIBÉRALE POUR AMÉLIORER LA SITUATION DES PROPRIÉTAIRES RURAUX.

A M. le Rédacteur en chef du Journal des Économistes,

La crise que traverse l'agriculture préoccupe à juste titre nos législateurs. C'est pourquoi nous croyons utile de signaler un projet de loi libérale pour améliorer la situation des propriétaires ruraux, sans recourir à aucune mesure de protection, en favorisant au contraire le libre jeu des forces individuelles.

Il s'agirait d'accorder à tout propriétaire de terrains situés en dehors des villes et entre deux ou plusieurs communes la faculté de faire changer de commune à ces terrains, moyennant payement d'une indemnité pécuniaire à la commune délaissée, et sous le contrôle des autorités départementales.

Si cette mesure était adoptée, elle aurait pour première conséquence d'améliorer rapidement les administrations communales dans tout le pays, car elle déterminerait entre les différents conseils municipaux et surtout entre les maires des différentes communes une émulation bienfaisante à qui aurait l'administration la plus sage, la plus économique et la plus avantageuse pour les habitants, de manière à s'attirer la libre adhésion des propriétaires des environs.

La situation des maires serait ainsi totalement changée. Personne n'ignore combien il est difficile actuellement de trouver des maires bien qualifiés pour gérer les communes (les meilleurs sont généralement dégoûtés au bout de peu d'années par des vexations et des ennuis de toutes sortes).

Quel encouragement recevraient au contraire les bons maires, s'ils voyaient au bout de leurs efforts une augmentation possible de leur commune et par suite de leur importance dans le pays!

D'autre part les maires, trop nombreux, qui s'occupent mollement des intérêts de leurs administrés seraient obligés de céder la place à d'autres plus actifs et intelligents ou seraient excités à s'occuper sérieusement des affaires communales sous peine de voir leur commune s'amoindrir et peut-être disparaître au profit des maires voisins.

Une autre conséquence de cette mesure serait l'augmentation de la

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