Page images
PDF
EPUB

Il s'était formé dans la capitale de l'Espagne un parti qui travaillait à délivrer la nation de la honte d'être gouvernée par un homme aussi généralement détesté que don Manuel Godoy. Le duc de l'Infantado, d'une des premières maisons castillanes, le chanoine don Juan Escoiquiz, qui avait élevé le prince des Asturies, étaient à la tête de ce parti. Ils y entraînèrent l'héritier de la couronne, prince de vingt-trois ans, manquant d'expérience. Dès l'année 1806, il avait remis au duc de l'Infantado un décret par lequel il le nommait commandant des troupes de la Nouvelle-Castille, pour le cas où son père viendrait à mourir. On rédigea un mémoire dans lequel les crimes du favori étaient détaillés, et où l'on invitait le Roi à éloigner de sa personne un ministre odieux à la nation. Le Prince avait également dressé par écrit le plan de l'association.

Napoléon n'ignorait pas les dispositions du Prince; il résolut de s'en servir afin de jeter la désunion dans la famille royale, et d'en profiter pour l'exécution de ses desseins. Le prince des Asturies communiqua son projet à l'ambassadeur de France, qui flatta ses passions pour s'emparer de son secret. Ce fut d'après le conseil de ce ministre qu'il écrivit, le 11 octobre 1807, à l'Empereur, une lettre dans laquelle il exprimait son désir de s'unir à une prin

ne rencontraient jamais, dans leurs usurpations, d'autre obstacle à ren verser que celui de la force nationale; le fanatisme religieux était étranger aux peuples leurs contemporains; et il était rare que ceux-ci, lorsqu'ils étaient attaqués, trouvassent des appuis vigoureux dans les peuples de leur voisinage; les communications entre peuples contigus n'étaient pas encore devenues faciles; et, de plus, l'histoire de l'espèce humaine, encore mal recueillie, peu connue, ne frappait ni les peuples ni les rois d'une forte prévoyance. Aujourd'hui, la facilité et la multiplicité des communications entre les États, les a tous rendus avertis et solidaires. NAPOLÉON était trop impatient, trop emporté pour faire de ces réflexions générales, seul guide de la prudence; dans l'impétuosité de ses désirs, il confondait tous les peuples et tous les temps.

cesse de France'. Celui-ci ne rejeta ni n'accueillit la demande; mais Godoy, que le traité de Fontainebleau venait de créer souverain des Algarves, fut instruit des démarches de l'héritier de la couronne par le conseiller d'État don Eugenio Yzquierdo, directeur du Musée d'histoire naturelle à Madrid, et qui, à l'ombre des recherches scientifiques auxquelles il se livrait à Paris, suivait dans cette résidence les négociations que lui confiait le favori. Ce dernier trouva moyen de se saisir des papiers du prince des Asturies; et tel fut le pouvoir qu'il exerçait sur le couple royal, qu'il lui persuada qu'un fils avait voulu non-seulement ravir le trône à son père, mais même préméditait d'attenter à ses jours 2.

Le 30 octobre 1807, le prince des Asturies et ses confidents furent arrêtés. L'audacieux favori transgressa tout respect humain jusqu'à faire signer au faible monarque une proclamation par laquelle il accusa son fils d'un parricide. L'indignation qu'une nation généreuse devait ressentir à la lecture d'une accusation qu'il aurait fallu dérober au public, si elle avait été fondée, se tourna tout entière contre Godoy, on le supposait capable de consommer le crime qui paraissait être le but de cette

1

Il était question ici d'une fille de Lucien BONAPARTE. Don Juan EscorQuiz, dans la célèbre conversation qu'il eut avec NAPOLÉOn, le 2 mai 1808, et que nous rapporterons plus loin, rappela à celui-ci que la lettre de FERDINAND avait été sollicitée, au nom de NAPOLÉON, par son ambassadeur, M. de BEAUHARNAIS. NAPOLÉON répondit : « En ce cas, mon ambassadeur outre-passa ses pouvoirs; » expression vague d'un faible désaveu.

Cette accusation était fondée sur le décret remis au duc de l'INFANTADO, que nous avons cité plus haut. Le Prince, interrogé sur ce chef d'accusation, répondit qu'ayant soupçonné que GODOY pourrait s'emparer du gouvernement, si, par malheur, le Roi, son père, venait à mourir, on lui conseilla de prendre d'avance cette mesure, en confiant au duc de l'INFANTADO le pouvoir de diriger au besoin la force armée, dans le cas où il faudrait soutenir l'héritier de la couronne.

intrigue. Don Manuel, de son côté, effrayé du silence observé dans cette circonstance par Napoléon, dont les troupes entraient alors en Espagne, aux termes du traité de Fontainebleau, fit jouer à la Reine le rôle de médiatrice entre un père irrité et un fils auquel on avait arraché l'aveu de ses liaisons avec un ministre étranger.

Une proclamation du 5 novembre apprit à la nation que le cœur paternel du Roi avait pardonné au prince des Asturies. On fit cependant le procès à ses confidents; mais, grâce à l'intégrité des juges, l'influence de Godoy fut impuissante à leur faire reconnaître un crime dans une action qui ne méritait que d'être taxée d'imprudence, ou tout au plus d'indiscrétion. Cet événement avait affaibli la considération dont jouissait la famille royale, et porté au comble la haine publique contre le prince de la Paix; ce ministre perdait chaque jour de son autorité. Les nouvelles qu'il recevait de son agent en France le troublaient. Napoléon, voyant que Godoy s'était compromis, et que l'opinion publique se déclarait contre le couple royal, ne répondit pas aux lettres du 29 octobre, par lesquelles on lui avait annoncé la prétendue conspiration; ce silence était bien fait pour exciter des inquiétudes dans l'esprit d'êtres pusillanimes; il pouvait les entraîner à quelque inconséquence dont on profiterait pour les perdre. On trouva un prétexte pour ne pas laisser approcher Yzquierdo de la personne de celui auprès duquel il était accrédité, afin qu'il ne pût pénétrer le fond de sa pensée. La précipitation avec laquelle la reine d'Étrurie' fut obligée d'abandonner

'On se rappelle que NAPOLÉON, qui avait cédé la Toscane à l'Espagne, au prix de la Louisiane, de trente millions de francs et de six vaisseaux de ligne armés, jugea à propos de la reprendre en donnant à la reine d'ÉTRURIE, veuve depuis 4803, la ville d'Oporto et un territoire de trois

son trône, avant d'avoir été mise en possession det l'indemnité qu'on lui avait promise, augmenta les craintes de la cour de Madrid. Godoy, se voyant menacé de perdre les bonnes grâces de Napoléon, en

cent mille âmes, en échange de la Toscane peuplée de plus d'un million d'habitants. Au moment dont nous parlons, NAPOLÉON se trouvait à Milan; il écrivit de cette résidence à la reine d'Étrurie que le traité d'échange entre la Toscane et le territoire d'Oporto pour cette princesse et celui des Algarves pour le prince DE LA PAIX, n'aurait dû s'effectuer qu'à la paix générale, mais qu'une imprudence de M. de BEAUHARNAIS avait rendu ce traité public; que dès lors la Reine ne pouvait plus rester à Florence, et qu'il la priait de se rendre à Milan. Lorsque la Reine fut arrivée dans cette ville, NAPOLÉON décida le voyage de cette princesse pour Madrid.

Le séjour de NAPOLÉON à Milan a été marqué par une autre circonstance curieuse et relative aux affaires d'Espagne. Presque tous les jours il allait faire de longues visites à M. de MELCY, alors duc de LoDI; ce ministre avait des parents en Espagne et il avait habité Saragosse, il possédait en outre le comté de Héril. On croyait que les longues visites de NAPOLÉON avaient pour but les affaires d'Italie, mais il ne faisait que prendre quelques livres et surtout examiner la carte d'Espagne, ce qui fit penser à MM. de MELCY et de LABRADOR, et au général O'FARRIL, alors auprès de la reine d'Étrurie, que NAPOLÉON avait des vues sur la Péninsule. Ce qui n'était qu'un soupçon devint bientôt une certitude; effectivement, un souverain, qui se trouvait aussi à Milan, dit un jour à MM. de LABRADOR et O'FARRIL qu'il était l'allié de NAPOLÉON, mais qu'avant tout il était l'ami et le parent du roi d'Espagne; qu'il leur disait donc en confidence que, se promenant en voiture avec NAPOLÉON, celui-ci avait demandé au général BERTHIER quand les cent mille hommes seraient prêts à passer les monts. Comme toute l'Italie était alors occupée par les troupes françaises, évidemment par ces cent mille hommes prêts à passer les monts, on ne pouvait entendre qu'une armée française s'apprêtant à franchir les Pyrénées.

M. de LABRADOR, qui était ministre d'Espagne auprès de la reine d'Étrurie, informa sa Cour de ces propos par un courrier extraordinaire; mais l'aveuglement de la reine MARIE-LOUISE et de GoDoy était tel qu'on lui répondit que jamais le Cabinet espagnol n'avait reçu autant de preuves de la bienveillance de NAPOLÉON, à qui on donnait le titre d'intime ami et d'allié. A ce moment, le futur prince des Algarves avait encore la simplicité de croire à l'exécution du traité de Fontainebleau. Il ne comprenait pas la politique astucieuse, mais profonde, au moyen de laquelle NAPOLÉON, en introduisant les armées françaises dans le cœur de la Péninsule, réussirait d'un seul coup à abattre le Portugal et à se rendre l'arbitre des destinées de l'Espagne.

gagea le Roi et la Reine à lui demander pour leur fils la main d'une princesse de la famille impériale. Napoléon l'accorda en termes vagues; il nia d'avoir reçu une demande semblable du prince des Asturies.

Cependant, le nombre des troupes françaises qui avaient passé les Pyrénées, sous le prétexte de se rendre en Portugal, augmentait journellement, et la fermentation s'accroissait parmi le peuple en vain la Cour essaya-t-elle de le calmer; les proclamations qu'elle publia trahissaient l'embarras où elle se trouvait. La seconde armée française dont Murat avait pris le commandement, dans les premiers jours de janvier 1808, s'approchait, à marches lentes, de la capitale, pendant que Napoléon exprimait son mécontentement de ce qu'après avoir recherché la main. d'une princesse française, on ne donnait pas suite à cette demande. C'est alors qu'Yzquierdo arriva de Paris à Aranjuez, et fit part à don Manuel Godoy d'une conférence qu'il avait eue avec le prince de Talleyrand, dans laquelle celui-ci s'était montré très-courroucé contre le prince de la Paix, et avait donné à entendre que le mouvement de l'armée française sur Madrid n'avait d'autre but que l'éloignement de ce favori. Aussitôt que le Roi et la Reine eurent connaissance de cette communication, on prit la résolution, dans le plus grand secret, à l'exemple de la cour de Portugal, d'abandonner le royaume, de partir pour Cadix, et de là pour l'Amérique espagnole. C'était justement le but que s'était proposé Napoléon.

Il fut convenu que l'on se rendrait d'abord à Séville; mais lorsque ce projet transpira dans le public, il répandit une si grande consternation, que le Roi fut obligé de déclarer, par une proclamation du 16 mars, qu'il y renonçait.

Les préparatifs du voyage n'en ayant pas moins

« EelmineJätka »