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jesté Impériale, ne fut qu'une accusation calomnieuse et atroce, intentée contre le roi Ferdinand, alors prince des Asturies, par la malignité du prince de la Paix, appuyée par les préventions de la Reine en faveur du favori, et par la simple crédulité de Charles IV. Permieux que moi, ne peut parler de ces événements, puisque j'ai été le premier mobile de toutes les démarches qui servirent de base à cette ridicule procédure criminelle.

sonne,

« Elles se bornèrent aux conférences que j'eus au nom du prince don Ferdinand, avec M. de Beauharnais, ambassadeur de Votre Majesté Impériale à Madrid, et à la lettre que je lui remis de la part de Son Altesse Royale pour Votre Majesté, par laquelle il implorait ses bons offices auprès du Roi et de la Reine, pour les amener à approuver le désir qu'il avait de s'unir avec une princesse de votre auguste maison, ce qui était pour Son Altesse Royale un moyen infaillible de déconcerter tous les projets du prince de la Paix, en se mettant sous la puissante protection de Votre Majesté Impériale et Royale.

« L'Empereur. En cette occasion mon ambassadeur a outre-passé ses pouvoirs; car je ne lui ai jamais donné l'ordre de traiter avec le prince des Asturies, et encore bien moins de lui demander une semblable lettre qui, dans toute autre circonstance, eût été un acte formel de désobéissance au Roi son père; je dis dans une autre circonstance, parce que je ne prétends pas vous inculper pour cela, quoique je sache très-bien que c'est par votre conseil que le Prince m'écrivit; mais il se trouvait dans une position si extraordinaire, qu'elle rend très-excusable cette démarche, tant pour lui que pour vous.

« Escoiquiz. En effet, Sire, je vois avec une grande satisfaction que Votre Majesté est persuadée que cette

démarche fut une conséquence de la juste défiance que nous donnait l'ambition effrénée du prince de la Paix, et les trames obscures qu'il ourdissait pour opprimer le prince Ferdinand, dans le cas où son père, qui était alors dangereusement malade, viendrait à manquer, soit pour usurper le trône, soit pour conserver, malgré lui, sous quelque titre que ce fût, l'autorité absolue dont il jouissait.

« L'Empereur. Je suis parfaitement instruit de tout cela. Je sais aussi que ce que l'on a imputé à crime tant à vous qu'au duc de l'Infantado, ainsi qu'aux autres personnes impliquées dans le procès de l'Escurial, ne fut que l'effet de votre loyauté, et n'eut d'autre but que d'empêcher, par les mesures d'une juste précaution, les projets que vous croyiez formés contre votre Prince pour l'époque de la mort de son père, mais sans avoir jamais manqué au respect et à la fidélité que vous lui deviez pendant sa vie.

« Escoiquiz. Je n'ai donc rien à ajouter à ce que la perspicacité de Votre Majesté lui a déjà fait pénétrer, si ce n'est que la contradiction de deux décrets successifs publiés au nom du roi Charles avant l'instruction de cette cause, et la sentence unanime prononcée par les onze conseillers qui la jugèrent, par laquelle ils nous déclarèrent innocents, et nous renvoyèrent absous, malgré les intrigues, les menaces et le despotisme du prince de la Paix, et malgré les impressions défavorables que le Roi et la Reine avaient conçues contre nous : ce qui suffit pour dissiper jusqu'au moindre doute sur la conduite du Prince et sur la nôtre dans toute cette affaire.

« L'Empereur. Je connais tous ces détails, ainsi que l'innocence du prince Ferdinand et la vôtre, dans tout ce qui s'est passé à cette époque; mais l'odieux événement d'Aranjuez, cette abdication du roi Charles

faite au milieu d'un peuple en fureur, cette défection de ses gardes, qui au lieu de le défendre servirent à l'opprimer, et le forcèrent à la faire; cette facilité du prince Ferdinand à l'accepter, tout cela, dis-je, ne doit-il pas faire croire à l'Europe entière, comme à moi, que cette abdication n'a été ni libre ni volontaire? Bien plus, le roi Charles, dans le premier moment où il jouit d'une ombre de liberté, c'est-à-dire, deux jours après, a complété la preuve de la violence qui lui avait été faite, en m'adressant, contre sa légitimité, une protestation en bonne forme, faite le jour même de l'abdication, et en implorant ma protection pour défendre sa vie et son autorité contre son fils et ses sujets.

« Escoiquiz. Je ne puis exprimer, Sire, combien je m'estime heureux d'avoir à discuter cette matière devant un Monarque doué d'un génie aussi supérieur que celui de Votre Majesté Impériale, de connaissances aussi vastes et d'un caractère encore plus grand que sa puissance. Je suis persuadé que dans ce moment où j'ai l'honneur de lui parler, Votre Majesté lit dans mon cœur et y voit ma franchise et ma sincérité, ce qui m'inspire la plus grande confiance. Je vais donc présenter à Votre Majesté les événements d'Aranjuez sous leur véritable point de vue, et dissiper l'impression sinistre qu'ils ont faite sur son esprit, par le faux jour sous lequel ils lui ont été offerts.

<< Il est certain que je n'étais point à Aranjuez à cette époque, puisque, par suite du procès de l'Escurial, j'étais exilé, ainsi que le duc de l'Infantado, et confiné dans un couvent au milieu d'un désert, à cent lieues de la Cour, mais depuis, j'ai pris les informations les plus exactes et les plus détaillées de tout ce qui s'y est passé dans ces circonstances. Ces événements étant de notoriété publique, je puis garantir à Votre Majesté la

véracité de mon récit, sur le témoignage unanime de l'Espagne entière, et sur celui des personnes impartiales et témoins oculaires que j'ai consultés. Voici le fait.

« Le mouvement du peuple à Aranjuez n'a pas eu d'autre cause que l'indignation publique portée à son comble, par la nouvelle certaine du projet de conduire le roi et toute sa famille en Andalousie, et par la crainte que de là ce Prince, à l'exemple de la cour de Portugal, n'allât s'établir dans quelqu'une de ses colonies d'Amérique. En effet, tout avait été tranquille, jusqu'à ce que ces préparatifs pour ce fatal voyage, l'avis officiel qui en fut donné au conseil de Castille, et l'ordre envoyé à la garnison de Madrid de venir en toute diligence à Aranjuez, pour en assurer l'exécution, ne permirent plus au public d'en douter. Cette certitude ne pouvait manquer de faire la plus funeste impression sur un peuple aussi jaloux que l'Espagnol de la gloire de sa nation et aussi attaché à ses rois; les troupes elles-mêmes devaient partager ces sentiments, voyant que l'on essayait de les faire servir d'intruments à l'exécution d'un projet si honteux et si préjudiciable à l'Espagne.

« Dans cet état d'exaspération générale des esprits, il n'y avait pas besoin, pour qu'ils se déchaînassent, ni de plans, ni de suggestions étrangères. Le soulèvement du peuple n'eut réellement d'autre mobile que l'accroissement rapide et simultané de la haine qu'il nourrissait depuis si longtemps contre le prince de la Paix, causée par la certitude qu'il était encore l'auteur de ce projet désastreux.

«Le seul but du tumulte fut de punir le favori, et d'empêcher la fuite du roi et celle de sa famille; et le peuple, naturellement bon, conservant, au milieu de sa plus grande fureur, tout son respect et toute sa fidélité pour le Roi, se contenta de chercher le prince

de la Paix dans sa maison; et ne l'y ayant pas rencontré, de demander à Sa Majesté son juste châtiment et la révocation de l'ordre de départ, mais sans se permettre la moindre plainte contre Leurs Majestés, pour les personnes desquelles il montra toujours la plus profonde vénération, ne cessant de répéter les cris de Vive le Roi, et manifestant son attachement par de continuelles acclamations.

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<< Quant aux gardes du corps et aux autres troupes qui étaient à Aranjuez, bien loin de prendre part à la sédition, ils s'empressèrent d'aller sauver la maison du prince de la Paix de la fureur du peuple, et après avoir réussi, ils vinrent se réunir à celles qui étaient en bataille devant le palais, pour contenir, s'il était nécessaire, l'effervescence de la multitude, et bien disposés à défendre Leurs Majestés, si quelque malveillant, ce qui n'arriva point, se hasardait à leur manquer de respect.

« A la vérité, en même temps que'ces troupes remplissaient et auraient toujours rempli une obligation aussi sacrée, je suis persuadé qu'elles se seraient refusées à assassiner ce bon peuple pour défendre la tyrannie du prince de la Paix, et pour faciliter le funeste voyage de la cour; mais enfin on ne les mit point à cette épreuve. Et si on leur eût donné de pareils ordres, auraient-ils dû les exécuter? eût-il été juste d'exiger qu'elles contribuassent à la ruine de leur patrie, qui eût été une conséquence infaillible de leur obéissance? J'en appelle, pour décider cette question, au cœur magnanime de Votre Majesté Impériale.

<< Je sais aussi que les chefs de ces différents corps militaires, consultés par le Roi et la Reine dans le commencement du tumulte sur les moyens de l'apaiser, parlèrent à Leurs Majestés dans le même sens, c'est-à-dire, en leur conseillant de renoncer au projet

« EelmineJätka »