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d'une faveur extraordinaire, de n'avoir retranché dans ce nouveau traité que la moitié des droits que celui de 1655 leur avait accordés1!

C'est ainsi que le gouvernement français envisageait et respectait lui-même le traité d'Utrecht! C'est ainsi que ce traité était devenu «< la loi commune des nations pour les droits du pavillon neutre ! »>

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Cette loi, continue le ministre rapporteur, textuellement renouvelée dans tous les traites subséquents, a consacré les principes suivants, etc.

Je crois en avoir dit assez pour faire juger si, à l'époque même de sa conclusion, le traité d'Utrecht a pu avoir la force d'une loi générale, ou consacrer des principes quelconques. L'assertion sèche et tranchante, « que ce traité a été textuellement renouvelé dans tous les traités subséquents, » se trouve si complétement démentie par une quantité de documents que tout le monde peut consulter, que ceux même qui ont le mieux suivi la marche et l'esprit des publications officielles du gouvernement français, doivent avoir été frappés de sa témérité. Le fait est que, parmi les nombreux traités qui, depuis 1713 jusqu'à nos jours, ont statué sur les droits maritimes des différentes nations, on n'en rencontrera pas un où le

Le traité que les villes hanséatiques obtinrent de la France en 1769 fut conforme en tout à celui de 1746. Mais un fait plus curieux encore, parce qu'il touche de si près à l'année climatérique de 1780, c'est qu'une convention que le gouvernement français fit signer le 18 septembre 1779 avec le duc de Mecklenbourg-Schwerin, sanctionna encore une fois toute la sévérité des anciennes ordonnances, et, entre autres, déclara très-positivement sujette à confiscation toute marchandise ennemie, qui se trouverait dans un bâtiment neutre.

traité d'Utrecht soit renouvelé, confirmé, ou cité comme modèle '. Les hommes qui négociaient ces traités, savaient bien que quelques règles purement conventionnelles établies en 1713 entre la France et l'Angleterre, ou la France et la Hollande, n'étaient point obligatoires, ni pour des puissances que ces règles ne regardaient en rien, ni pour celles même qui en étaient réciproquement convenues, dans leurs rapports politiques avec d'autres États. Sous quel titre un négociateur danois eût-il exigé d'un négociateur anglais d'admettre les stipulations d'Utrecht comme base des droits dont le pavillon de l'un ou de l'autre pays jouirait pendant sa neutralité? Dans les bons temps de la Diplomatie, un contre-sens pareil ne serait entré dans la tête de personne.

Mais quand même le traité d'Utrecht aurait été, ce qu'il ne fut certainement pas, le résultat formel et avoué d'une délibération commune de toutes les puissances sur les conditions et les priviléges de la neutralité dans les guerres maritimes, et par conséquent un véritable code de lois, il est clair que les révolutions survenues dans le système politique depuis 1713 auraient nécessité, et même à plusieurs reprises, une révision générale de ce code, à moins d'abandonner les questions les plus importantes et les plus problématiques à la décision des armes ou à des arrangements particuliers. Ce n'est pas pour renforcer une thèse que je crois

Le seul traité du XVIIIe siècle dans lequel le traité d'Utrecht, c'est-à-dire l'une ou l'autre des conventions particulières sur la navigation et le commerce, signées à la suite du principal et véritable traité d'Utrecht, se trouve nommé, est un traité fait entre la France et la Hollande, en 4739. Mais il faut voir à quel propos et dans quel sens. C'est parce que « le traité de commerce conclu à Utrecht, etc. pour vingtcinq années étant expiré le 11 d'avril de l'année dernière, les deux puissances, etc., etc. » Étrange phénomène, qu'une loi commune des nations qui expire après un règne de vingt-cinq ans!

suffisamment établie, mais pour l'éclaircir et la développer, que j'ajouterai les observations suivantes sur quelques-uns des principaux changements qui ont eu lieu depuis un siècle par rapport aux intérêts respectifs des puissances neutres et des puissances belligérantes dans les guerres de mer.

Lorsque le traité d'Utrecht fut signé, plusieurs États, aujourd'hui d'une influence majeure, n'existaient pas, ou n'avaient point pris leur rang parmi les puissances maritimes. Je ne citerai que la Russie et les ÉtatsUnis de l'Amérique. Toutes les grandes discussions sur les droits du pavillon neutre, qui ont occupé et agité l'Europe depuis trente ans, furent amenées par l'une ou l'autre de ces deux puissances. Or, quel que fût le fondement de leurs prétentions, il serait extravagant de soutenir que la Russie ou les États-Unis de l'Amérique eussent pu faire valoir contre la France, l'Espagne, l'Angleterre, etc., les principes d'un traité qui avait précédé leur maturité, ou même leur naissance politique.

D'un autre côté, à mesure que le commerce des nations s'est augmenté; que la sphère de leur navigation s'est étendue; que de nouveaux rapports ont été créés, non-seulement entre les pays voisins, mais entre les points du globe les plus éloignés l'un de l'autre; que la guerre maritime considérée comme guerre commerciale a acquis une importance égale et quelquefois supérieure à celle de la guerre continentale, dont elle n'était autrefois qu'un accessoire : les questions relatives aux droits des neutres dans cette guerre se sont multipliées, compliquées, agrandies, ont présenté de nouvelles faces et des problèmes jadis inconnus. A l'époque du traité d'Utrecht, par exemple, et même quarante ans plus tard, personne n'avait songé à examiner ou à déterminer jusqu'où pouvait s'étendre le

droit d'un État neutre de faire le commerce avec les colonies d'une puissance belligérante. Ce n'est que dans la guerre de 1756 que cette grande et épineuse question fut discutée pour la première fois entre l'Angleterre et la Hollande. Aucun traité ne la décida alors, et quoique, dans la guerre allumée par la Révolution de France, elle ait reparu avec plus de force que jamais, et soit devenue l'objet capital des discussions entre l'Angleterre et les États-Unis de l'Amérique, aucun traité ne l'a décidée jusqu'à ce jour. La question si des bâtiments neutres convoyés par un vaisseau de guerre étaient sujets à la visitation, eut à peu près le même sort. Elle avait été partiellement agitée entre la Hollande et la Suède en 1742, et entre l'Angleterre et la Hollande en 1762; mais on l'avait passée sous silence dans le fameux acte de neutralité armée de 1780; ce n'est qu'en 1800 que pour la première fois elle fut mise en avant d'une manière formelle et péremptoire; et le traité de Pétersbourg du 17 juin 1801 fut le premier qui essaya de la fixer entre l'Angleterre et les puissances maritimes du Nord1.

Mais ce qui, dans les grands événements de la dernière partie du siècle passé, a plus influé que toute autre cause directe sur les rapports entre les belligérants et les neutres, c'est le changement qui s'est opéré dans les forces respectives des deux puissances principalement intéressées à toute question de Droit maritime. Ce que nous avons à dire sur les effets de ce changement nous conduira directement à l'examen des accusations portées contre le gouvernement anglais, << pour avoir substitué aux maximes du Droit public des règles arbitraires et tyranniques. >>

'Sur le Congrès de Saint-Pétersbourg et les conventions qui s'ensuivirent, voy. t. VI, p. 377 de cette Histoire des Traités.

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Depuis la guerre pour la succession d'Espagne, et notamment depuis la bataille navale de la Hogue, la marine française s'est trouvée dans un état de décadence progressive. Le rétablissement de cette marine ayant été négligé sous la longue et paisible administration du cardinal de Fleury, la France, dans la guerre de 1756 et après la paix de 1763, ne put plus se dissimuler que la supériorité maritime était acquise à l'Angleterre. Dans la guerre pour l'indépendance de l'Amérique, les forces navales de la France se relevèrent momentanément; mais bientôt les désordres de la Révolution et l'ascendant irrésistible de la marine britannique achevèrent de les paralyser. Une pareille situation devait inspirer à la France un attachement décidé pour tout ce qui tenait à la cause de la neutralité maritime, attachement qui ne pouvait que s'accroître avec le sentiment de sa propre faiblesse. Par la nature des choses, la navigation neutre, considérée sous le rapport du commerce, est un puissant appui pour la partie faible, et un contre-poids sensible à la prépondérance de la partie forte dans les guerres maritimes. Les hommes éclairés n'auraient jamais été dupes de ces grandes protestations philanthropiques dont le gouvernement français remplissait le monde en faveur d'un système qui touchait de bien plus près à ses propres intérêts qu'à ceux de la neutralité maritime. Cependant personne ne lui aurait reproché sa prédilection naturelle pour ce système, personne ne lui aurait fait le procès pour avoir encouragé, fomenté, prôné toute réclamation, tout acte public, toute confédération juste ou injuste, tendant à favoriser la navigation et le commerce des neutres aux dépens d'un rival redoutable. Jusqu'au

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