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nos moyens et jusqu'à la dernière extrémité. Tel eût été mon avis dans le cas où, de quelque manière, nous fussions parvenus à connaître les intentions véritables de Votre Majesté.

« L'Empereur. Vous avez raison, et c'est effectivement tout ce qu'il y avait à faire.

Escoiquiz. Ah! Sire, si nous avions eu quelques mois devant nous, si les événements d'Aranjuez fussent arrivés avant l'entrée des troupes de Votre Majesté en Espagne, et avant que ce misérable prince de la Paix eût eu l'inexplicable condescendance de leur livrer nos places frontières, nous serions exempts des malheurs qui nous affligent! Votre Majesté aurait trouvé dans notre jeune Roi un allié fidèle et utile; ou, dans le cas où elle aurait voulu exécuter son plan actuel, nous avions assez de forces, sinon pour envahir les provinces de Votre Majesté, du moins pour défendre les nôtres; mais ce vil, ce perfide favori.... Excusez, Sire, si je lui donne les épithètes qu'il mérite....

« L'Empereur (en m'interrompant). Mais vous donnez de lui une idée qui n'est pas juste; il ne s'est pas si mal conduit dans son administration.

« Escoiquiz. Ah! Sire, que je m'estimerais heureux d'avoir une conférence avec lui sous les yeux de Votre Majesté; c'est alors qu'elle verrait la vérité confondre l'imposture! elle connaîtrait toutes les fautes de ce malheureux; elle le verrait pâle et muet en présence d'un accusateur qu'il ne pourrait tromper.

« Je sais bien cependant que la pénétration de Votre Majesté n'a pas besoin de pareilles preuves pour connaître son caractère, celui du Roi père et de la Reine, de la bonté desquels il a abusé; et je n'ai jamais pu me persuader que dans le fond de son cœur Votre Majesté pût l'estimer, ni méconnaître l'innocence du prince

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Ferdinand supposer d'autres sentiments à Votre Majesté, ce serait lui faire injure, quoique la puissante raison d'État l'empêche de les manifester dans sa

conduite.

« L'Empereur (souriant). Sans convenir précisément de tout ce que vous avancez, je sais ce que sont les femmes et les favoris; mais enfin la loi suprême des souverains, le bien de l'État m'imposent l'obligation de faire ce que je fais.

Escoiquiz. Après avoir épuisé tout ce que j'avais à dire à Votre Majesté sur ces affaires, il serait inutile d'y insister davantage, et je me borne à la supplier humblement de consulter encore plus l'équité et la générosité de son cœur, que la voix toujours incertaine de la politique, avant de mettre son projet à

exécution.

L'Empereur (en souriant et me tirant l'oreille avec force). Mais, chanoine, vous ne voulez donc pas entrer dans mes idées?

« Escoiquiz (souriant aussi). Bien au contraire, Sire, je désirerais de tout mon cœur ramener Votre Majesté aux miennes, fût-ce aux dépens de mes oreilles; mais nos intérêts sont opposés, ce qui m'afflige d'autant plus, que mon admiration et mon attachement pour Votre Majesté, croissant à chaque instant depuis que j'ai l'honneur de parler avec elle, il me serait bien doux de lui donner une preuve de mon respect par une entière conformité à ses volontés; mais une obligation sacrée m'en empêche, et Votre Majesté me rendra justice.

« L'Empereur. Oui, je vous la rends, votre conduite est celle d'un honnête homme et d'un sujet fidèle. >>

« Ce jour-là, et les suivants, l'Empereur parla des mêmes affaires avec les ducs de l'Infantado et de Saint-Charles, et avec don Pedro Cevallos, ministre

d'État du jeune Roi, soit réunis, soit séparément, quelquefois même en ma présence, et toujours sur le même ton. Vainement ils firent valoir les mêmes raisons que j'ai déjà rapportées, chacun sous un aspect différent, avec la plus grande force et la plus noble franchise: sa résolution était prise et elle était, comme il l'avait dit, invariable.

« J'eus quelques autres conférences particulières, également inutiles, avec Sa Majesté Impériale. Les trois personnes que je viens de citer et moi en eûmes aussi avec le général Savary et M. de Champagny, ministre des Relations Extérieures; moi en particulier avec M. de Pradt, évêque de Poitiers, aumônier de l'Empereur, et quelque temps après archevêque de Malines : toutes ces conférences n'aboutirent à rien.

<< Un matin entre autres, en présence du roi Ferdinand et de son frère l'infant don Carlos, je fis à l'Empereur un discours assez long, dans lequel, après avoir touché légèrement les raisons que précédemment je lui avais développées, j'essayai de l'émouvoir, et par la considération de sa propre gloire, et par la compassion que devaient inspirer ces Princes infortunés, plus dignes de pitié que de véritables orphelins, puisque leurs parents, pour lesquels ils avaient toujours eu le plus respectueux attachement, étaient leurs ennemis les plus implacables. Comme je parlais du cœur, je le fis avec tant de force et de sensibilité, qu'un instant je le vis ému; mais sans doute s'en apercevant lui-même, et pour le dissimuler, il m'interrompit; et se retournant du côté des Princes, il leur dit: Ce chanoine aime beaucoup Vos Altesses; ce qui rendit la conversation générale, et dissipa ma dernière illusion. L'après-midi du même jour, l'Empereur, après avoir conféré avec le duc de l'Infantado, lui dit en plaisantant: Le chanoine m'a fait ce matin une ha

rangue dans le goût de celles de Cicéron; mais il ne Voilà à veut pas entrer dans les raisons de mon plan. quoi se réduisit tout le fruit de mon éloquence cicé

ronienne. >>

Les explications que vient de donner Napoléon, nous ont appris qu'il offrait à Ferdinand VII, en échange de sa renonciation, le royaume d'Étrurie, et la main d'une princesse de la maison impériale; mais le Roi, soutenu par des conseillers fidèles, don Pedro Cevallos, don Juan Escoiquiz, et l'inébranlable Labrador, refusa un pareil accommodement et réclama la liberté de retourner en Espagne.

On s'aperçut que pour fléchir Ferdinand VII, il fallait tenter d'autres moyens. Charles IV, la reine MarieLouise et le prince de la Paix, que Murat avait forcé la Régence de lui livrer, arrivèrent, le 30 avril, à Bayonne. Napoléon abusa de la faiblesse du vieux Roi et des passions de la Reine, pour les entraîner l'un et l'autre à une action révoltante; ils devinrent les accusateurs de leur fils. Charles IV déclara qu'il ne voulait pas remonter sur le trône, mais qu'il demandait que son fils renonçât à la couronne pour qu'elle fût cédée à Napoléon. La postérité croira-t-elle qu'un père qui aimait ses enfants, ait voulu non-seulement déshériter un fils, contre lequel on pouvait lui avoir inspiré des préventions, mais encore dépouiller de son patrimoine toute sa famille, en faveur d'un étranger?

Ferdinand VII résista d'abord; mais, intimidé, prisonnier, et cédant à la volonté de son père, il fit, le 1er mai, une renonciation conditionnelle de sa couronne en faveur de son père, renonciation qui devait être sanctionnée en présence des Cortès. Enfin, quel

ques jours plus tard, on le força, par des menaces et des injures, à signer une renonciation absolue, mais qui porte tous les caractères de la violence.

Ce fut la veille même de cet acte imposé à Ferdinand VII, et cette circonstance est remarquable, que Charles IV avait conclu le fameux traité de Bayonne, dont voici le texte :

« Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, et Charles IV, roi des Espagnes et des Indes, animés d'un égal désir de mettre promptement un terme à l'anarchie à laquelle est en proie l'Espagne, de sauver cette brave nation des agitations des factions, voulant lui épargner toutes les convulsions de la guerre civile et étrangère, et la placer sans secousse dans la seule position qui, dans la circonstance extraordinaire dans laquelle elle se trouve, puisse maintenir son intégrité, lui garantir ses colonies et la mettre à même de réunir tous ses moyens à ceux de la France pour arriver à une paix maritime, ont résolu de réunir tous leurs efforts et de régler, dans une convention particulière, de si chers intérêts. A cet effet, ils ont nommé, savoir :

«S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, M. le général de division Duroc, grand maréchal du palais; et S. M. le roi des Espagnes et des Indes, S. A. S. M. Manuel Godoy, prince de la Paix, comte de Evora Monti; lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, sont convenus de ce qui suit :

« Art. 1. S. M. le roi Charles n'ayant eu en vue toute sa vie que le bonheur de ses sujets, et constant dans le principe que tous les actes d'un souverain ne doivent être faits que pour arriver à ce but, les cir

« EelmineJätka »