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autre chose que celle des droits du pavillon neutre. Mais par la plus étrange inconséquence, quels qu'en aient été la source et le motif, la France, protectrice déclarée de la neutralité, n'a jamais mis en avant cette question dans aucune de ses négociations avec l'Angleterre. On n'en trouve pas de trace, ni dans celle de Lille en 1797, ni dans celle de 1801, qui conduisit aux préliminaires de Londres, ni dans celle de 1802, qui fut terminée par le traité d'Amiens, ni dans celle de 1803, qui précéda la nouvelle rupture, ni dans celle enfin de 1806. C'est un fait, qui doit frapper et surprendre tout le monde, quoique (de ma connaissance au moins) il n'ait encore été relevé par personne, qu'après tant de fureurs et de menaces, et après tant de serments solennels « de tout sacrifier pour cette cause sacrée de la liberté du commerce et des mers, >> le gouvernement français ait pu traiter huit mois avec l'Angleterre, sans que l'on ait accordé aux droits du pavillon neutre, je ne dis pas une heure de discussion, mais seulement les stériles honneurs du procès-verbal ! Cet oubli inconcevable, ou cet acte de mauvaise foi sans exemple, a cependant eu lieu à la même époque où, d'après ce que l'on nous dit aujourd'hui, « la déclaration du 16 mai 1806 venait d'anéantir d'un seul mot les droits de tous les États maritimes, » et peu de mois avant le décret de Berlin!

Et voilà le gouvernement qui aujourd'hui, où, grâce à ses soins, il n'y a plus de puissance neutre sur le globe, où toute question de neutralité paraît éteinte et submergée dans le gouffre fatal qui a englouti le Droit public tout entier, réunit le ban et l'arrière-ban de l'Europe dans une nouvelle croisade contre les oppresseurs de la liberté maritime, et pour bien prouver la sincérité de ses motifs, menace la seule puissance continentale, qui ait encore accordé

dans ses ports un dernier reste de protection aux derniers soupirs de la navigation neutre !

Je sais bien de quel œil on envisage de nos jours les efforts solitaires et impuissants d'un écrivain pour défendre la vérité et le bon droit dans les affaires politiques. « A quoi sert de combattre les mauvais raisonnements de ceux dont on ne peut pas repousser les baïonnettes? Vos arguments, vos discussions répondront-elles à quatre cent mille hommes? Phrases contre phrases, le plus habile est toujours celui qui sait le mieux soutenir les siennes. » Tel est le langage commun et tel est l'effet naturel de cette dégradation et dépravation secrète que l'habitude d'obéir et de se taire introduit insensiblement dans tous les cœurs. Mais que ceux au moins qui ont préservé de la contagion la meilleure partie d'eux-mêmes ne cessent de protester contre ces maximes pernicieuses! Supportons avec résignation ce que nous n'avons pas le pouvoir de guérir; n'ajoutons à nos maux ni des démarches passionnées et mal calculées, qui ne feraient que les rendre plus irréparables, ni des déclamations bruyantes, qui irritent les méchants sans les affaiblir! Mais gardons-nous de confondre dans une lâche indifférence le bien et le mal, l'innocent et le coupable, l'oppresseur et les victimes! Démasquons le sophisme et l'imposture, ne fût-ce que pour l'instruction et la satisfaction d'un petit nombre d'élus, ou pour que la postérité ne nous suppose pas tous complices des forfaits que nous n'avons pas pu empêcher! Que dans ces moments critiques et décisifs, où de nouvelles scènes de désolation vont s'ouvrir, l'attention des hommes justes et éclairés se détourne un moment du spectacle qui les entoure, et s'arrête sur le fond du grand procès. Qu'alors des réflexions sérieuses sur les auteurs. des calamités publiques, sur leur marche, leur lan

gage, leurs motifs réels et prétendus, leurs moyens de diriger l'opinion (puissance toujours redoutable, quelque avilie qu'elle paraisse aujourd'hui) réveillent et occupent les bons esprits! Et que surtout pour la conservation de ce qui est supérieur aux catastrophes du temps, l'amour de la vérité et l'horreur du mensonge et de l'injustice ne s'éteignent pas dans les âmes

honnêtes!

II.

OBSERVATIONS

SUR LES DÉCRETS DE BERLIN ET DE MILAN, ET LES ORDRES DU CONSEIL BRITANNIQUE A L'OCCASION DES NOTES DU MONITEUR AJOUTÉES A LA DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ANGLAIS DU 21 AVRIL 1812, POUR SERVIR DE SUITE AUX OBSERVATIONS SUR LE RAPPORT DU MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DE FRANCE DU 10 MARS.

(Écrites par M. de GENTZ, au commencement de juin 1813.)

Le gouvernement anglais a publié, en date du 24 avril, une déclaration officielle pour exposer ses principes, rappeler sa conduite, et annoncer la marche qu'il va suivre par rapport à la révolution violente que les décrets de Berlin et de Milan ont opérée dans les relations commerciales de tous les pays civilisés. Dans cette pièce, également remarquable par la fermeté avec laquelle le ministère britannique défend et maintient le système de justes représailles, que son ennemi l'a forcé d'adopter, et par la loyauté et la franchise avec laquelle il se déclare prêt à renoncer à ce système, aussitôt que les actes hostiles qui l'ont rendu nécessaire auront disparu, la question est replacée sur ses véritables bases, les fausses accusations et les ca

lomnies contre l'Angleterre rentrent dans le néant, et les habitants de l'ancien et du nouveau continent, apprennent à quoi s'en tenir sur une des sources les plus fécondes des maux qui les affligent, et sur le seul moyen efficace d'y mettre un terme. « Du moment, dit la déclaration, que les décrets de Berlin et de Milan seront révoqués sans restriction par un acte authentique et promulgué comme tel, les ordres du Conseil du 7 janvier 1807 et du 26 avril 1809 seront et sont déclarés d'avance, et sans qu'il y ait mème besoin d'un nouvel avertissement, pleinement et entièrement abolis. >>

Le Moniteur du 8 mai, en traduisant cette déclaration, l'a accompagnée d'une série de notes, dont le premier aspect doit faire pâlir l'homme le plus intrépide et le plus exercé à cette lutte : non pas, on s'en doutera bien, par la force des faits ou des arguments qu'elles contiennent; mais, au contraire, par l'absence de toute espèce de principe et de raisonnement, par le désordre absolu qui y règne, par la difficulté extrême de saisir un adversaire qui, ne pouvant soutenir aucun combat régulier, nous jette des pierres à droite et à gauche, et nous accable quelquefois par l'excès de sa déraison plus qu'un autre ne le ferait par la dialectique la plus victorieuse. On ne sait, en effet, de quoi s'étonner le plus dans toutes ces incroyables rapsodies que l'on veut faire passer de ce côté-là pour des déductions de Droit public. On voit bien que l'objet principal de ces pièces est toujours de dénaturer les questions, de pervertir les faits, de brouiller et de confondre toutes les données, de dérouter et de fatiguer enfin tellement l'attention publique, que personne n'ait plus l'envie ou le courage d'aller à la recherche de la vérité à travers un dédale de mensonges. Mais il n'est pas moins certain que les rédacteurs de ces compositions

bizarres paraissent souvent si peu au fait de l'objet direct de leurs propres sophismes, si étrangers aux questions qu'ils ont à traiter, si mal informés sur les circonstances les plus essentielles, et sur les événements les plus récents, qu'on a de la peine à tout expliquer par l'iniquité de leur but, et à ne pas attribuer à la médiocrité de leurs moyens une partie au moins de leurs égarements. Peu de pièces de ce genre présentent ce double caractère au point où il se retrouve dans ces notes. Si la mauvaise foi y tient le premier rang, on ne peut pas l'accuser au moins de dominer sans partage et sans rivale.

Pour porter de l'ordre dans ce chaos et jeter quelque intérêt sur une discussion qui ne serait que monotone et insipide, si je voulais suivre mon texte pas à pas, je tâcherai de réunir dans un petit nombre de cadres les points qui ont principalement besoin d'être éclaircis, et qui en même temps méritent de l'être.

1o Obligé de rentrer encore une fois dans la question de la prétendue autorité du traité d'Utrecht relativement aux droits maritimes, je tâcherai d'abord de l'expédier. Je m'occuperai ensuite: 2° des motifs, du sens et du caractère des ordres du Conseil, opposés aux décrets de Berlin et de Milan; 3° des conditions exigées par le gouvernement britannique pour la révocation de ces ordres du Conseil; 4° de la prétendue révocation des décrets de Berlin et de Milan par rapport aux États-Unis de l'Amérique; 5o des conditions exigées par le gouvernement français pour l'abolition définitive de ces décrets; 6o des avantages que le gouvernement britannique pourrait espérer de la révocation des ordres du Conseil.

Dans les observations précédentes sur le rapport au Sénat publié par le Moniteur du 16 mars, j'ai essayé de répandre quelque lumière sur la vraie origine des

« EelmineJätka »