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décrets de Berlin et de Milan, et sur celle des ordres du Conseil britannique. Mon principal objet sera, cette fois-ci, d'examiner si en effet il dépend du gouvernement anglais de faire cesser les uns et de supprimer les autres. Il est impossible de traiter ces questions sans toucher à la dispute entre l'Angleterre et les ÉtatsUnis de l'Amérique; et comme les rapports entre ces deux gouvernements sont extrêmement peu connus, ou excessivement mal jugés sur le continent, les personnes qui liront ces feuilles me sauront peut-être gré de leur avoir fourni quelques moyens de plus pour s'y orienter.

$ 1er.

De la prétendue autorité du traité d'Utrecht dans les questions de Droit maritime.

C'est pour me débarrasser de ce sujet aride, et non pas à cause de son importance particulière, que je lui assigne la première place. Je sens même une espèce de répugnance à rentrer dans une discussion où il ne s'agit que de rétablir des faits falsifiés sans art et sans scrupule, et de combattre des erreurs soutenues avec une mauvaise foi évidente. Dans la première partie de ces observations, j'ai fait voir combien il était faux et même absurde de présenter le traité d'Utrecht comme étant aujourd'hui, ou ayant été dans aucun temps, la loi commune des nations pour les droits de la neutralité maritime. Le Moniteur vient de reproduire cette thèse; mais pour le coup il s'est armé de toutes pièces; il traîne à sa suite un arsenal formidable de dates et de citations. Par une trentaine de documents anciens et nouveaux (allégués dans la onzième des notes qui accompagnent la déclaration britannique), il prétend prouver au delà de toute objec

tion « que le traité d'Utrecht, fondé sur les traités antérieurs, consacré par tous les traités postérieurs, présentant d'une manière solennelle les principes constamment adoptés par tous les États de l'Europe, est à juste titre considéré comme la loi commune des nations. >>

Cet étalage d'érudition apocryphe pourrait encore dérouter quelques lecteurs, et affaiblir la confiance dans les faits et les raisonnements que j'avais opposés aux rêves des publicistes français. Il me paraît donc indispensable de dévoiler la nullité absolue de ce que ces publicistes ont imaginé de nouveau pour emporter cette question dans leur sens. Indépendamment de son résultat direct, ce petit travail fournira encore un exemple curieux de ce que c'est que leur exactitude et leur véracité, lors même qu'ils s'avisent d'en appeler aux sources et de se couvrir d'arguments historiques.

Nous avons vu que quelques traités particuliers de commerce et de navigation, ajoutés à l'instrument principal de la paix d'Utrecht, avaient, parmi d'autres objets, réglé aussi les droits de la navigation neutre dans le cas d'une guerre maritime; mais ces traités ne pouvaient lier que ceux qui les avaient négociés et signés. Ainsi non-seulement les stipulations de la France vis-à-vis de quelque puissance que ce fût, mais encore les engagements par l'Angleterre, dans ses deux traités avec la France et l'Espagne, étaient nuls et de toute nullité pour les rapports de l'Angleterre avec d'autres puissances. Et, si le traité d'Utrecht avait été, comme on l'a faussement soutenu, renouvelé dans cent traités subséquents, il est clair qu'aucun de ces traités n'aurait jamais eu force pour l'Angleterre, à moins qu'elle n'en eût été partie, et qu'alors même ce qu'elle eût pu promettre à telle ou telle puissance n'aurait point été obligatoire pour elle vis-à-vis de telle autre puissance non comprise dans le même traité.

D'après ce principe incontestable, nous pouvons d'abord retrancher, sans autre examen, toutes celles des conventions citées par le Moniteur, auxquelles l'Angleterre n'a pas participé1; car, comme l'argument n'est dirigé que contre elle, elles ne font rien, absolument rien à la question. Reste donc à examiner les traités par lesquels l'Angleterre s'est liée. Voici, d'après la note du Moniteur, l'énumération de ceux dans lesquels elle doit avoir sanctionné les principes du Droit maritime consignés dans les traités de commerce d'Utrecht, et notamment celui que le pavillon neutre protége la marchandise ennemie.

Entre l'Angleterre et la France, en 1783 et 1786; Entre l'Angleterre et la Russie, en 1734;

Entre l'Angleterre et la Suède, en 1740, 1766 et 1783;

Entre l'Angleterre et la Hollande, en 1782;
Entre l'Angleterre et la Prusse, en 1785.

Quant aux conventions entre la France et l'Angleterre, le traité de Versailles de 1783, sans rien arrêter à cet égard, annonça seulement « qu'on travaille rait à des arrangements de commerce entre les deux nations sur le fondement de la réciprocité et de la convenance mutuelle. » Cet article conduisit au fameux traité de commerce de 1786, dans lequel les droits

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur l'authenticité et l'exactitude de cette partie même des citations. Le traité de 1725, par exemple, entre l'Espagne et l'Autriche comme souveraine des Pays-Bas, que tout le monde peut consulter dans DUMONT (vol. VIII, P. II, p. 144), ne dit pas un mot de la liberté des marchandises ennemies sous pavillon neutre, etc. Mais je m'en tiens à ce qui regarde la question directe.

Par la même raison, et pour ne pas trop m'appesantir sur un sujet très-sec en lui-même, je passerai aussi les traités antérieurs au traité d'Utrecht. Nous en aurons assez de celui-ci et de ceux qui doivent l'avoir confirmé. En attendant le lecteur peut être persuadé qu'en remontant à des temps plus reculés, la thèse que je combats, ne gagnerait pas un aspect plus favorable.

de la navigation neutre furent déterminés d'une manière extrêmement favorable à celle des deux puissances dont on supposait la neutralité dans une guerre maritime de l'autre. Je crois avoir suffisamment expliqué, dans la première partie de ces observations, quelle était la raison particulière de la grande libéralité avec laquelle cet article se trouve rédigé dans les différents traités conclus entre l'Angleterre et la France pendant le xvIIIe siècle, que le cas présumé dans ces traités ne pouvait guère se réaliser et ne se réalisa jamais, et que rien n'était moins fait pour tirer à conséquence que ces stipulations de pure étiquette'.

Des six autres traités cités dans la note du Moniteur, il y en a quatre qu'on cherchera en vain dans tous les Recueils diplomatiques publiés en Europe; et les deux qui restent sont aussi nuls pour ce qu'ils doivent prouver que comme s'ils n'existaient pas non plus. On aura de la peine, je le sens bien, à croire à une pareille manière de procéder; mais ceux qui connaissent l'histoire diplomatique du siècle passé, ou qui sont en état de vérifier les faits, jugeront s'il y a de l'inexactitude ou de l'exagération dans les éclaircissements suivants.

1o Le traité de 1734 entre l'Angleterre et la Russie ne fait aucune mention du droit de la puissance supposée neutre en temps de guerre maritime, de transporter les marchandises appartenantes aux ennemis de la puissance belligérante. Il spécifie les articles qui seront réputés contrebande de guerre, et, comme tels, sujets à la confiscation, et ajoute que ni le vaisseau

'Le traité de 1786 ne fut au reste conclu que pour douze ans, et il est plus que probable que, même sans l'intervention de la guerre, il n'eût point été renouvelé. Ce traité était un des principaux griefs que les chefs de la Révolution alléguèrent contre l'ancien gouvernement fran

ni les passagers, ni le reste de la cargaison ne partageront le sort de ces articles. Voilà tout ce que ce traité (qui doit avoir consacré les principes de celui d'Utrecht!) a statué sur la navigation neutre. Le traité que les mêmes puissances conclurent en 1766 répéta les mêmes dispositions. Après la publication solennelle des articles adoptés en 1780 par les puissances qui prirent part à la neutralité armée, quoique l'Angleterre eût constamment protesté contre ces principes, on aurait pu croire que la Russie, auteur et chef de cette association, ne consentirait plus à un traité sur les affaires maritimes, sans que le droit de couvrir indistinctement toute espèce de marchandise y fût assuré au pavillon neutre; cependant les articles relatifs à la navigation neutre, dans le traité de commerce avec l'Angleterre de 1797, étaient littéralement copiés d'après ceux des traités de 1734 et de 1766. Enfin, dans la convention de 1801, la dernière sur cet objet, non-seulement entre l'Angleterre et la Russie, mais la dernière en général à laquelle l'Angleterre ait eu part, il est expressément stipulé que les marchandises appartenant à l'ennemi, quoique transportées dans les vaisseaux d'un neutre, sont sujettes à la confiscation.

2o Aucun traité n'a eu lieu entre l'Angleterre et la Suède, ni en 1740, ni en 1783. Le traité de 1766, exclusivement calculé, à ce qu'il paraît, sur des relations de paix et d'amitié, rédigé dans des termes trèsgénéraux et très-insignifiants, n'a pas articulé une syllabe ni sur les droits, ni sur les limites de la neutralité dans les guerres maritimes. Il fallait ou une innocence, ou une effronterie peu commune, pour se permettre de citer cette pièce, et en général, de toucher, dans une discussion comme celle-ci, aux anciens rapports entre l'Angleterre et la Suède. Ceux même qui ne sont pas très-versés dans ces matières, doivent

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