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guerre! Mais vexer sur mer « les Américains et les Ottomans, dont le territoire n'est pas occupé par la France', » rien au monde ne saurait le justifier! Ce langage serait insupportable, s'il était fondé même sur quelque distinction ou restriction réelle; mais il l'est d'autant plus que le décret de Berlin n'articulait pas un mot de réserve pour les droits des neutres sur mer. « Tout bâtiment (dit l'article 8) qui contreviendra à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le navire et la cargaison seront confisqués, comme s'ils étaient propriété anglaise. » D'après cet article, rien n'empêchait les croiseurs français de courir sus à tous les bâtiments neutres, en les accusant seulement de l'intention d'entrer dans quelque port du continent, après avoir touché à un port de l'Angleterre. Il est certain et généralement connu qu'une quantité de bâtiments américains ont été pris et condamnés sous ce prétexte; et si le nombre n'en fut pas plus grand, ce n'est pas au moins à un manque de volonté de la part des Français qu'on doit l'attribuer.

D'ailleurs, s'il avait pu rester un doute sur cette question, le décret de Milan, exclusivement occupé des saisies en mer, aurait suffi pour le faire disparaître. Je sais bien que les défenseurs de ce décret diront qu'il était un acte de représailles contre les ordres du Conseil britannique. Mais outre que, dans la première partie de ces observations, je crois avoir suffisamment démasqué cette objection, je soutiens que, si elle était même juste et solide, le gouvernement français aurait perdu le droit de l'employer. Car si les neutres, comme il ne cesse de nous le répéter, « ne peuvent être assujettis à une autorité quelconque, » si une fois

'On prendrait cette phrase pour un sarcasme amer, si elle ne se trouvait pas littéralement dans le Moniteur, et même répétée plusieurs fois (voy. les Notes 4 et 10).

pour toutes ils sont «< exceptés du droit de la guerre, » il doit être également impossible de restreindre leur liberté par des actes de représailles, ou par des ordonnances directes.

Il faut le dire, parce que tel est le fait. Ces distinctions chimériques, ces subtilités insidieuses, dont le Moniteur se décore aujourd'hui, mais qui ne datent pas de bien loin, lui ont été suggérées par les diplomates américains qui, parmi d'autres assertions insoutenables, prétendaient aussi que le décret de Berlin n'avait pas positivement articulé la saisie des vaisseaux neutres en pleine mer. Les auteurs de ce pitoyable subterfuge, qui reparaît encore dans les pièces les plus récentes, avaient bien sollicité dans le temps et obtenu même du ministre de la marine de France, une espèce d'explication du décret qui avait l'air de favoriser leur découverte. Mais lorsqu'ils demandèrent ensuite que cette explication fût sanctionnée par l'autorité suprême, on leur fit savoir, après beaucoup de délais, que le décret serait exécuté dans toute sa rigueur.

Il faut s'aveugler à dessein contre l'évidence pour ne pas reconnaître enfin que les ordres du Conseil britannique du mois de novembre 1807 étaient parfaitement et amplement justifiés, non-seulement par le principe, mais aussi par toute la teneur et par chaque détail du décret de Berlin, et que les ministres anglais ont pu dire en toute vérité dans leur dernière déclaration officielle : « que Sa Majesté a cherché, par un usage restreint et modéré des droits de représailles auxquels les décrets de la France la forçaient d'avoir recours, à réconcilier les États neutres avec ces mesures, que la conduite de l'ennemi avait rendues inévitables. » En effet, l'esprit et les dispositions de ces ordres étaient fort éloignés de toute rigueur gra

tuite ou excessive. Le décret de Berlin avait défendu comme une action criminelle toute communication avec les Iles Britanniques; en réponse à cet attentat violent, les ordres du Conseil se bornaient à interdire le commerce direct avec la France et les pays soumis à son pouvoir. Si, dans les démarches de part et d'autre, il y avait eu réciprocité parfaite, la différence des motifs les distinguerait encore d'une manière décisive. La France agissait par sa propre impulsion, l'Angleterre par la nécessité de se défendre. Mais en comparant les mesures respectives telles qu'elles sont, on s'aperçoit qu'au lieu d'une réciprocité exacte, elles présentent plutôt les contrastes les plus frappants. Chaque phrase des ordres du Conseil exprime le désir du gouvernement anglais de soulager, autant qu'il était possible, ceux qui, sans leur faute, devaient souffrir de l'effet de ses représailles; dans le décret de Berlin, au contraire, on ne rencontre pas la trace d'un ménagement; tout y est enveloppé dans la même disgrâce, et les coups portés par ce sinistre arrêt tombaient aussi directement sur l'Europe continentale et sur tous les peuples civilisés que sur les habitants des Iles Britanniques. Dans les formes mêmes la différence se fait sentir. Les ordres du Conseil sont rédigés avec le calme et la décence qui conviennent à des actes publics; les décrets de Berlin et de Milan sont les explosions d'un volcan révolutionnaire.

L'esprit de modération qui avait guidé les auteurs. des ordres du Conseil de 1807, se fit remarquer de nouveau dans les changements que l'on y apporta de temps en temps, et qui tous avaient pour but d'en adoucir la rigueur. Par l'ordre du 26 avril 1809, qui dispensa les bâtiments neutres de toucher aux ports de l'Angleterre, et retrancha de l'interdiction du commerce une grande étendue de côtes et de ports, les

ordres du mois de novembre 1807 furent entièrement abrogés. Jusqu'ici les Français, soit par mauvaise foi, soit par ignorance réelle, avaient pris le parti de se taire sur tous ces changements essentiels. Tout à coup ils trouvent plus convenable de les calomnier, de les dénigrer, d'y reconnaître une preuve de plus de la prétention monstrueuse du gouvernement anglais d'assujettir l'Océan à ses lois 1.

Des déclamations contre la tyrannie des mers sont, selon eux, partout à leur place; comment les auraientils négligées cette fois-ci!« L'Océan appartient-il done à l'Angleterre? Où est l'acte, où est l'autorité qui lui a fait concession de l'Océan ? Pourquoi les délits commis sur l'Océan ne sont-ils pas jugés aux assises de Westminster? etc., etc. » Une grande partie des notes est remplie de ces extravagances. Nous ne nous y arrêterons qu'un instant. Les ordres du Conseil n'ont rien de commun avec l'empire des mers. L'Océan n'est le domaine de personne; et l'Angleterre n'en a jamais réclamé ni la propriété, ni la souveraineté. Mais les vaisseaux qui en temps de guerre parcourent cet Océan, et leur cargaison, leur destination, leur route, les pays d'où ils viennent et où ils vont, et le

Voici comment le Moniteur travestit dans une de ses notes le passage de la déclaration officielle où il est question de ces changements. « Sa Majesté Britannique, par pitié pour l'Europe, voulut bien limiter les restrictions que ses arrêts du Conseil imposaient au commerce neutre. Tous les mots de ce paragraphe excitent l'indignation. » (Note 3.) — Ce qui doit bien vivement l'exciter, c'est ce mépris total pour la vérité, qui est que les rédacteurs de ces diatribes, en répétant dans une note un passage dont ils viennent de donner eux-mêmes le texte authentique, n'hésitent pas à le falsifier sur-le-champ. Dans celui qu'ils ont attaqué ici, il n'y avait pas un mot qui pût être construit en pitié pour l'Europe. Le sens même y répugne absolument. La substitution de l'ordre du Conseil de 1809 à ceux de 1807 ne tendait qu'à modifier les restrictions que ceux-ci avaient imposées aux Américains. C'est en leur faveur que le gouvernement anglais, « ayant égard à la situation où se trouvait l'Europe en 1809, » limita l'effet des premiers ordres du Conseil.

système politique et commercial de ces pays, et les relations qu'ils entretiennent ou qu'ils forment avec ceux qui sont engagés dans la lutte, tous ces objets regardent de bien près les droits et les intérêts d'une puissance belligérante. La guerre maritime ne serait qu'un jeu, elle deviendrait même absolument nulle, si les peuples qui la font n'étaient pas autorisés à soumettre à des règles et à des limites la navigation de ceux qui voudraient cultiver la paix pendant les orages. Dans ce sens, la mer n'a jamais été libre, ne le sera jamais, et ne peut pas l'être. La liberté des mers est synonyme de la neutralité absolue; l'une et l'autre sont également impraticables, et même inconcevables. Le vrai Droit des gens, tel qu'il était avant les sophistes de nos jours, et tel qu'en dépit de leurs chimères il se maintiendra dans les têtes bien organisées, doit invariablement reconnaître ces principes. Leur application

a pu être moins sévère, moins tranchante, moins sensible, tant que la guerre elle-même était contenue dans des bornes plus étroites. A mesure qu'elle s'est affranchie de ces bornes, qu'elle a gagné soit en étendue et en variété de moyens, soit en violence et en férocité, tout ce qui l'accompagne et tout ce qui en dépend a dû subir les mêmes changements; et les neutres quelque chose qu'ils fassent pour s'y dérober, et quelque honneur et respect que les autres puissent porter à leurs droits, doivent à un certain degré partager le sort commun. Jamais le gouvernement anglais n'aurait adopté de son propre chef une mesure telle que les ordres du Conseil; mais le décret de Berlin avait complétement changé la face de la guerre, et il était peu sensé de prétendre qu'au milieu d'un tremblement de terre qui bouleversait une telle masse de pays, l'Océan, qui les entoure, conservât son calme et sa sérénité.

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