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Des conditions exigées par le gouvernement anglais pour la révocation des ordres du Conseil.

On ne peut rien imaginer de plus clair, de plus positif et de plus juste, que la condition à laquelle le gouvernement anglais attache la révocation de ses ordres du Conseil. « A dater du jour où les décrets de Berlin et de Milan seront révoqués sans réserve et restriction par un acte authentique, les ordres du Conseil seront et sont déclarés d'avance absolument et complétement supprimés. » Qui aurait cru qu'un langage si peu équivoque pût encore fournir matière aux interprétations les plus calomnieuses?

Le Moniteur s'accroche à un passage de la déclaration, où il est dit que Sa Majesté Britannique avait toujours été prête à renoncer à ses actes de représailles, si les décrets de l'ennemi, qui la forçaient d'y avoir recours, avaient été abolis, et que le commerce des nations neutres eût été rendu à son cours accoutumé. On aurait dit qu'il n'était pas possible de se méprendre sur le sens de cette phrase. Rendre le commerce des neutres à son cours accoutumé ne pouvait signifier ici autre chose que remettre ce commerce dans l'état où il se trouvait avant les décrets de Berlin et de Milan. Sur des millions de personnes qui liraient cette déclaration, il n'y en aurait pas une, je crois, qui l'entendrait différemment.

Mais voici l'explication du Moniteur: « Les Notes de M. Foster1 au gouvernement des États-Unis nous apprennent suffisamment ce que l'Angleterre entend par rendre le commerce des neutres à son cours accoutumé.

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Alors ministre d'Angleterre près les États-Unis de l'Amérique.

Il faut détruire les fabriques de sucre de betteraves, déraciner les pastels qui donnent au continent l'indigo indigène, défendre la culture du coton et ces nombreuses fabriques qui remplacent les produits de l'industrie anglaise, et qui font de si rapides progrès en France, en Autriche, en Saxe, dans le duché de Berg. Il faut, tandis que l'Angleterre met des droits de 50 à 200 pour 100 sur les vins de France, etc., recevoir les marchandises anglaises en France, et n'imposer à leur introduction que des droits de 5 à 10 pour 100. Alors le commerce sera rendu à son cours accoutumé. Voilà ce qui a été parfaitement expliqué par les Notes de M. Foster, auxquelles le ministère américain a répondu avec autant de fermeté que de talent, etc., etc. » (Note 2.) Un moment après ils ajoutent : « L'Angleterre entend qu'elle se servira des neutres pour influer par leur moyen sur les tarifs municipaux de son ennemi, que les neutres obligeront la France à recevoir les marchandises anglaises, et prêteront leur appui à l'Angleterre pour qu'elle parvienne à joindre la souveraineté universelle de la terre à la souveraineté des mers. Les réponses de M. Monroe à cette prétention si singulière ont un tel caractère de force et de vérité que nous n'avons rien à y ajouter. »

Les éloges prodigués ici au gouvernement américain sont une critique bien plus amère de sa conduite que tout ce que les défenseurs les plus zélés des droits de l'Angleterre peuvent avoir dit ou écrit contre lui. Les ministres des États-Unis ont mérité une partie de ces éloges. Il faut cependant rendre à chacun ce qui lui est dû. Les Notes de M. Monroe ne sont pas responsables du verbiage insensé que je viens de citer. Les betteraves, le pastel, les tarifs, la souveraineté universelle, tout cela est de la pure invention des écrivains du Moniteur. Mais lorsqu'à la suite de ce déluge d'ab

surdités, ils prétendent que l'Angleterre, pour révoquer les ordres du Conseil, a exigé « que les neutres obligeront la France à recevoir les marchandises anglaises, il est difficile de nier que c'est M. Monroe qui leur a administré ce chef d'accusation.

Ce ministre avait inféré de quelques passages des Notes de M. Foster, que l'Angleterre insistait sur l'admission des produits de ses manufactures dans les ports de la France et de ses tributaires, comme sur une condition préalable pour révoquer les ordres du Conseil, et qu'elle faisait un tort aux États-Unis de l'Amérique de ce qu'ils se soumettaient aux lois qui défendaient l'importation de ces articles. M. Foster a constamment protesté contre une explication aussi peu conforme au sens de ses Notes. En dépit de ses protestations, on avait su accréditér l'idée que tel était le fond de ses griefs et de ses moyens d'accommodement. Il s'en expliqua donc de nouveau dans une Noté du 17 décembre 1814, et déclara formellement qu'aucun passage de celles qui l'avaient précédée n'autorisait à lui imputer la prétention que les États-Unis insistassent sur l'entrée des marchandises anglaises en France, ou sur des modifications dans les règlements qui la défendaient. M. Monroe, sans convenir de son erreur, paraît cependant avoir senti que la thèse n'était plus soutenable; car dans sa réponse du 14 janvier 1812, d'ailleurs aussi peu juste et satisfaisante que tout le reste de la correspondance, il abandonna cette partie du procès.

Le gouvernement français a connu les deux dernières pièces; il en a donné des traductions dans ses propres feuilles. N'importe! Il était décidé à ne pas lâcher prise sur cet article, et à s'étayer « de la saine doctrine du ministère américain. » Dorénavant il n'y a plus moyen d'en sortir. Tant qu'une feuille française

s'occupera, se souviendra de cette affaire, l'assertion de M. Monroe y retentira comme une vérité inattaquable, et comme si elle n'avait jamais été ni relevée, ni réfutée, ni désavouée.

M. Foster (on le voit bien par les pièces publiées jusqu'ici) est un homme trop éclairé et trop versé dans les questions qu'il doit traiter, pour avoir pu confondre la législation commerciale de l'intérieur d'un État avec son système de conduite vis-à-vis des puissances indépendantes, ennemies ou neutres, ou pour avoir pu imaginer que les Américains devraient servir l'Angleterre en faisant modifier le régime prohibitif et «<les tarifs municipaux » de la France. Le juste grief de M. Foster a été que, contre tous les principes du Droit des gens jusqu'ici reconnus et suivis, les décrets de Napoléon prononçaient la confiscation d'une marchandise, par la seule raison qu'elle était d'origine anglaise, et quel qu'en fût le propriétaire actuel, et que d'après cette législation tyrannique, la simple possession d'un objet provenant du territoire ou de l'industrie britannique était regardée comme un acte criminel. Il s'est plaint de ce que le gouvernement des États-Unis ait pu acquiescer à un système pareil, le protéger par toutes sortes de faveurs, le seconder de tous les sophismes de sa Diplomatie, pendant qu'il accablait de reproches amers une puissance dont tout le tort consistait à avoir opposé des représailles modérées à ce même système inventé par son ennemi dans le but avoué de la détruire.

Pour révoquer ses actes de représailles, le gouvernement anglais ne demande que la suppression pure et simple des décrets de Berlin et de Milan. Il n'a jamais demandé davantage, et je ne crois pas que, sans sacrifier ce qu'il doit avoir de plus cher, il puisse se contenter de moins. Nous examinerons tout à l'heure

de quel droit on peut soutenir que ces décrets ont été révoqués à l'égard des Américains. Mais ils le seraient dans ce sens-là de la manière la plus complète et la plus catégorique, que le gouvernement anglais n'en serait pas moins autorisé, et même obligé par principe et par devoir, à les envisager comme subsistant dans toute leur plénitude. La question à laquelle ces actes hostiles ont donné lieu n'est pas seulement une question entre telle ou telle puissance neutre d'un côté, et la France ou l'Angleterre de l'autre; c'est une question directe entre l'Angleterre et la France. On peut disputer longtemps et dans tous les sens sur l'avantage réel ou apparent qui reviendrait à l'Angleterre d'une révocation partielle du décret de Berlin; la moindre réparation d'un outrage pareil, c'est de le faire cesser sans réserve, d'amender l'acte qui le contient. Se contenter, dans une affaire de cette nature, de biais, de modifications, de demi-rétractations, serait un parti dangereux, quand ce ne serait pas un parti impraticable; ici ce serait l'un et l'autre à la fois.

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De la prétendue révocation des décrets de Berlin et de Milan à l'égard des États-Unis de l'Amérique.

Dans la correspondance entre l'Angleterre et les États-Unis, on a agité pendant six mois la question si les décrets français ont été révoqués, ou non, par rapport à l'Amérique. Une aussi singulière incertitude, des discussions aussi prolongées et aussi compliquées sur un point de fait prouvent au moins que, si la révocation a eu lieu, elle ne peut pas avoir eu un caractère bien positif et bien prononcé. En effet, le peu pièces publiées à ce sujet en France, à commencer par

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