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Le gouvernement anglais s'est avancé aussi loin que possible, il a accordé tout ce que l'on peut raisonnablement prétendre, en déclarant qu'aussitôt que les décrets de Berlin et de Milan seront abolis, il révoquera et révoque dès à présent les ordres du 7 janvier 1807, et du 26 avril 1809, qui sont les seuls actes de représailles aujourd'hui en vigueur. C'est là le vrai ultimatum de cette affaire. Un pas plus loin, et la modération deviendrait faiblesse.

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Des avantages que l'Angleterre aurait à espérer de la révocation des ordres du Conseil.

On a souvent représenté, au Parlement et dans des écrits publics, le bien qui résulterait de l'abolition des ordres du Conseil pour le commerce britannique en général, et particulièrement pour les relations politiques et commerciales entre la Grande-Bretagne et les États-Unis de l'Amérique. Si le but de ces représentations était de faire révoquer les ordres du Conseil, sans que les décrets de Berlin et de Milan fussent révoqués de même, elles tendaient à une mesure incompatible avec la dignité du gouvernement anglais, à une mesure de rétractation humiliante qui, comme telle, ne méritait pas d'être discutée. Le projet d'abandonner le système actuellement établi doit, pour ne pas être rejeté d'emblée, nécessairement porter sur la supposition que la France révoquerait ses décrets aussitôt que l'Angleterre aurait révoqué ses ordres du Conseil 1.

'Les adversaires que les ordres du Conseil ont en Angleterre, sont assez d'accord sur le mal qu'ils attribuent à cette mesuré; mais ils ne paraissent pas l'être sur la nature du remède; et il n'est pas toujours

Cette supposition, fausse et chimérique de tout temps, me paraît aujourd'hui absolument inadmissible.

Je suis persuadé que Napoléon n'a pas nourri un instant l'intention sérieuse de révoquer ses décrets, à quelque prix et sous quelques conditions qu'il eût pu le faire. Je ne veux pas citer à l'appui de cette opinion les déclamations intarissables de ses organes sur le mal prodigieux que le système continental a fait et fera encore à l'Angleterre. L'ineptie de ces tirades est telle, qu'il y aurait presque un manque de bonne foi à les traiter comme des raisonnements, ou à les considérer seulement comme le vrai fond des pensées de Napoléon. Je m'en tiens à ce qui est plus sérieux, plus réel et plus analogue à son caractère. Il prétend que ces décrets sont des lois fondamentales de son empire; il les a proclamés tels dans toutes les occasions; et quoiqu'il nous en coûte de comprendre une théorie pareille, c'est sa manière de voir, de penser et d'agir. Lorsqu'il a eu l'air d'accorder quelques modifications de ces décrets aux Américains, il ne songeait

facile de saisir avec précision le but auquel ils visent. Quelques-uns, à en juger d'après leurs discours au Parlement ou d'après leurs écrits, ont l'air de désirer l'abolition des ordres du Conseil à tout prix et à toute condition. Il y en a d'autres qui, adoptant la manière de voir de MM. MARET et MONROE, regardent les prostestations insignifiantes du gouvernement français vis-à-vis des Américains, comme preuve que l'abolition des décrets a déjà eu lieu, et prétendent que d'après cela il n'y a plus à hésiter sur la révocation des ordres du Conseil. D'autres enfin semblent persuadés que, pourvu que l'Angleterre donnât l'exemple, la France ne pourrait pas se refuser à céder de son côté et à supprimer ses décrets. Le premier de ces avis est repoussé par des principes immuables; le second par l'évidence des faits contraires; le troisième est donc le seul. sur lequel il soit encore permis de raisonner.

1 La note 12 en offre de nouveau un tableau effrayant, où l'on voit la banqueroute des finances anglaises s'avancer à pas de géant par les betteraves, les pastels, et les progrès énormes des fabriques de l'Allemagne.

pas de bien loin à en altérer le fond et la substance, et jusqu'aux époques les plus récentes il a fait annoncer avec emphase qu'ils seraient invariablement maintenus. Je dis plus, il ne peut pas changer de système à cet égard; et dans ce moment-ci moins que jamais. Ces décrets sont les dernières armes qui lui restent contre l'Angleterre. Sa marine est réduite à une impuissance totale; il a perdu tout ce que la France et ses alliés et tributaires possédaient d'établissements et de colonies dans les différentes parties du globe; et, pour comble de mortification, ses armées ont été arrêtées et paralysées partout où elles ont rencontré des armées britanniques. En renonçant encore à la guerre commerciale, il s'avouerait complétement vaincu. Ses ministres et flatteurs lui ont fait croire, et il a effectivement cru pendant quelque temps, que le soi-disant système continental, dont les décrets de Berlin et de Milan forment la base, détruirait le commerce, l'industrie, les ressources de l'Angleterre, et la forcerait à une paix humiliante. Peut-être que, malgré les raisons qui auraient dû l'éloigner et le dégoûter de cette espérance, il y tient encore à un certain degré. Mais qu'il y tienne ou non, il est vivement intéressé à ce que le public ne la croie pas perdue. En révoquant ses décrets, il reconnaîtrait que les coups qu'il avait médités contre le commerce de l'Angleterre ne sont pas plus exécutables que tant d'autres dont il l'avait menacée; et dès lors l'opinion des contemporains, quelque égarée et gangrenée qu'elle puisse être, ne verrait plus dans la continuation de cette guerre qu'un acharnement sans calcul et sans but, et le présage d'une défaite absolue.

Si la supposition qu'en révoquant les ordres du Conseil, le gouvernement britannique engagerait Napoléon à l'abolition pure et simple de ses décrets, n'a

jamais eu de fondement réel, elle est devenue complétement insoutenable par le soin qu'il a mis luimême à détromper ceux qui se livreraient encore à cette

erreur.

Plus d'une fois déjà il avait fait entendre et même distinctement articuler que la révocation des ordres du Conseil ne le contenterait pas, si le gouvernement anglais ne renonçait en même temps à ses principes de blocus. Mais en dernier lieu (et nous le voyons de nouveau par les notes du 8 mai), cet article a été élevé au rang d'une condition expresse et irrémissible de la révocation de ses décrets contre l'Angleterre. Nous savons quels sont ces principes de blocus, et ce qu'il prétend mettre à leur place. Il ne suffit donc plus aujourd'hui d'abandonner les ordres du Conseil; il s'agit de savoir si ceux qui insistent sur cette mesure, sont préparés à abandonner de même le système de blocus maintenant en vigueur, à adopter sur ce point capital les définitions et les doctrines de Napoléon, à renverser, en un mot, tout le code de droits de guerre maritime, tel que l'Angleterre l'a soutenu jusqu'à ce jour. Je ne sais s'il y aurait parmi les Anglais des personnes assez éblouies par des théories spécieuses et stériles, ou assez alarmées de quelques murmures populaires, peut-être mal interprétés, pour consentir à un aussi énorme sacrifice; mais je ne crois pas que l'on oserait le proposer à une assemblée comme le Parlement britannique.

Cependant, tout en reconnaissant la vérité de ce que je dis, on pourrait encore déplorer cet état des choses comme un grand malheur, et regretter amèrement que, par l'injustice et l'obstination de l'ennemi, l'Angleterre soit privée des avantages que lui assurerait la révocation des ordres du Conseil et le rétablissement de l'ancien système commercial. Jusqu'à

quel point ces regrets seraient-ils fondés? - Pour approfondir cette question, lors même que je m'en sentirais la force, il me faudrait une grande connaissance des détails, il me faudrait des données bien autrement abondantes et décisives que celles que je possède. Je puis hasarder cependant quelques réflexions générales que ceux qui sont plus instruits que moi sauront apprécier et rectifier.

Il me paraît d'abord certain que, par la révocation des ordres du Conseil, accompagnée ou suivie de la révocation formelle des décrets français (car il m'est impossible de séparer l'une de l'autre), l'Angleterre gagnerait peu de chose pour ses relations commerciales avec le continent européen. Il n'y a aucune raison de croire que les dispositions personnelles de son ennemi en deviendraient plus modérées ou plus bienveillantes; et cet ennemi conserverait tous les moyens pour exécuter sous d'autres prétextes et dans d'autres formes son système de persécution et de proscription contre le commerce et l'industrie britanniques. Il ne serait jamais parvenu à établir et à perfectionner ce système, sans frapper de ces coups violents dont le décret de Berlin a été le premier signal. Mais ces coups une fois portés, il n'a plus besoin de mesures extraordinaires pour exécuter ses projets, autant que leur propre extravagance lui permettra de les exécuter. Les anciennes communications sont détruites; les anciens liens sont brisés; les pays opprimés par la France ont perdu pour longtemps ce qui constitue la base et le ressort du commerce; le découragement et la terreur sont dans toutes les âmes. Aujourd'hui de simples lois prohibitives, appuyées de toute la rigueur d'une police vigilante, suffiraient pour empêcher le retour aux anciennes habitudes, et les décrets de proscription disparaîtraient entièrement, que les trois

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