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quarts du continent de l'Europe n'en seraient pas moins inaccessibles aux vaisseaux et aux marchandises britanniques.

Si la révocation même des décrets de Berlin et de Milan ne rétablissait pas les relations commerciales avec le continent, il est beaucoup plus difficile d'imaginer comment celle des ordres du Conseil, considérée séparément, pourrait produire cet effet. Les ordres du Conseil n'ont rien ajouté aux obstacles que les décrets de la France avaient créés par rapport aux communications directes entre l'Angleterre et les différentes parties de l'Europe, ni par conséquent au mal que l'Angleterre a pu éprouver par la stagnation de cette branche de son commerce. Depuis que les ordres du Conseil subsistent, il n'y a plus eu en Europe de neutralité légalement avouée. L'accès des côtes et des ports que les décrets français n'ont pas pu atteindre, n'a point été compromis par les ordres du Conseil; et le commerce indirect et clandestin, qui a eu lieu en dépit des décrets, a été plutôt favorisé que contrarié par ces ordres.

En soutenant que les mesures de représailles du gouvernement anglais n'ont rien ajouté aux mauvais effets que les décrets de l'ennemi ont eus pour les rapports de commerce avec l'Europe, je ne puis, ni ne désire même beaucoup pouvoir aborder la discussion des avantages positifs que plusieurs défenseurs des ordres du Conseil leur ont attribués sous ce même point de vue. Mais quelles que soient la nature et la valeur de ces avantages (vivement contestés par d'autres), je n'y comprendrais jamais l'extension donnée en dernier lieu au système des licences. Si ce système a fait du bien au commerce anglais, il me semble que l'on ne peut point en réclamer le mérite pour les ordres du Conseil; mais, par la même raison, je trou

verais extrêmement injuste de les rendre responsables des inconvénients et des abus qui ont accompagné le système des licences. Autant que j'ai pu pénétrer cette matière, il m'a paru que la question des licences n'aurait pas dû être confondue avec celle des ordres du Conseil; ces deux questions, loin de s'attacher l'une à l'autre, sont d'un caractère absolument opposé. Que le principe du système des licences soit bon ou mauvais, nécessaire ou dangereux, conforme ou contraire aux maximes du Droit des gens et de la morale publique, il est toujours également étranger au principe sur lequel les ordres du Conseil étaient fondés1.

Jusqu'ici nous n'avons fixé notre attention que sur les changements que la révocation des ordres du Conseil opérerait dans les rapports directs entre l'Angleterre et le continent de l'Europe; mais il nous reste à examiner si l'effet de cette révocation ne serait pas bien plus sensible et plus marquant dans les rapports entre l'Angleterre et les États-Unis de l'Amérique.

1 M. CANNING, qui ne pouvait certainement pas se tromper sur le principe, l'esprit et les motifs des ordres du Conseil du mois de novembre 1807, s'en est expliqué dans un excellent discours, prononcé le 3 mars dernier sur la motion de M. BROUGHAM, où il dit entre autres que << s'il s'agissait de bien caractériser les ordres du Conseil, il en dirait que ces actes étaient d'autant plus parfaits, qu'ils se rapprochaient davantage de l'esprit d'une mesure de guerre, et s'éloignaient de celui d'une mesure commerciale. »>

Dans ce même discours, que je n'ai pu lire sans une satisfaction profonde, puisqu'il m'a prouvé que mes idées générales sur le principe et le caractère des ordres du Conseil s'accordent avec celles d'un homme d'État aussi supérieur, M. CANNING, en parlant des licences, soutient même, si j'ai bien saisi le sens de ses paroles, « qu'une puissance belligérante n'a pas le droit de permettre à ses sujets un commerce dont elle exclurait les neutres. » Je ne sais pas si cette opinion pourrait être établie en principe rigoureux; mais, dans l'application, je préférerais sans hésiter la sévérité d'une règle pareille à la trop grande facilité pour les exceptions en sens contraire.

On est accoutumé à regarder les ordres du Conseil comme la cause principale du mécontentement des Américains contre le gouvernement anglais; mécontentement qui, d'abord, a produit ces malheureux actes prohibitifs par lesquels tout commerce légal entre l'Angleterre et l'Amérique se trouve suspendu, qui a dérangé toutes les relations politiques, envenimé toutes les discussions entre les deux États, et s'est enfin développé au point de les menacer d'une rupture ouverte. Il me paraît bien plus juste de considérer les ordres du Conseil comme un des prétextes que comme la cause de ce mécontentement.

En suivant la conduite du gouvernement américain, dans chaque époque de ces dernières guerres, il est impossible de n'y pas reconnaître la partialité la plus prononcée et la plus soutenue pour la cause de la France. Je ne prends pas sur moi de décider par quel motif le parti qui, depuis la mort de Washington et la retraite de M. Adams, s'est emparé de toutes les fonctions publiques, a été guidé dans cette partialité; si c'était l'amertume que les anciens ressentiments contre l'Angleterre avaient laissée dans les esprits, ou la jalousie de sa supériorité actuelle, ou la crainte chimérique de quelque projet hostile de sa part, ou le dépit d'un gouvernement populaire, particulièrement susceptible d'être blessé par tout ce qui ressemble à un manque de procédés ou de ménagement, ou l'irritation contre le parti opposé, accusé de trop d'indulgence pour l'Angleterre, et dont le tort réel n'est peut-être que celui d'aspirer à son tour aux places et au pouvoir, ou si c'était enfin l'effet réuni de toutes ces causes, ou d'autres encore qu'il est plus difficile de pénétrer1. Mais, quelle que soit la clef de l'énigme,

'Je suis loin cependant de favoriser ou de nourrir le plus léger soupçon contre l'intégrité de ceux qui dirigent les affaires des États

le fait ne saurait être contesté. La France les a vexés de toutes les manières, les a dépouillés, maltraités, insultés dans toutes les occasions; le récit des avanies qu'ils ont essuyées de sa part depuis vingt ans, remplirait des volumes; ils ont tout dissimulé, tout excusé, tout pardonné. Mais aussitôt qu'il a été question d'un différend quelconque avec l'Angleterre, ces hommes si doux, si tolérants, si pacifiques pour son ennemi, se sont montrés sévères, intraitables, exigeants, pointilleux à l'excès. Dans les mesures qu'une nécessité impérieuse et l'intérêt direct de sa conservation prescrivaient au gouvernement anglais, ils n'ont vu que l'intention d'opprimer l'Amérique, d'entraver son commerce, d'étouffer son industrie naissante. A une époque où tout le commerce des colonies françaises, espagnoles, hollandaises passait par leurs mains, où tous les ports de l'Europe étaient remplis de leurs vaisseaux, où on n'apercevait presque plus sur l'Océan que le pavillon britannique et le leur, et où l'Angleterre observait à leur égard des principes d'une libéralité extrême, il ne fallait que quelque acte de rigueur exercé contre des abus trop violents par un tribunal notoirement incapable d'un procédé injuste, il ne fallait que quelque désagrément momentané, amené par hasard, ou par la faute d'un indi

Unis. L'idée de ce qu'on appelle vulgairement corruption serait tellement déplacée ici, que je n'ai pas besoin de l'écarter une fois pour toutes; mais je n'admets pas seulement ce genre de corruption morale que l'astuce, en employant la flatterie, peut exercer contre les hommes les plus purs. Même, à cet égard, le gouvernement français ne s'est jamais mis en frais pour les Américains; il les a traités, au contraire, avec beaucoup de sécheresse et de hauteur; et lorsque CHAMPAGNY leur a assuré « que l'Empereur les aimait, » on ne conçoit pas que ce ton de protection arrogante n'ait pas soulevé toutes les âmes. Mais il n'y a « que la morgue des ministres anglais » qui puisse exciter leur colère.

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vidu, pour les faire crier au meurtre et à la tyrannie. Les motions hostiles contre l'Angleterre, les embargos, les actes de non-importation, précurseurs des actes de non-intercourse, étaient à l'ordre du jour longtemps avant les ordres du Conseil; et comme la liste de leurs griefs était inépuisable, on est bien autorisé à croire que, quand même ces ordres du Conseil n'auraient jamais paru, ils seraient arrivés, d'aigreur en aigreur et de disputes en disputes, au point où nous les voyons aujourd'hui.

Ce qui prouve surtout que, dans cette longue carrière de prédilection pour la France et d'acharnement contre l'Angleterre, que le gouvernement américain vient de parcourir, les sentiments personnels doivent l'avoir emporté sur les calculs politiques, c'est que tous les principes honorables, et tous les intérêts bien entendus, auraient dû engager ce gouvernement dans une route diamétralement opposée. La cause de l'Angleterre était la sienne; sans compter tant de liens plus ou moins sacrés qui subsistaient entre l'Amérique et son ancienne mère patrie, celle-ci combattait pour l'indépendance générale, pour les peuples autant que pour les trônes, pour les républiques autant que pour les monarchies, contre une puissance qui avait hautement annoncé le projet de tout dominer ou de tout écraser autour d'elle. La victoire la plus décisive que l'Angleterre eût pu remporter dans cette lutte, ne pouvait jamais effrayer les Américains, mais si elle succombait, l'univers appartenait à la France; et il eût fallu un délire d'aveuglement et d'orgueil, pour faire imaginer à l'Amérique qu'elle se soutiendrait toute seule dans ces vastes ruines. En admettant que, pendant les premières époques de la Révolution, malgré l'horreur que sa marche et son caractère devaient inspirer à tout ami éclairé de la li

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