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berté, le nom de république, et l'affectation de quelques formes républicaines aient pu en imposer aux Américains, on aurait cru au moins qu'ils changeraient de sentiments et de système, lorsque tout cet échafaudage républicain fut réduit en poussière, et l'anarchie la plus féroce remplacée par un despotisme sans bornes. Mais on s'aperçut avec étonnement que leurs affections, leurs procédés, leurs ménagements restaient les mêmes, tandis que leurs craintes, leurs jalousies, leurs antipathies planaient exclusivement sur ceux qui arrêtaient les progrès de ce despotisme. Cet étonnement augmenta encore, lorsqu'on vit leur profonde indifférence aux attentats cruels commis contre le peuple espagnol, et cette absence totale d'intérêt pour l'héroïsme soutenu avec lequel ce peuple défendait sa liberté, et ce silence d'une neutralité morale, plus choquante que toute neutralité politique, qu'ils gardaient au milieu des vicissitudes d'un spectacle aussi lugubre et aussi majestueux. Le dévouement magnanime avec lequel la nation britannique avait épousé la cause des Espagnols, loin d'arracher à ces imperturbables égoïstes un seul témoignage de satisfaction ou d'admiration, les encourageait plutôt à poursuivre avec d'autant plus de ténacité les froides chicanes dont ils accablaient le gouvernement anglais. Enfin, voyant que l'incendie gagnait cette vaste partie de la monarchie espagnole dont ils sont voisins, ils parurent sur la scène; mais ce ne fut que pour s'assurer, par des coups portés dans les ténèbres, la possession de quelques provinces détachées de cette monarchie, et pour favoriser dans les autres la rébellion et la guerre civile.

Mais ce n'est pas tout encore que cet abandon des principes généreux, et cette persévérance dans un système si peu analogue au caractère d'un gouverne

à

ment républicain; il n'y a pas même d'intérêt direct et prochain, pas de considération d'avantage ou de perte positive, qui ait pu engager les chefs des ÉtatsUnis à changer de marche politique. Il est clair que, dans l'état actuel des choses, ils ont comparativement peu à gagner par l'amitié de la France, et peu perdre en risquant sa disgrâce; tandis qu'ils ont beaucoup à conserver, beaucoup à espérer, et beaucoup à craindre du côté de l'Angleterre. Leur commerce seul avec les Iles Britanniques était infiniment supérieur à celui qu'ils faisaient avec la France, et bien plus important pour eux que celui de tout le continent européen. Leurs entreprises dans les autres parties du globe, leurs expéditions mercantiles dans les grandes Indes, leurs rapports avec tout l'archipel des Antilles, leurs spéculations sur l'Amérique méridionale, tout cela ne leur est assuré que par leur bonne intelligence avec le gouvernement anglais; tout cela peut s'évanouir au premier choc d'une rupture. Mais plutôt que de déplaire à la France, ils ont ou actuellement sacrifié, ou grièvement compromis ces immenses avantages. Ils ont fermé leurs ports aux vaisseaux anglais, et défendu à leurs sujets, par un vrai acte de suicide politique, toute communication avec l'Angleterre. Non contents de ces mesures rigoureuses, après lesquelles on aurait cru au moins leurs comptes avec l'Angleterre plus que soldés, ils ont continué à crier contre le gouvernement britannique, à lui demander réparation pour toutes sortes d'offenses imaginaires, à annoncer dans leurs Assemblées législatives que la guerre était inévitable, à en préparer les moyens autant que leurs faibles ressources le permettaient. Comment expliquer une conduite aussi extraordinaire, sans admettre que ce gouvernement est entraîné par quelque impulsion secrète, plus puissante que

tous les principes et tous les calculs, par un esprit d'animosité et d'obstination qui lui ferait embrasser les mesures les plus contraires à ses propres intérêts, pourvu que ce ne fussent pas celles qui les mettraient d'accord avec l'Angleterre?

Les discussions sur les ordres du Conseil qui ont eu lieu entre les deux gouvernements depuis l'arrivée de M. Forster en Amérique, confirment malheureusement cette conjecture. Chaque pièce sortie des bureaux américains porte le cachet de ces dispositions hostiles; et si les chefs des États-Unis avaient sincèrement désiré l'amitié de l'Angleterre, ils n'auraient jamais entamé cette dispute. Ils savaient parfaitement bien que la simple modification de quelques clauses des décrets de Berlin et de Milan, en faveur d'une nation que la France avait tant d'intérêt à ménager, ne déciderait pas l'Angleterre à une démarche aussi éclatante que la révocation des ordres du Conseil ; et ils pouvaient d'autant moins s'y attendre, que le fait même de la prétendue modification ne reposait sur aucun fondement solide, sur aucun document présentable, et que le langage et les actions du gouvernement français le démentaient d'un jour à l'autre. Les chefs des États-Unis ne sont pas assez égarés par les malheureuses préventions qui les guident, ils sont encore trop clairvoyants, ils connaissent trop ce qu'un gouvernement libre doit à l'opinion publique et à l'honneur national, ils sont trop instruits sur l'état des choses en Angleterre, et sur ce qu'un ministère britannique peut ou ne peut pas faire sans compromettre ses premiers intérêts, pour qu'ils aient pu tomber dans une erreur pareille. Leur manière de traiter ces objets peut les rendre suspects d'un manque de bonne foi, mais non pas de jugement et d'intelligence. 11 y a bien loin des déclamations furieuses du Moni

teur aux sophismes adroits de M. Monroe. Or, si les ministres américains n'ont pas pu se dissimuler qu'ils exigeaient du gouvernement anglais ce que celui-ci n'accorderait jamais, et ne pouvait pas accorder, il est clair que toutes leurs négociations ne doivent être considérées que comme des moyens habilement choisis pour perpétuer la querelle, et comme des préludes à de nouvelles hostilités.

On paraît généralement persuadé que cet état de crise finira par une guerre ouverte. Cette opinion a peut-être été adoptée avec trop de précipitation. La situation respective des deux gouvernements est telle que, malgré tout ce qui s'est passé au Congrès américain, et toutes les résolutions qu'il a prises, et tous les armements qu'il a ordonnés, il est difficile de comprendre de quelle manière, sous quelle forme et de quel côté cette guerre pourrait éclater. En fermant leurs ports à l'Angleterre, et se refusant à toute communication avec elle, les États-Unis ont fait ce qui était en leur pouvoir pour se venger des ordres du Conseil. L'Angleterre, comme de raison, a protesté et ne cessera de protester contre ces mesures; mais elle n'a jamais annoncé l'intention d'aller plus loin, et de rompre la paix avec l'Amérique, dans le cas où celle-ci ne consentirait pas à changer de système. Ce ne sera donc pas, selon toute apparence, le gouvernement anglais qui déclarera la guerre. De l'autre côté, les États-Unis ne peuvent plus se regarder comme partie purement et simplement souffrante; en admettant même que les ordres du Conseil aient été, comme ils le prétendent, une mesure attentatoire à leurs droits, ils ne sont pas restés en arrière; ils ont amplement riposté par l'acte de non-intercourse, on ne conçoit pas sous quel titre et prétexte ils en viendraient à une déclaration de guerre, lorsque ce sont eux qui ont

frappé les derniers coups dans ce démêlé. Et quand ensuite on réfléchit sur la situation des États-Unis, sur la disproportion extrême entre leurs moyens et ceux de la puissance qu'ils provoqueraient, sur les sacrifices énormes par lesquels ils commenceraient cette guerre, sur les pertes incalculables qu'elle leur ferait essuyer, sur la destruction de toutes les branches de leur prospérité actuelle, qui en serait probablement le résultat final, on a de la peine à imaginer que, sans nécessité évidente et sans espoir d'arriver par là à un meilleur ordre de choses, un gouvernement responsable de ses démarches se portât à un tel excès de démence.

Cependant, il s'en faut de beaucoup que le danger d'une guerre ouverte entre l'Angleterre et l'Amérique soit le seul motif pour désirer de voir cesser leur mésintelligence actuelle. Considérée en grand, cette guerre serait certainement funeste à l'un et à l'autre pays. Car, quoi qu'en disent les calculs rétrécis d'une cupidité mal entendue, ou d'une jalousie aveugle, les vrais intérêts, les intérêts durables de l'Angleterre, ne sont point et ne peuvent pas être en opposition avec ceux des Américains, et il est impossible que ce qui appauvrirait ou ruinerait l'Amérique, ne fût pas, en dernier résultat, un mal très-réel pour l'Angleterre1. Mais les inconvénients directs de cette guerre seraient au moins mêlés de quelques avantages momentanés, et les revers mêmes quelle ferait éprouver aux Américains, conduiraient peut-être à quelques changements heureux; tandis que le système de prohibition exercé aujourd'hui contre

1 Il n'y a pas un homme d'État en Angleterre qui ne soit convaincu de cette vérité; et si on y trouve quelques esprits bornés qui la méconnaissent, il est fort injuste de rendre le gouvernement et la partie éclairée de la nation responsables des erreurs de quelques individus.

« EelmineJätka »