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le commerce britannique, est un mal sans contrepoids et sans compensation. Il est certain que la suspension du commerce avec les États-Unis est non-seulement une privation de plus ajoutée à celles que le système continental a infligées à l'Angleterre, mais qu'elle est par elle-même plus fatale aux intérêts de son industrie, de ses manufactures, et de ses rapports pécuniaires avec les autres pays, que tout ce qu'elle a pu souffrir de l'exclusion de ses marchandises des ports et marchés du continent européen.

Mais quel remède proposer contre ce mal? La révocation des ordres du Conseil sans la révocation préalable des décrets de Berlin et de Milan, est une mesure à laquelle le gouvernement anglais ne se prêtera jamais, ne peut et ne doit pas se prêter. La dignité nationale est supérieure à toute autre considération; et si on voulait la sacrifier ici, ce serait même un grand sacrifice en pure perte; car nous avons vu que, d'après les déclarations du gouvernement français, la révocation des ordres du Conseil ne suffirait pas pour faire cesser les décrets. Et, quant à l'espoir que la France pût se décider à les abolir purement et simplement, soit avant, soit après la révocation des ordres du Conseil, on doit le regarder comme tout à fait nul.

Le vrai bienfaiteur commun de l'Angleterre et de l'Amérique serait celui qui découvrirait le moyen d'aplanir leurs différends, sans la révocation des ordres du Conseil. Il faudrait beaucoup de courage, beaucoup de talent, et beaucoup de bonheur pour amener un dénoûment pareil; mais c'est le seul qui concilierait tout et qui répondrait à tout; et par cette raison même je ne puis pas me résoudre à le regarder comme absolument impossible. Je suppose et crois pouvoir supposer que, pour obtenir un si grand bien,

le gouvernement anglais ne s'arrêterait à aucune question accessoire, consentirait à tout sacrifice qui ne serait pas incompatible avec sa dignité, se prêterait avec cette facilité qui ne peut jamais compromettre le fort, lorsqu'elle est employée vis-à-vis du faible, à l'arrangement de tous ces objets secondaires que les Américains jugeraient essentiels à l'intérêt ou même au point d'honneur de leur pays, et leur accorderait enfin chaque modification des ordres du Conseil qui n'en altérerait pas le principe et la substance. Après cela, il s'agirait de faire comprendre au gouvernement des État-Unis combien il serait plus avantageux pour ses intérêts présents et futurs, d'accepter les propositions de l'Angleterre, que d'insister sur la révocation des ordres du Conseil, en s'exposant à la durée indéfinie d'un état de choses aussi pénible pour les Américains que pour l'Angleterre, ou aux dangers incalculables d'une guerre dans laquelle toutes les chances seraient contre eux.

En résumant ce qui a été dit dans cet article, il me paraît qu'il y a d'assez bonnes raisons pour ne pas se livrer à des regrets excessifs sur les obstacles qui combattent la révocation des ordres du Conseil. Cette mesure, accompagnée même de l'abolition des décrets de la France, ne ferait rien ou presque rien pour le rétablissement du commerce de l'Angleterre avec la partie du continent européen qui est aujourd'hui fermée à ses vaisseaux. Il est très-incertain qu'elle amenât un changement efficace dans ses relations avec les États-Unis de l'Amérique, et surtout dans les sentiments et les dispositions du gouvernement américain. Et, enfin, si un tel changement n'est pas devenu impossible, il doit y avoir, pour l'atteindre, une route moins opposée aux premiers intérêts de l'Angleterre, plus honorable, plus sûre, plus directe

et plus satisfaisante, que celle qui partirait de la révocation des ordres du Conseil.

III.

MÉMOIRE

SUR LES PRINCIPES ET LES LOIS DE LA NEUTRALITÉ MARITIME ACCOMPAGNÉ DE PIÈCES OFFICIELLES JUSTIFICATIVES'.

(Rédigé par le comte d'HAUTERIVE, en 1812.)

S 1er.

Droit public de l'Europe, relativement à la neutralité maritime avant 1756.

Le droit, parmi les hommes civilisés, dérive des lois. Le droit civil, qui garantit les propriétés particulières, est formé par les lois civiles; le droit public, qui règle les relations des nations policées entre elles, est également établi par des lois; mais les nations étant indépendantes, et aucune d'elles ne pouvant prescrire des lois aux autres, il en résulte que ces lois, dont l'ensemble forme le droit public, ne sont et ne peuvent être que les traités qu'elles ont conclus et signés solennellement. Ainsi, demander quels étaient les droits des neutres sur mer avant 1756, c'est, en d'autres termes, demander ce que règlent sur ce point important les traités conclus, avant cette époque, par les diverses puissances de l'Europe.

Nous allons éclaircir cette question, et résoudre toutes les difficultés qu'elle présente, en donnant l'analyse de ces traités.

Nous en tirons d'abord les principes suivants, sur lesquels on ne saurait trop appuyer, puisqu'ils sont

Voy. à la fin de ce volume Notes et Documents.

la base du droit maritime; que c'est par leur violation que les neutres ont perdu l'usage des mers, le bien de tous les peuples, et que c'est pour le rétablissement de ces grands principes qu'est armé aujourd'hui le continent européen :

1° Le pavillon couvre la marchandise, c'est-à-dire qu'un bâtiment neutre a le droit de transporter librement les propriétés ennemies, et que les propriétés amies, embarquées sur un bâtiment ennemi, se trouvent confisquées avec le bâtiment.

2° Toutes les marchandises, de quelque espèce qu'elles soient, sont couvertes par le pavillon, et peuvent, en conséquence, être librement transportées, à l'exception des marchandises dites contrebande de guerre. Ce sont les armes, les harnais et les munitions de guerre, et il est expressément stipulé que les munitions navales ne peuvent être regardées comme contrebande.

3o Les bâtiments neutres peuvent naviguer librement et sans empêchement sur toutes les côtes, et d'un port à l'autre, des pays en guerre, avec la seule restriction de ne point pénétrer dans les ports réellement bloqués. Par port bloqué, on entend un port assiégé et en prévention d'être pris.

4o Le droit de visite est né du besoin de s'assurer qu'un vaisseau neutre ne transporte pas à l'ennemi des marchandises de contrebande; mais ce point est réglé par les traités de la manière la plus avantageuse au commerce et à l'honneur des États neutres. Il y est établi que le bâtiment qui voudra visiter un vaisseau marchand, s'arrêtera hors de la portée du canon, enverra une seule chaloupe, et se bornera à faire monter à bord deux ou trois hommes qui, dans cet état d'infériorité par lequel l'honneur du pavillon est suffisamment garanti, se feront représenter les passe-ports et

connaissements du navire. Si, par hasard, il s'y trouve de la contrebande, elle doit seule être saisie, et le bâtiment, avec le reste de sa cargaison, peut continuer librement sa route.

Ces principes sont proclamés solennellement dans tous les traités conclus depuis la seconde moitié du XVIIe siècle, et l'Angleterre elle-même les a reconnus et sanctionnés dans ses traités avec la France, les Provinces-Unies, le Portugal, etc.

Le traité conclu le 10 juillet 1654 entre l'Angleterre et le Portugal (no 1) consacre, dans l'article 23, l'important principe de la garantie de la marchandise par le pavillon.

Le traité de 1655, entre la France et l'Angleterre (n° 2), est particulièrement remarquable. L'article 15 porte que le pavillon couvre la marchandise, à l'exception de la contrebande : « à savoir, poudre et mousquets, et toute sorte d'armes et de munitions de guerre. » Le même article défend d'introduire des munitions de bouche dans une place assiégée, ce qui borne le droit de blocus au cas où un port se trouve réellement investi et attaqué par terre et par mer.

Dans le traité de 1668, entre la Hollande et l'Angleterre (no 3), l'article 1er énonce le principe que les neutres ont le droit de naviguer et commercer d'un port à l'autre sur les côtes de l'ennemi. L'article 2 est conçu en ces termes :

« Cette liberté de naviguer et de commercer s'étendra à toutes les espèces de marchandises, excepté celles qui sont déclarées de contrebande. >>

L'article suivant porte que de ce nombre sont seulement les armes et les munitions de guerre; et dans l'article 4, il est dit que tous les autres objets peuvent être transportés partout librement, excepté dans les villes et lieux bloqués et investis.

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