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Le discours du roi ne parut pas répondre à lá grandeur d'une solennité qui recommençait en quelque sorte les destinées de la monarchie française. Il n'y est nullement question des vices invétérés dans la constitution de l'état, des abus révoltans qui existaient dans toutes les parties de l'administration. Le roi s'empresse de parler de la dette de l'état et de l'embarras excessif des finances; il annonce que les deux premiers ordres ont montré des dispositions à renoncer à leurs priviléges pécuniaires; il dit qu'il recevra avec empressement les idées et les moyens proposés par l'assemblée pour rétablir les finances et raffermir le crédit public. Au langage que les ministres font tenir au roi, dans une conjoncture si solennelle, si décisive, on s'aperçoit qu'ils envisagent l'assemblée des états généraux comme un grand conseil convoqué par le monarque, et de son bon plaisir, pour émettre des avis sur les questions qui lui seront adressées. On voit clairement que les ministres déclinent la haute juridiction d'une assemblée qui, dans l'origine de notre monarchie, était le souverain. Le roi parle de ses peuples, de ses sujets; et, quoiqu'il donne aux députés le titre de représentans de la nation, il n'est pas question dans ce discours des premiers intérêts de la nation, c'est-àdire des réformes à opérer dans toutes les parties de l'administration politique et civile, réformes impérieusement réclamées par l'immense majorité de la nation française. En un mot, on peut déjà présumer que les ministres ont porté Louis XVI à assembler les états généraux uniquement parce qu'il était impossible d'obtenir sans eux des emprunts et des impôts; il était même permis de croire que, les ressources pécuniaires une fois accordées et garanties, les ministres eussent décidé le roi à dissoudre l'assemblée et à

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renvoyer les améliorations politiques ou constitutionnelles à une prochaine assemblée d'états généraux, dont la convocation aurait été éludée ou ajournée indéfiniment. Sans doute le roi désirait et voulait le bonheur public; il portait à ses peuples un amour sincère mais la faiblesse de caractère de ce monarque était connue, et les courtisans de Versailles disaient hautement << que, les affaires de finances une fois réglées, » tout serait dit, et qu'il fallait renvoyer chez eux les » députés le plus tôt possible. »>

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Le discours de M. de Barentin, garde des sceaux parut froid, péniblement contourné, et rempli, en outre, de réticences despotiques. Il s'attache à faire l'éloge du roi, à retracer les améliorations opérées oụ les bienfaits accordés par le monarque depuis son avénement au trône; mais le chef de la justice évite avec une sorte d'affectation de parler des réformes les plus nécessaires, les plus urgentes; cette phrase : « des » grâces versées sur un petit nombre de courtisans et » de favoris, quoique méritées, ne satisferaient pas la » grande âme du roi, » cette phrase seule annonce qu'on n'entendait pas, à Versailles, mettre un terme aux abus, aux déprédations qui provoquaient l'animadversion générale. Le discours de M. de Barentin fait douter de la sincérité des sentimens exprimés par le roi; il cause surtout une grande défiance aux membres du tiers état, il produit un très-mauvais effet, et l'on s'en explique assez hautement au sortir de l'assemblée.

Quant à M. Necker, il s'érige, dans son discours, en interprète des intentions royales : il met un grand amour-propre à signaler aux états généraux les sujets qui devaient faire l'objet de leurs délibérations; il les invite à procéder avec lenteur dans les réformes et

améliorations, à n'être pas envieux du temps; il se complaît à enseigner à MM. les députés aux états généraux dans quel esprit ils doivent discuter les questions financières et politiques qui leur seront présentées; il leur parle de l'importance et de la dignité de leurs fonctions, et se présente lui-même, en sa qualité de ministre des finances, comme une espèce de précepteur de la nation, de tuteur du roi, et de directeur de l'opinion publique.

M. Necker était banquier et se croyait homme d'état, présomption assez ordinaire, du reste, à tous les individus qui ont acquis une grande fortune en faisant ce qu'on appelle la banque, c'est-à-dire l'agio sur la lettre de change et les effets publics. Si, demain, le plus riche et le plus sot des agioteurs de l'Europe était appelé au ministère, un tel individu se croirait un Colbert, et peut-être même un lord Chatam. « Le » salut de la France est dans mon portefeuille, » dit modestement M. Necker avant l'ouverture de l'assemblée des états généraux. Nous avons entendu madame de Staël rapporter ces paroles de son père, et, dans l'excès de sa tendresse, ou plutôt de son adoration filiale, madame de Staël trouvait ces paroles justes et

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convenantes.

L'on ne peut s'empêcher de dire quelques mots sur un ministre devenu si fameux à l'époque de notre révolution, que, sans lui, disait-on, la France était perdue.

Sous les rapports physiques, M. Necker n'avait dans sa personne rien de séduisant ni même d'agréable. Sa figure était repoussante au premier abord; il était difficile de ne pas y apercevoir une sorte de morgue qui déplaisait, malgré que l'on en eût, et cette morgue avait l'air de vous dire : « Voyez en moi un

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grand homme, un génie supérieur.» M. Necker croyait faire preuve de supériorité en tenant la tête fort relevée et presque renversée, peut-être parce que M. le duc de Choiseul, le plus léger, et quelquefois le plus fier des grands seigneurs de la cour de Louis XV, s'était fait une gloire de porter le nez au vent. M. de Choiseul offrait du moins une certaine noblesse dans son caractère, dans sa personne, tandis que M. Necker était tout-à-fait dépourvu de grâce dans son maintien, de dignité dans ses manières, et presque de politesse dans ses formes sociales. Sa conversation était sèche et sans aucune amabilité, son âme était, si l'on peut parler ainsi, toute dans son esprit, et l'esprit bouchait hermétiquement chez lui le sentiment. Dire que M. Necker n'avait pas infiniment d'esprit, ce serait s'accuser soi-même d'imbécillité. Lorsqu'on l'entendait disserter sur des opinions religieuses, sur des points de haute administration, sur des questions littéraires, on était quelquefois étonné de la force ou de la hardiesse de ses pensées; mais jamais les raisons dont il se servait pour convaincre ne parvenaient à persuader. L'amour-propre était l'essence, le souffle vital de M. Necker; et, à moins d'avoir vu et entendu ce ministre se louer lui-même à tout propos et sur toute espèce de sujets, il serait impossible de se faire une idée de l'excès et de l'étendue de vanité dont M. Necker était dévoré. On peut dire que l'égoïsme moral dégénérait chez lui en délire. Affamé de réputation, de renommée, de célébrité, sous les rapports d'homme de lettres, d'homme d'état et d'homme doué de toutes les vertus, M. Necker ne pardonnait pas la plus légère critique de ses écrits littéraires, de ses actes ministériels, et à peine permettait-il de les examiner. Ne pas les louer était un tort, les critiquer un crime.

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Ce ministre a été jugé, et très-bien jugé, par M. Monthyon, dans son excellent ouvrage intitulé: Particularités et observations sur les ministres des finances de France, etc., etc., dédié aux mânes de William Pitt, imprimé à Londres, en 1812.

On a fait de M. Necker un grand ministre, un homme de génie, un sage, et presque un de ces sages de l'antiquité dont le nom est synonyme du mot vertu. Rien de tout cela : le Génevois était tout simplement un intrigant parvenu, un ambitieux exalté jusqu'à la démence, qui voulait jouir d'une influence prépondérante dans l'opinion publique, et s'arroger un pouvoir exclusif sur toutes les affaires du gouvernement : voilà le mobile de toutes ses actions et le secret de cette vertu dont on a fait long-temps un si pompeux éloge. On serait cependant injuste si l'on refusait à ce ministre la probité financière, c'est-à-dire une grande exactitude en affaires. Quant à ce qu'on appelle strictement probité, cette grande vertu morale, tout le monde sait aujourd'hui que M. Necker avait fait pour son compte particulier des spéculations sur les annuités anglaises au moment du traité de paix de 1783; mais M. Necker avait reçu commission d'acheter les annuités anglaises pour un personnage que sa très-haute position tenait au courant des secrets de l'état; et, tout en ayant l'air d'exécuter la commission dont il était chargé, M. Necker intrigua si bien, qu'il joua le personnage et fit la spéculation pour son propre compte. Rien de facile comme de s'enrichir subitement lorsqu'un ministre ou ses premiers commis vous communiquent les grandes nouvelles extérieures ou les projets ministériels d'une certaine importance. La personne ou le favori initié dans le secret de l'état peut accaparer à coup sûr les effets publics et toutes

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