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Il finit par n'être plus que l'émissaire secret d'Albéroni auprès des ministres étrangers à Madrid '. Lors de l'expédition de Sardaigne, il compromit gravement la Hollande en illuminant sa maison en l'honneur de la prise de Cagliari par les Espagnols, ce que ne fit aucun autre ambassadeur. En même temps il se faisait accuser d'indélicatesse; Bubb, le résident anglais, se servit de lui pour faire passer une certaine somme à Albéroni; le cardinal ne parla jamais de cet argent à Bubb si bien que Bubb soupçonna Ripperda de se l'être approprié. De toutes façons les choses étaient allées trop loin. Les ÉtatsGénéraux rappelèrent ce bizarre ambassadeur quelque temps avant la chute d'Albéroni'.

Ripperda était déjà déterminé à se fixer en Espagne. Il y avait acheté la maison de l'amirante de Castille à Madrid et des terres. Il se hâta d'aller rendre compte de son ambassade à la Haye, revint à Madrid, se convertit publiquement au catholicisme et offrit ses services à Philippe V, en déclarant qu'il attendait depuis longtemps le bonheur de pouvoir être ouvertement bon catholique et bon Espagnol ".

Albéroni, qui rêvait de rendre à l'Espagne son ancienne prospérité, songea sans doute à utiliser les connaissances de Ripperda en matière de commerce et d'industrie. Mais le cardinal tomba. Ripperda perdait en lui son principal appui. Il sut cependant se maintenir à la Cour. Il resta fidèle au parti italien et fut mêlé à ses intrigues; c'est ainsi qu'en 1721, lorsque l'idée des mariages autrichiens revient sur l'eau à Madrid, il est dans l'affaire, écrit à ce sujet Sinzendorf'. Si l'on tient pour vrais les propos qu'il débita plus tard à Vienne, il aurait même

1 St-Simon, Mémoires, t. 29, p. 175.
St-Simon, Mémoires, t. 29, p. 110-111.
3 St-Simon, Mémoires, t. 29. p. 175-176.
St-Simon, Mémoires, t. 30, p. 56.

St-Simon, Mémoires, t. 30, p. 56.

On a prétendu qu'il avait fait de Ripperda une sorte de surintendant des manufactures; je n'en ai pas trouvé la preuve.

7 Référat à l'Empereur, du 14 février 1725. W. S. A.

joué un rôle important à la Cour. La reine lui continua toujours, prétend-il, la grande confiance qu'elle lui avait témoignée du temps du cardinal. Il s'entendait avec elle dans une commune haine contre la France. C'est lui qui fit renvoyer le cardinal del Giudice comme trop français. A la vérité il ne remplissait aucune charge. Sa position était celle d'un confident du ménage royal. Il recevait une pension de 2,000 pistoles et chaque jour, si sa santé le permettait, le roi et la reine le faisaient venir au palais pour le consulter sur les affaires de l'État. C'est ainsi qu'il lui fut donné de suggérer à Élisabeth Farnèse l'idée d'un rapprochement avec l'Empereur et d'un double mariage entre les infants et les archiduchesses. Naturellement on le choisit pour négocier l'affaire à Vienne; on lui fit même la promesse de le nommer premier ministre à son retour s'il réussissait 1.

Je ne puis voir en toute cette histoire qu'une de ces habiles hableries dont Ripperda était coutumier. S'il jouissait de cette position privilégiée à la Cour, s'il avait des conférences journalières avec les souverains, cela ne pouvait passer inaperçu. Comment alors le maréchal de Tessé, qui était au courant de toutes les intrigues, qui veillait jalousement sur l'entourage du roi et de la reine, qui mandait scrupuleusement les boutades du valet de chambre et de la nourrice, -ne signale-t-il jamais dans ses dépêches la singulière influence de cet homme ? Ripperda, depuis son ambassade, paraît avoir été bien oublié à Madrid. Quand le bruit de sa mission à Vienne commença à transpirer, on ne parla de lui que comme d'un certain Ripperda, d'un inconnu. Enfin, Philippe V lui-même a donné un démenti catégorique à ses assertions. Dans un entretien avec l'ambassadeur impérial, le comte de Königsegg, le roi affirma que ce n'était pas à Ripperda mais à la reine qu'il fallait attribuer l'honneur et l'idée première de l'alliance autrichienne. Elle soumit cette idée à son mari et tous deux l'adoptèrent absolument seuls. Ils la confièrent à Oren

1 Référat à l'Empereur, du 11 février 1725. W. S. A.

dayn pour qu'il rédigeât les instructions de l'agent secret qu'ils voulaient envoyer à Vienne. Quant au motif qui fit choisir Ripperda pour cette mission délicate, c'est simplement le peu d'importance du personnage: son absence ne serait pas remarquée à la Cour, son envoi n'attirerait pas l'attention; s'il échouait on pourrait facilement le désavouer; s'il réussissait on le récompenserait par un poste d'importance secondaire, par exemple,en lui donnant les Indes 1.

Là évidemment est la vérité. Le véritable collaborateur de Philippe V et d'Élisabeth dans leur nouvelle politique, ce fut Orendayn. C'est lui qui en cas d'échec devait être couvert, lui qui en cas de succès devait devenir premier ministre. Quant au négociateur secret, on le prit, un peu au hasard, dans le parti italien, ce qui était une garantie de sa fidélité, et parmi les personnages les moins en vue de ce parti, ce qui permettait de mieux garder le secret et au besoin de nier tout. Mais le système de la Cour de Madrid était tel que la reine fut amenée à confier à l'agent en sousordre, à l'aventurier, ce qu'elle n'avait osé avouer au ministre espagnol. Or l'homme qui reçut ainsi le secret de la reine, se trouva être le plus forcené des ambitieux. Il vit tout le parti qu'il pouvait tirer de sa mission pour sa propre fortune, et intriguant, trompant en partie double, maniant le mensonge avec un habileté prodigieuse et un aplomb stupéfiant, il se mit en marche vers le but qu'il s'était proposé et qu'il avoua d'entrée de jeu au chancelier autrichien: devenir premier ministre d'Espagne.

(A suivre.)

Gabriel SYVETON.

1 Königsegg à Charles VI, le 30 avril 1726. W. S. A.

LA

CONFÉRENCE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

DE LA HAYE

Quand la Conférence internationale convoquée par le gouvernement des Pays-Bas pour préparer une entente sur diverses matières de droit international privé inaugura ses travaux à La Haye le 12 septembre 1893, plusieurs des délégués, tout en étant convaincus de la haute utilité de l'œuvre qu'ils allaient entreprendre, se demandaient si elle n'allait pas échouer en se heurtant à des difficultés prévues qui paraissaient insurmontables. Le programme-questionnaire soumis aux gouvernements européens par celui des Pays-Bas semblait le programme d'un cours complet de droit international privé élaboré par le plus savant des professeurs, et devant ce vaste programme, sans instructions précises sur aucune des matières aussi importantes que délicates qui allaient être l'objet des délibérations de la Conférence, il était permis de douter de son succès. Il est vrai que si l'Europe était représentée à la Conférence par la plupart de ses États, la science du droit international privé l'était aussi par les plus illustres de ses interprêtes; mais on pouvait craindre que les discussions, en se maintenant sur le terrain des principes absolus, n'aboutissent pas à des résultats pratiques au point de vue du droit positif. Et cependant la Conférence a réussi : elle a réussi au-delà des espérances des délégués les plus optimistes, au-delà des espérances de son digne président, M. le professeur Asser, qui, après avoir poursuivi pendant de longues années et sans relâche la codification du droit international privé, a su mener à bonne fin son œuvre et a vu entrer dans la voie de la réalisa

tion un des rêves de sa jeunesse. On ne doit pas juger du résultat par le nombre des règles adoptées par la Conférence et soumises à l'appréciation des gouvernements respectifs: on aurait pu faire plus, sans doute, et on aurait pu, peut-être, faire mieux, au point de vue de la doctrine, quant aux dispositions concernant le mariage et les successions; mais il a fallu tenir compte des lois en vigueur dans les quatorze pays représentés à la Conférence, il a fallu respecter les lois dont le caractère purement religieux en matière de mariage exclut toute entente en cas de conflit, il a fallu éviter des résolutions qui pourraient sembler condamner, même d'une manière académique, certaines législations surannées que les professeurs chargés de les expliquer n'osent pas même défendre; il a fallu ménager toutes les susceptibilités nationales, peser tous les mots, après les avoir examinés au microscope pour y découvrir leur substance, chercher la forme qui préjugerait le moins possible les décisions à prendre ultérieurement par les gouvernements respectifs, et aboutir à un protocole final acceptable pour tous. Et on a fait tout cela. Voilà pourquoi le résultat doit être apprécié, non pas d'après le nombre des résolutions prises, mais d'après le nombre des difficultés vaincues, difficultés dont les procès-verbaux des séances donnent à peine une idée, et voilà pourquoi on peut affirmer que la Conférence de La Haye a été un succès pour le gouvernement néerlandais qui l'a convoquée et pour l'éminent jurisconsulte qui a dirigé ses travaux, car c'est la première pierre posée pour la codification du droit international privé.

Il y a vingt ans, en 1874, le gouvernement des Pays-Bas proposa aux autres États de s'entendre sur des règles communes concernant la compétence des tribunaux en matière civile et commerciale afin de pouvoir fonder sur cette base la reconnaissance internationale des jugements. Cette initiative du gouvernement des Pays-Bas, comme celle prise en 1881 par le gouvernement de S. M. le Roi d'Italie pour la réunion d'une Conférence chargée de préparer les conventions internationales qui

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