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sortait rarement de sa classe sans un mérite éminent. Mais quel besoin peut avoir l'État de ceux qui n'ont que des mérites ordinaires?

Cte DE VORGES.

Dix ans de paix armée entre la France et l'Angleterre, 1783-1793, par le marquis de BARRAL-MONTFERRAT, ancien secrétaire d'ambassade. Paris, Plon, 1894, in-80 de 374 pages.

Dans ses précédentes publications sur l'Histoire diplomatique de l'Europe de 1648 à 1815, M. de Barral faisait preuve d'un sens très pratique et d'une vaste érudition qu'il a puisée principalement aux archives de France et d'Angleterre. Nous retrouvons les mêmes qualités dans le nouveau volume qui nous expose la décadence intérieure et extérieure de la France coïncidant avec le relèvement complet de l'Angleterre. C'est aussi attristant qu'instructif.

Nous voyons d'abord apparaitre, mais hélas! pour disparaitre bientôt, la grande figure de Vergennes : « Digne antagoniste de William Pitt, il sut comprendre et déjouer, tant qu'il vécut, la politique du ministre britannique. Elle était pourtant singulièrement habile, cette politique sans scrupules, dont la haine et la crainte de la France étaient le princi pal moteur (p. 5) ».

Le 13 février 1787, M. de Vergennes rendait le dernier soupir. « J'ose affirmer, écrit l'ambassadeur anglais Dorset, que la chose qui tenait le plus au cœur de M. de Vergennes était le désir de maintenir une paix durable entre l'Angleterre et la France, comme le moyen le plus efficace de contenir les desseins ambitieux des autres puissances. Je ne puis, par conséquent, m'empêcher d'émettre l'avis que l'Angleterre a lieu de lamenter autant que la France la perte d'un ministre animé de pareils sentiments (p. 146). »

M. de Barral ajoute : « Avec le comte de Vergennes s'éteignait le dernier éclat de notre diplomatie expirante. Avec l'assemblée des Notables allait commencer la Révolution. »

Lorsqu'arrivent les complications orientales, l'auteur de Dix ans de paix armée en expose avec netteté les origines et les éléments: « Ce fut, dit-il, vers le milieu du XVII siècle, que les grands princes de Moscovie, souverains à demi-barbares, dont l'importance différait peu de celle de tel hetman de Cosaques, ou de tel chef de tribus tartares, changèrent leur titre contre celui de tsar (et non pas czar) orthodoxe de la Grande Russie. Dès l'origine, ce titre devint un programme pour les princes de la maison de Romanov et une menace pour les pays voisins de la Moscovie. Programme, il indiquait que les nouveaux tsars prétendaient prendre sous leur protection toutes les populations du rite orthodoxe, si nombreuses dans l'Est de l'Europe. Menace, il signifiait que tous les souverains, dont l'empire s'étendait sur quelques-unes de ces populations... seraient perpétuellement en lutte avec les nouveaux protecteurs de l'orthodoxie grecque. Aussi, le titre orgueilleusement assumé par le successeurs d'Ivan-leTerrible leur fut-il immédiatement contesté. De cette contestation surgirent des guerres nombreuses qui, avec des vicissitudes diverses, aboutirent en somme à faire des faibles princes de Moscovie les puissants autocrates qui règnent aujour

d'hui sur toutes les Russies. De son côté, l'Autriche, dont l'éternelle ambition a toujours été de se tailler à coups d'épée, à travers l'empire ottoman, un débouché sur la mer Noire, poursuivant à travers les siècles ce but invariable, fut appelée à lutter perpétuellement contre quiconque lui barrait les bouches du Danube. Le cabinet de Vienne, dirigé par ce mobile unique, a été tour à tour l'ami ou l'ennemi des Polonais, des Russes et des Turcs, selon qu'en appuyant ceux ci ou en combattant ceux-là, il croyait se rapprocher du but qu'une bien naturelle ambition assignait à ses efforts (p. 256). »

Du reste, malgré les apparences d'une entente complète et cordiale des deux souverains, le beurt de l'idée autrichienne et allemande contre l'idée russe se produisit dès la célèbre excursion de Catherine II en Tauride. « Je ne souffrirai point, dit Joseph II au comte de Ségur, que les Russes s'établissent à Constantinople. Le voisinage des turbans sera toujours moins dangereux pour Vienne que celui des chapeaux (p. 294). »

Les lignes de M. de Barral, que j'ai citées plus haut, n'expliquent pas seuloment la question d'Orient dans le passé, mais de nos jours, où elle se débat sur le terrain bulgare. En faisant triompher la cause de la Roumanie entre 1854 et 1866, la France opposait une digue à l'ambition tant de la Russie que de l'Autriche, dans l'intérêt de tout le reste de l'Europe. Il est à regretter que des com plications étrangères à l'Orient la détournent de jouer aujourd'hui le même rôle bienfaisant en Bulgarie, conformément à son génie et à ses traditions séculaires. J'ai souligné la phrase dans laquelle le marquis de Barral-Montferrat assimile le grand duc de Moscovie d'autrefois à un hetman de Cosaques. Le rapprochement est très juste et profond. Un hetman de génie aurait très bien pu jouer le même rôle que les Romanov, s'il avait su rallier à son Ukraine les populations congénères de la Russie blanche et de la Russie rouge. Telle ne fut pas la destinée de l'Ukraine. Par crainte de la suzeraineté ottomane, qui n'a cependant empêché aucune autonomie de survivre, Bogdan Chmielnitski plaça sa chère autonomic sous la sauvegarde de la Grande Russie. Je ne sais si, comme on le raconte, il s'en repentit sur son lit de mort; mais cette autonomie ne devait pas tarder à succomber avec le célèbre Mazeppa.

Le livre de M. de Barral raconte en grand détail, avec pièces à l'appui, le projet, qui surgit sous Catherine II, d'une alliance franco-russe. Cette Revue en a rendu compte dans son VIIe volume, à la page 256; mais je ne terminerai pas ce trop court exposé sans signaler à l'attention du lecteur les rapports de l'ambassadeur d'Angleterre sur les premières péripéties de la Révolution française.

A. D'AVRIL.

CHRONIQUE

SOCIÉTÉ D'HISTOIRE DIPLOMATIQUE.- Ont été élus membres de la Société d'histoire diplomatique: MM. Dupuis, secrétaire de l'École des Sciences politiques, rue Saint-Guillaume, Paris, présenté par MM: Vandal et Tranchant.

Joseph KORZENIOWSKI, membre délégué de l'Académie des Sciences de Cracovie, 6, quai d'Orléans, Paris, présenté par MM. de Maulde et Waliszewski.

Le duc de SABRAN, château de Magnanne, par Chateau-Gontier, Mayenne, (France), présenté par MM. le comte d'Antioche et le duc de Broglie.

Le marquis d'ALBON, 2, rue Cambacérés, Paris, présenté par MM. le comte d'Antioche et Vandal.

GUICHARD DES AGES, à Couhé-Vérac (Vienne), présenté par MM. le marquis de Beaucourt et de Maulde.

Le prince Dominique RADZIWILL, 8, rue La Mennais, Paris, présenté par MM. le comte d'Antioche et le duc de Broglie.

La Société a perdu M. Jagerschmidt.

Lord Rosebery a été nommé premier ministre M. Barrère ambassadeur de la République française à Berne: M. le comte d'Aubigny, ministre à Athènes, M. le baron Guillaume, ministre à Bucharest, M. Cogordan, chargé de l'agence et consulat général du Caire, M. Edmond Mayor, conseiller d'ambassade à Berlin, M. Millet, ministre à Stockholm, a été promu à la première classe de son grade, M. Nicolas de Giers vient d'être nommé Conseiller d'État, M. Bonghi a été élu député.

M Vladan Georgevitch a été fait grand-cordon du Sauveur, grand-cordon du Medjidié: M. Gorrini, officier des Saints Maurice et Lazare.

M. Cogordan a reçu le grand-cordon du Medjidié, M. Cambon la plaque de l'Osmanié enrichie de diamants, M. de la Boulinière l'Osmanié de 2o classe.

L'Académie française a conservé le prix Gobert à M.Vandal, et donné à M.Octave Noël, le prix Thérouanne pour son Histoire du commerce du monde depuis les origines.

S. E. le prince Trivulzio a procédé, comme président, à l'ouverture de l'Exposition de Milan. M.le baron de Courcel a présidé le congrès des sports athlétiques. L'assemblée annuelle de la Société a eu lieu le jeudi 31 mai. On a entendu le compte rendu du trésorier, le rapport du secrétaire général, une lecture de M. de Martens (faite par M.le comte Vandal), sur la Russie et l'Angleterre au commencement du XIXe siècle, une lecture de M.Léonce Pingaud: Une négociation secrète sous le Directoire,l'allocution du président. MM. le comte d'Antioche, de Beaucourt, le baron de Courcel, le comte Durrieu, le comte d'Harcourt, Lavollée, Schefer,

Schlumberger, le marquis de Vogüé, membres sortants du Conseil d'administra tion, ont été réélus: M.le comte Boulay de la Meurthe a été élu,en remplacement de M. le comte de Bizemont, démissionnaire.

Un des grands journaux quotidiens de Paris, le Moniteur Universel, ayant publié le discours de M. le duc de Broglie, inséré ci dessus, M. de Maulde lui a adressé une lettre, publiée dans le numéro du 4 juin, où il montre qu'il est d'accord, dans son ouvrage, avec la théorie de M. le duc de Broglie sur la nécessité en fait de l'équilibre.

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« La haute autorité qui s'attache aux paroles de M. le duc de Broglie me fait presque un devoir de formuler une observation au sujet de certaines théories d'histoire diplomatique qu'il a l'obligeance de me prêter dans son discours du 31 mai. Dans mon ouvrage sur la Diplomatie au temps de Machiavel, j'ai constaté que la diplomatie était l'art de vivre au jour le jour et que souvent on trouvait difficilement trace d'un principe quelconque dans la conduite d'un bon diplomate (page 5). Il m'est donc très facile de m'entendre avec tous les principes, et notamment de reconnaitre avec M. le duc de Broglie l'utilité pratique des alliances basées sur la communauté des intérêts ou des passions: ce qu'on appelle le système d'équilibre déjà formulé par la sagesse antique, inscrit dans le code de Manou, et qui n'a pas cessé de demeurer fort opportun.

M. R. Lambelin vient de publier, sur la Sicile, des notes de voyage, illustrées de gravures, qui forment un gros et intéressant volume.

Sous ces titres A la mémoire de Sa Majesté l'empereur Alexandre II, souvenirs et esquisse de la vie privée du tsar par O.H. Aagaard. (Audr. Schous édit., Copenhague, 1874), et Croquis historiques par M.H.de Beaufort.(Van Kampon, édit. Amsterdam, 1893. Deux volumes), l'un de nos membres et l'un de nos correspondants viennent de publier deux importants ouvrages. Le second contient une suite d'articles sur des sujets historiques divers: la Démocratie; - les premières années du gouvernement de Guillaume I; — la mort du stathouder Guillaume II; — les projets de libre-échange anglais et hollandais; le duc de Brunswick, etc. Notre confrère, M. Geoffroy de Grandmaison a gracieusement mis un certain nombre d'exemplaires de son Ambassade française en Espagne pendant la Révolution (1789-1804) — à la disposition des membres de la Société d'Histoire Diplomatique, Ceux-ci pourront se procurer cet important ouvrage, dont nous rendrons compte prochainement, au prix de 4 tr. 50 le volume au lieu de 7 fr. 50, en s'adressant à la librairie Leroux.

ANGLETERRE.

A signaler: 1o un important article sur sir Andrew Mitchell, le diplomate, par F. Espinasse, dans le dernier volume paru du Dictionnaire de Biographie nationale; 20 le Calendar of State Papers, America and West Indies. par N. Sainsbury, 1675-76, avec des addenda pour la fin du XVIe siècle. Parmi les ouvrages annoncés: 1o la publication des papiers de Sir Gerald Portal, décédé en Ouganda, par Rennell Rodd; 2o celle des Problems of the Far East, par M. Curzon, membre du Parlement; 30 un volume fort curieux de comptes du comte de Derby (devenu plus tard Henri II d'Angleterre), par la Camden Society. M. Round, le promoteur de l'Anglo-Norman Society, a trouvé

en France d'intéressants documents sur les Plantagenet qu'il se propose de publier.

BELGIQUE.

M. Charles Piot, archiviste général du royaume de Belgique, a eu la bonne fortune de mettre la main sur un précieux manuscrit contenant les lettres de Mgr Francipani, nonce en Flandre, adressées à divers personnages, de 1602 à 1605 1, qu'il a réussi à acquérir pour le dépôt de Bruxelles, grâce à l'obligeante intervention de Mgr le chanoine Reusens, le savant professeur d'archéologie et de diplomatique à l'Université de Louvain. Habitué à faire profiter le public savant de ses découvertes, M. Piot s'est empressé de signaler cette trouvaille dans le Bulletin de la Commission royale d'histoire. Ottavio Myrto Francipani, évêque de Tricarico, puis archevêque de Tarente, fut le premier nonce résident en Flandre. Il fut nommé à ce poste, créé le 20 avril 1596, par le pape Clément VIII, sur la demande de l'infante Isabelle et de l'archiduc Albert, souverains des Pays-Bas. Arrivé à Bruxelles, le 15 septembre suivant,il exerça ses fonctions jusqu'en 1606, d'après Gachard. Le registre retrouvé par M. Piot contient les copies ou les minutes des lettres écrites en latin par Francipani, de 1602 à 1605, à divers prélats et abbés, et à quelques laïques des Pays-Bas, d'Allemagne et de France. L'archiviste belge, dans son intéressant article, en publie la liste complète, qu'il serait trop long de reproduire ici. Nous donnerons une idée suffisante de l'importance des lettres en citant les noms des principaux personnages à qui elles sont adressées: le cardinal de Lorraine; les archevêques de Malines,de Cambrai, de Trèves,de Mayence; les évêques de Tournai, Namur, Ypres, Anvers, Bruges, Utrecht, Ruremonde, Bois-le-Duc; le coadjuteur de Cologne; l'archidiacre de Saint-Omer;les abbés de Lobbes, Cambron, Bonne-Espérance-Grimberghe,de SaintPierre, à Gand, de Sainte-Gertrude,à Louvain,etc.; le confesseur de l'infante Isabelle, le duc de Croy et d'Aerschot, le chancelier de Brabant, Juste Lipse, Assonville,Sandecourt, Maillane, l'avocat Claude Danly, à Verdun, etc., etc. Toutes ces lettres traitent exclusivement d'affaires ecclésiastiques, ressortissant à la nonciature de Flandre.

Le critique à la recherche des sources de l'histoire ne dénoncera jamais trop la valeur d'information de la vaste correspondance du cardinal de Granvelle 2. Elle s'impose à l'étude historique par l'autorité du témoignage d'Antoine Perrenot, le grand ministre de Philippe II, l'homme d'Etat qui fut longtemps le dépositaire et l'inspirateur de la pensée du roi, son puissant maitre. L'intérêt de ces lettres s'avive de la nouveauté des détails que Granvelle et ses correspondants nous donnent sur les personnages et les événements politiques de leur époque. Et le prix des documents publiés se double de la façon dont l'éditeur les commente, les coordonne, les met en lumière, dans de savantes introductions, par la finesse de ses analyses, la hauteur de ses vues générales, la scrupuleuse impartialité de ses jugements. De nombreuses notices biographiques, fruit de pa

1 Bulletin de la Commission royale d'histoire, Ve série, T. 3o, livraison I, p. 7, Bruxelles, Hayer, 1893.

Tome X, par Charles Piot, archiviste du royaume de Belgique, membre de l'Académie royale, de la Commission d'histoire, etc. Bruxelles, Hayer, 1893.

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