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ges par une guerre. Contrainte et forcée, elle adhéra aux préliminaires de Paris dans l'été de 1727. Mais elle chercha à les rendre vains en faisant échouer le Congrès qui s'ouvrit à Soissons, le 14 juin 1728. En même temps, elle remit formellement les mariages sur le tapis. Dès la fin de 1727, elle déclara qu'elle ne saurait se contenter plus longtemps de la clause trop vague du quatrième traité de Vienne; et elle demanda une déclaration plus précise sur le mariage de don Carlos avec Marie-Thérèse. Pour se soustraire, sans rupture, à ces sollicitations, la cour de Vienne eut recours à un singulier expédient. Elle répondit à Elisabeth que l'assentiment de la France était nécessaire et qu'il fallait avant tout avoir l'avis de Fleury sur une alliance de famille entre les Bourbons d'Espagne et les Habsbourg. Sinzendorf fut envoyé à Soissons, avec l'ordre de solliciter l'adhésion de Fleury à l'union de don Carlos avec Marie-Thérèse, et de se la faire refuser sous main. Mais le cardinal n'était pas un novice. Dans la négociation assez amusante qui se poursuivit en 1728 entre lui et Sinzendorf, il refusa obstinément de montrer une répugnance formelle pour le mariage: il se donna le plaisir de laisser l'Empereur dans l'embarras et de brouiller de plus en plus les cartes entre les cours de Vienne et de Madrid. Elisabeth ne pouvait plus se dissimuler la mauvaise volonté de l'Empereur. Elle se rabattit sur les duchés italiens. Elle essaya de réparer la faute qu'elle avait commise en ne réclamant à leur sujet, en 1725,aucune garantie matérielle et elle demanda à Vienne l'autorisation de mettre des garnisons espagnoles dans les places fortes de Toscane. Charles VI n'y consentit pas, bien que la France et l'Angleterre déclarassent ne pas s'y opposer. L'Espagne et l'Autriche commencèrent à négocier en cachette, chacune de leur côté, avec la France et l'Angleterre l'Espagne pour assurer les duchés à don Carlos, l'Autriche pour régler la question d'Ostende et se mettre en état de faire échec à l'Espagne en Italie. Mais ces premières négociations n'aboutirent pas et l'alliance austro-espagnole sembla devoir se maintenir par nécessité.

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Sur ce, la troisième fille de Charles VI mourut. Or dans le traité du 5 novembre, l'Empereur s'était engagé à donner en mariage deux de ses trois filles à don Carlos et à don Philippe. Par la mort de la dernière, les deux aînées se trouvaient donc, ipso facto, fiancées aux deux infants. C'est ainsi, du moins, qu'en jugea Elisabeth Farnèse. Mais on interpréta tout autrement les choses à Vienne où l'on raisonna ainsi : l'Empereur en promettant deux de ses filles, quand il en avait trois, se réservait évidemment la liberté du choix; celle-ci lui étant ravie, ses engagements tombaient d'eux-mêmes. Si l'on ne fit pas expressément ce beau raisonnement à la reine, on lui refusa la « déclaration. finale» qu'elle demandait, l'Empereur se renferma dans les termes du traité et déclara qu'il ne ferait « aucun autre pas» (février 1729). C'en était trop pour Elisabeth. Elle en revint à ses duchés et à l'idée de se les faire assurer par la France et par l'Angleterre. Le 9 novembre 1729, elle s'entendit avec ces deux puissances au traité de Séville: elle se fit autoriser à mettre des garnisons espagnoles dans les places fortes de la Toscane et dans Parme et Plaisance; elle dénonça l'alliance économique avec l'Autriche et elle se joignit aux puissances maritimes pour obtenir l'abolition de la Compagnie d'Ostende.

La guerre faillit éclater alors en Italie entre l'Empereur et l'Espagne. Quand le duc de Parme mourut, en janvier 1731, les troupes impériales occupèrent ses États: l'Espagne protesta et arma. Mais l'Angleterre, rassurée par Charles VI sur la question d'Ostende, s'entremit et sauva encore une fois la paix. Par le traité de Vienne qu'elle signa en mars 1731 avec l'Empereur, Charles VI accepta les garnisons espagnoles dans les duchés ; il obtint en échange la garantie de sa Pragmatique; on stipula seulement dans deux articles très secrets, et en termes détournés, que l'archiduchesse héritière n'épouserait pas un Bourbon.

Au dernier moment, Elisabeth Farnèse, craignant que l'appui de la France et de l'Angleterre ne lui manquât en Italie, était

revenue à son projet de mariage autrichien. Elle envoya le duc de Liria demander pour don Carlos la main de Marie-Thérèse; elle se serait même contentée de la seconde archiduchesse. Liria arriva à Vienne quand le traité avec l'Angleterre était déjà arrêté. Naturellement ses propositions furent déclinées. Elisabeth adhéra au traité de Vienne le 22 juillet 1731.

On rentra donc en 1731 dans la politique normale, sinon de l'Espagne, du moins de la reine. Don Carlos prit immédiatement possession des duchés de Parme et de Plaisance. Le grand duc de Toscane mourut en 1737; mais déjà une autre guerre avait eu lieu et d'autres arrangements avaient été pris en Italie. Don Carlos abandonna Parme et Plaisance à l'Autriche et la Toscane à François de Lorraine pour aller régner à Naples. Ainsi était réalisé le vœu de la reine: elle avait fait de son fils aîné un souverain indépendant « chez qui, après la mort du roi, elle put se retirer et commander ».

Philippe V mourut en 1746. Il fut remplacé par le fils de son premier mariage, don Ferdinand. Le nouveau roi était le plus doux des hommes et n'avait nulle envie de persécuter sa bellemère. Elisabeth ne se retira point à Naples. Elle vécut à Saint-Ildefonse avec la jouissance d'un beau douaire et la tutelle de ses enfants mineurs. En 1748, après une nouvelle guerre, son second fils, don Philippe, devint duc de Parme et de Plaisance. Les Farnèse, installés déjà à Naples, rentraient maintenant dans leurs domaines patrimoniaux. Elisabeth assista donc au triomphe de sa maison en Italie. Elle la vit encore triompher en Espagne : Ferdinand III mourut sans enfants et Charles VII de Naples devint Charles III d'Espagne. Tout ce qu'elle avait rêvé s'accomplit ainsi sous ses yeux, alors que, sortie de la lutte, revenue de ses craintes fébriles et des ardentes ambitions, très-vieille, apaisée, elle ne demandait plus rien à la terre qu'un lit pour son dernier sommeil.

GABRIEL SYVETON.

L'AMBASSADE DU MARÉCHAL DE BELLE-ISLE

A FRANCFORT EN 1742

(Extrait des Mémoires du prince Emmanuel de Cröy-Solre).

M. le vicomte de Grouchy a eu l'heureuse chance de trouver, il y a de longs mois déjà,à la bibliothèque de l'Institut de France, une série de quarante volumes manuscrits qui sont les mémoires inédits du prince de Cröy: il a bien voulu en détacher un fragment à notre intention, et il se propose d'en donner d'autres plus étendus à la Revue Rétrospective, à la Revue Britannique, et à la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile de France.

Emmanuel de Cröy, prince du Saint-Empire, fils d'Alexandre Emmanuel, prince de Cröy, lieutenant-général des armées du roi et de Marie-Marguerite-Louise de Millendonck, naquit le 23 juin 1718, et fut nommé en 1738, mestre de camp du régiment royal Roussillon cavalerie, avec lequel il passa en 1741 en Westphalie; en 1742, il se rendit à Francfort, et assista au couronnement de l'Empereur Charles VII: c'est là l'épisode que nous reproduisons aujourd'hui. Lieutenant-général en 1759, maréchal de France en 1783, il mourut à Paris le 30 mars 1784, à 65 ans. Il a laissé de nombreux écrits et particulièrement des mémoires, qui, quoique diffus, sont parfois bien curieux.

Le 19 janvier 1742, j'arrivai à Francfort à deux heures après midi; l'officier qui était à la tête de la maison de M. de Belle-Isle, M. de la Pierre, me trouva un fort bon appartement vis-à-vis et avec la permission du comte de Papenheim, maréchal héréditaire de l'empire, dans son quartier ; c'était chez un gros marchand genevois, nommé Lagis, qui parlait bien français, était fort entendu et me fut très utile. Je m'habillai de suite et fus encore à la moitié du diner chez M. de Belle-Isle, où il n'y avait que le nonce et l'ambassadeur d'Espagne d'étrangers. Il y avait là plus de trente français. Le maréchal avait fait son entrée, la veille, avec la plus grande magnificence.

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Le 20, je fus, à neuf heures du matin, voir la prestation de serment du magistrat et de la bourgeoisie de Francfort entre les mains du collège électoral', ensuite j'allai assister à la visite en cérémonie que le nonce du pape rendit au maréchal de Belle-Isle, et je retournai à l'Hôtel-deVille voir sortir les ambassadeurs électoraux de leurs conférences.

Le 20 janvier les huit ambassadeurs électoraux, la voix de Bohême dormant et étant nulle pour cette fois seulement, quoique sa place tint toujours son rang, se rendirent comme de coutume en grand cortège au Roemer (Hôtelde-Ville de Francfort), sur les onze heures, dans la grande salle, où sont les effigies des Empereurs dans des niches. On avait placé sous un dais et sur une estrade de trois marches, neuf fauteuils égaux, sur une même ligne et à égale distance. Cinquante suisses ou trabans appartenant à l'électeur de Saxe, comme archi-maréchal de l'Empire, fesaient un grand demi cercle devant les fauteuils ; outre leurs officiers, le comte de Pappenheim comme maréchal héréditaire de l'Empire, les commandait en l'absence de l'archi-maréchal. Les ambassadeurs électoraux entrèrent selon leur rang, et s'assirent dans l'ordre suivant dans les fauteuils hors celui de Bohême, qui resta vide.

10 Ambassadeur Palatin, le baron de Wachtendonck.

20 Ambassadeur de Saxe, le comte de Schöenberg.

30 Ambassadeur de Cologne, le comte de Hohenzollern.

40 Ambassadeur de Trèves, le comte d'Ingelheim.

50 Ambassadeur de Mayence, le comte Deltz.

60 Bohême... vide.

7° Ambassadeur de Bavière, le comte de Königsfeld.

80 Ambassadeur de Brandebourg, M. de Schverin.

90 Ambassadeur de Hanovre, le comte de Munchausen.

Etant assemblés et assis, M. de Bentzel, chancelier de Mayence, fit un discours en allemand sur le sujet de l'assemblée, ensuite le sous-chancelier de Mayence lut la formule du serment aux trois corps de magistrats qui forment le grand conseil. Ils étaient placés debout, devant les ambassadeurs sur trois rangs par corps, ou par bancs de quatorze conseillers chacun. Le premier rang des éche vins, le second des jurisconsultes, le troisième des chefs de maitrise, et leur ayant demandé s'ils voulaient prêter le serment et eux ayant répondu que oui, ils allèrent toucher dans la main, selon leur rang, le comte Deltz, premier ambassadeur de Mayence, ensuite de quoi ils répétèrent phrase par phrase le serment, ayant les deux premiers doigts de la main droite levés. Ensuite, ils se retirèrent, et les

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