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manifesté, en forme testamentaire, la volonté d'être enterrée civilement, entre dans les ordres ou qu'elle bâtisse une église et s'y fasse ériger un tombeau, il faudra voir dans ces faits une révocation tacite de la disposition première. Tout le monde au Sénat, fut d'accord sur ce point (séance du 13 juin 1883). Au contraire le rapporteur déclara nettement que le fait d'avoir reçu les derniers sacrements n'entraînait pas à lui seul révocation tacite des premières dispositions funéraires ; qu'il fallait examiner dans quelles conditions ils avaient été administrés et si le moribond avait agi librement et en pleine possession de ses facultés (séance du 15 juin 1883).

La rédaction adoptée par le Sénat ne fut pas admise par la Chambre. Elle fut remplacée par la phrase suivante qui fut insérée dans l'article 3 et qui a pris place dans la loi définitive:

<< Elle (la volonté du testateur) est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation. >>

Mais il a été bien établi dans la discussion que la Chambre entendait maintenir intactes les principes du droit civil en matière de révocation de testament et les appliquer aux dispositions funéraires comme aux testaments proprement dits. C'est là, d'ailleurs, le sens exact du troisième paragraphe de l'article 3.

M. Bernard, sous-secrétaire d'État de l'intérieur, disait à ce sujet devant la Chambre :

« La révocation d'une disposition testamentaire est tacite ou indirecte lorsque le testateur fait de nouvelles dispositions incompatibles avec les premières, ou bien encore lorsqu'il intervient de sa part certains faits qui démontrent l'intention de révoquer les dispositions précédentes. En d'autres termes, l'intention de révoquer une disposition testamentaire, encore qu'elle n'ait pas été formellement exprimée, peut résulter de certaines circonstances de fait qui impliquent l'impossibilité, l'inconciliabilité des dispositions testamentaires avec les actes postérieurs du défunt... Lorsque nous disons dans l'article 3 que les règles ordinaires sont applicables, cela veut dire sans aucun doute qu'on entend main tenir la faculté de révocation indirecte, tacite, résultant de certaines circonstances de fait... Quand je vous disais en commençant que la nouvelle rédaction de la Chambre des députés ne différait de celle votée par le Sénat que par la forme et non par le fond, je ne m'éloignais pas beaucoup de la vérité (Séance du 18 février 1886). »

Dans la dernière délibération du Sénat, le 1er février 1887, M. Labiche rapporteur insista sur la même idée et lut un fragment de son rapport du 25 janvier 1887 ainsi conçu : « Il est expressément reconnu aussi bien par le représentant du gouvernement, que par le rapporteur et sans qu'il se soit élevée une objection, que la révocation tacite doit être admise toutes les fois que le changement de volonté peut être établi par un ensemble de faits précis et concordants, démontrant que les dispositions testamentaires sont inconciliables avec les actes postérieurs du défunt. >>

La Chambre a donc entendu s'en tenir au droit commun et aux principes du droit civil. Tous les efforts tentés par la droite pour y ajouter quelque chose ont été impuissants. Un amendement de M. Thellier de Poncheville demandant que la révocation tacite de la disposition funéraire pût résulter de présomptions graves, précises et concordantes, fut repoussé (18 février 1886).

L'article 3 a été attaqué vivement au Sénat et à la Chambre, spécialement, mais non exclusivement par le parti conservateur. Il n'obtint au Sénat, le 11 mai 1883, qu'une majorité de onze voix.

On lui a reproché d'être une loi d'intolérance et d'oppression (Mgr Freppel), une loi de défiance contre les parents du défunt (M. de Lamarzelle), destinée à affaiblir les liens de famille en provoquant la discorde entre les proches et les exécuteurs testamentaires chargés de régler les funérailles (M. Jouin), un encouragement à des manifestations hostiles aux pratiques religieuses, une entrave aux changements de volonté qui peuvent se produire à l'article de la mort, enfin une loi politique poussant à l'irréligion d'État.

Il a été dit en sens contraire que c'est une loi de tolérance et de liberté, destinée à assurer la liberté de conscience et le respect de la volonté des mourants, et, dans ses deux premiers articles, à maintenir l'égalité de tous les citoyens devant la loi.

Dans le projet primitif il était dit que le majeur ou le mineur émancipé peut régler le caractère de ses funérailles ce qui visait seulement le fait d'un enterrement civil ou religieux. Le Sénat, en 1883, a substitué à ce mot la formule: les conditions de ses funérailles, ce qui veut dire que le testateur peut statuer sur tous les détails de l'inhumation, le lieu, la date, etc. Le Sénat supprima aussi, sur la demande de M. BoucherCadart, une disposition adoptée par la Chambre des députés et qui était ainsi conçue: «< Tout porteur de l'acte aura qualité pour en poursuivre l'exécution.» On fit observer avec raison qu'on ne peut pas déléguer un mandat; que le porteur d'un testament n'a d'autre faculté que de le remettre à qui de droit et qu'il appartient aux seuls exécuteurs testamentaires d'en poursuivre l'exécution.

Le 30 mars 1886, M. Blatin fit voter par la Chambre des députés un amendement qui introduisait dans l'article 3 la faculté pour le testateur de réclamer la crémation comme mode de sépulture. La commission du Sénat pensa qu'il y aurait inconvénient à introduire ce mot dans le texte de la loi. Rien dans la législation actuelle ne lui parait s'opposer à l'incinération des cadavres (1), mais le procédé ne pourra être appliqué que

(1) M. Bernard, sous-secrétaire d'État de l'intérieur, avait combattu à la Chambre l'amendement Blatin, en affirmant au nom du gouvernement que la crémation ne serait possible en France, que lorsqu'une loi spéciale l'aurait autorisée en revisant les articles 77 et 81 du Code civil et 358 du Code pénal. Il invoquait à ce sujet l'avis donné par M. Cazot, garde des sceaux, le 7 juin 1880 et transmis au conseil municipal de Paris, le 25 du même mois. Le gouvernement a exprimé plusieurs fois une opinion opposée. (Instruction administra-tive de M. Lepère, ministre de l'intérieur, du 18 février 1880. Avis donné

quand un règlement d'administration publique l'aura organisé et que des appareils crématoires auront été construits. Pour donner satisfaction au vote de la Chambre, le Sénat a introduit dans l'article 3 les mots : ..... el le mode de sa sépulture, et il y a ajouté la disposition suivante, qui vise dans son texte général l'incinération des cadavres « Un règlement «< d'administration publique déterminera les conditions applicables aux << divers modes de sépulture. Toute contravention aux dispositions de ce << règlement sera punie des peines édictées par l'article 5 de la présente <<< loi. >>

M. de Mortillet fit aussi voter par la Chambre, le 18 février 1886, un amendement autorisant le testateur à disposer de son corps en faveur des établissements d'instruction publique ou des sociétés savantes. La commission du Sénat écarta cette addition comme inutile, aucun texte de loi ne s'opposant à ces sortes de dispositions qui sont assez fréquentes, et qui reçoivent leur exécution, à la condition que les prescriptions de police soient observées. L'insertion de l'amendement dans la loi aurait pu même avoir le danger de faire considérer comme illégales les autopsies faites en dehors du cas de dispositions testamentaires.

L'article 4 organise une procédure spéciale destinée à faire respecter la disposition testamentaire relative aux funérailles.

Les contestations de cette nature étaient précédemment portées devant le président du tribunal civil, qui statuait en référé, vu l'urgence el pouvait ordonner des mesures provisoires, sauf au tribunal à statuer au fond.

La loi nouvelle veut une décision prompte et en même temps définitive. Le juge de la contestation est le juge de paix du lieu de décès, sauf 'appel devant le président du tribunal civil, qui devra statuer dans les vingt-quatre heures. Cet appel d'un jugement de justice de paix porté devant le président du tribunal jugeant seul, est une nouveauté dans notre législation.

L'article 5 donne à la loi une sanction pénale.

L'article 6 la déclare applicable à l'Algérie et aux colonies.

Art. 1er. Toutes les dispositions légales relatives aux honneurs funèbres seront appliquées, quel que soit le caractère des funérailles, civil ou religieux.

Art. 2. Il ne pourra jamais être établi, même par voie d'arrêté, des prescriptions particulières applicables aux funérailles, en raison de leur caractère civil ou religieux.

par le préfet de police, le 2 décembre 1884, au conseil municipal, que le ministre de l'intérieur autorise des essais de crémation). Voir aussi une consultation dans ce sens de MM. Durier et Napias, avocats du barreau de Paris, du 23 mars 1881. On a rappelé, à ce sujet, un arrêté de M. Frochot, préfet de la Seine, du 1er floréal an VIII, qui, dès cette époque, autorisa un cas de crémation.

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Art. 3. Tout majeur ou mineur émancipé (1), en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture.

Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l'exécution de ses dispositions.

Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par-devant notaire, soit sous signature privée (2), a la même force qu'une disposition testamentaire relative aux biens (3); elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation.

Un règlement d'administration publique déterminera les conditions applicables aux divers modes de sépulture. Toute contravention aux dispositions de ce règlement sera punie des peines édictées par l'article 5 de la présente loi.

Art. 4. - En cas de contestation sur les conditions des funérailles, il est statué, dans le jour, sur la citation de la partie la plus diligente, par le juge de paix du lieu du décès (4), sauf appel devant le président du tribunal civil de l'arrondissement, qui devra statuer dans les vingt-quatre heures (5).

La décision est notifiée au maire, qui est chargé d'en assurer l'exécution.

Il n'est apporté par la présente loi aucune restriction aux attributions des maires en ce qui concerne les mesures à prendre dans l'intérêt de la salubrité publique (6).

Art. 5. Sera punie des peines portées aux articles 199 et 200

(1) M. Bouvattier blama le droit accordé au mineur émancipé de régler ses funérailles (Chambre, 13 février 1886). M. Pally demanda au contraire que le droit fût étendu à tout ineur àgé de 16 ans. - Le rapporteur répondit qu'en s'attachant à l'émancipation, la loi avait tenu la balance égale entre les droits de la famille et ceux de l'individu (Chambre, 30 mars 1886.)

(2) Mgr Freppel demanda la non-admission du testament olographe, qui lui paraissait laisser place à une surprise possible de la volonté du testateur (Chambre 28 juin 1882).

(3) La forme testamentaire est exigée impérieusement. La volonté du testateur exprimée sous une autre forme, ne serait pas protégée par l'article 3 de la loi. Cette pensée a été nettement formulée par M. Goblet, ministre de l'intérieur, dans la discussion devant la Chambre et elle a reçu l'assentiment de la commission (Séance du 28 juin 1882).

(4) M. Griffe demanda devant le Sénat, la suppression de la juridiction du juge de paix, et le maintien de celle du président du tribunal jugeant en référé sans appel (15 juin 1883).

(5) L'appel devant le président fut critiqué par M. Paris, qui proposa l'appel porté devant le Tribunal convoqué d'urgence (Sénat, 1er février 1887).

(6) Notamment en temps d'épidémie, où le retard apporté à l'ensevelissement pourrait nuire à la santé publique.

du Code pénal (1), sauf l'application de l'article 463 dudit Code, toute personne qui aura donné aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à la décision judiciaire, lorsque l'acte constatant la volonté du défunt ou la décision du juge lui aura été dûment notifié (2).

Art. 6. La présente loi est applicable à l'Algérie et aux colonies.

X

LOI DU 16 DÉCEMBRE 1887, CONCERNANT LES INCOMPATIBILITÉS

PARLEMENTAIRES.

Notice et notes, par M. Paul ROBIQUET, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, docteur ès lettres.

La loi du 9 décembre 1884 sur l'organisation du Sénat et l'élection des sénateurs (3), contenait une disposition transitoire ainsi conçue: << Dans le cas où une loi spéciale sur les incompatibilités parlementaires ne serait pas votée au moment des prochaines élections sénatoriales, l'article 8 de la loi du 30 novembre 1875 serait applicable à ces élections... ». La Chambre, dans sa séance du 9 décembre, avait rejeté définitivement, par 282 voix contre 207, un amendement qu'elle avait voté à la majorité de 372 voix lors de la première délibération, et qui était destiné, dans la pensée de ses auteurs, MM. Bovier-Lapierre, Cavalié et BernardLavergne, à devenir l'article 18 de la loi. Cet article était rédigé dans les termes suivants: « L'exercice des fonctions publiques rétribuées sur les

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(1) Article 199 du Code pénal. Tout ministre d'un culte qui procédera aux cérémonies religieuses d'un mariage, sans qu'il lui ait été justifié d'un acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'État civil, sera, pour la première fois, puni d'une amende de 16 à 100 francs.

Article 200. En cas de nouvelles contraventions de l'espèce exprimée en l'article précédent, le ministre du culte qui les aura commises sera puni, savoir: pour la première récidive, d'un emprisonnement de deux à cinq ans et pour la seconde, de la détention.

(2) Dans le projet voté en 1882 par les Chambres, la pénalité édictée par l'article 5 n'atteignait que les ministres du culte. M. Goblet, ministre de l'intérieur, insista pour que le maire pût aussi les encourir. La redaction définitive lui a donné raison.

Il a été reconnu que dans cet article, il faut entendre par funérailles, les cérémonies publiques et non celles qui peuvent être renfermées dans la maison mortuaire (Sénat, séance du 15 juin 1883).

(3) V. notice à la page 212 de l'Annuaire de législation française pour l'année 1884.

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