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gleterre. Après un tel mot, il faut bien se rendre. N'objectez pas la saleté de ces mœurs; vous voyez bien qu'elle n'a rien de rebutant, puisque la bonne compagnie s'en régale. Ces intérieurs de prison et de mauvais lieu, ces tripots, cette odeur de gin, ces marchandages d'entremetteuses et ces comptes de filous, rien ne dégoûte les dames, qui applaudissent dans leurs loges. Elles chantent les chansons de Polly; leurs nerfs n'ont peur d'aucun détail; elles ont déjà respiré ces senteurs de bouges dans les pastorales limées de l'aimable poëte. Elles rient de voir Lucy qui montre sa grossesse à Macheath, et qui verse à Polly de la mort aux rats. Elles sont familières avec toutes les gracieu

If any of the ladies chose gin, I hope they will be so free to call for it.

JENNY.

Indeed, sir, I never drink strong-waters, but when I have the cholic.

MACHEATH.

Just the excuse of the fine ladies! why, a lady of quality is never without the cholic....

MISTRESS SLAMMEKIN.

I am sure at least three men of his hanging should be set down to my account.

MISTRESS TRULL.

Mistress Slammekin, that is not fair. For you know one of them was taken in bed with me.

1. As to conscience and musty morals, I have as few drawbacks upon my profits or pleasures, as any man of quality in England; in those I am not at least vulgar.... To ruin a girl of severe education, is no small addition to the pleasure of our fine gentlemen.

Of all the animals of prey, man is the only sociable one.

2. Dans ces Églogues les dames expliquent en bon style que leurs amies ont pour amants des laquais :

Her favours Sylvia shares amongst mankind;

setés de la potence et toutes les gentillesses de la médecine. Mistress Trapes expose son métier devant elles, et se plaint d'avoir onze belles clientes entre les mains du chirurgien1. M. Filch, un pilier de prison, dit qu'ayant remplacé le faiseur d'enfants, de« venu invalide, il a amassé quelque argent à procu<< rer aux dames de l'endroit des grossesses pour leur << faire avoir un sursis 2. » Une verve atroce, aigrie d'ironie poignante, coule à travers l'œuvre comme un de ces ruisseaux de Londres dont Swift et Gay ont décrit les puanteurs corrosives; à cent ans de distance, elle déshonore encore le monde qui s'est éclaboussé et miré dans son bourbier.

II

Ce n'étaient là que des dehors, et les bons observateurs, Voltaire par exemple, ne s'y sont point trom

Such gen'rous Love could never be confin'd.

Ailleurs la servante dit à la dame :

Have you not fancy'd in his frequent kiss
Th'ungrateful leavings of a filthy miss?

1. I have eleven fine customers now down, under the surgeon's hand....

2. Since the favourite child-getter was disabled by mishap, I have picked up a little money, by helping the ladies to a pregnancy against their being called down to sentence....

LUCY.

See how I am forced to bear about the load of infamy you have laid upon me....

Not the greatest lady in the land could have better strong-waters in her closet, for her own private drinking.

pés. Entre la vase du fond et l'écume de la surface roulait le grand fleuve national, qui, s'épurant par son mouvement propre, laissait déjà voir par intervalles sa couleur vraie, pour étaler bientôt la régularité puissante de sa course et la limpidité salubre de son eau. Il avançait dans son lit natal; chaque peuple a le sien et coule sur sa pente. C'est cette pente qui donne à chaque civilisation son degré et sa forme, et c'est elle qu'il faut tâcher de décrire et de mesurer.

Pour cela, nous n'avons qu'à suivre les voyageurs des deux pays qui à ce moment franchissent la Manche. Jamais l'Angleterre n'a regardé et imité davantage la France, ni la France l'Angleterre. Pour voir les courants distincts où glissait chacune des deux nations, il n'y avait qu'à ouvrir les yeux. A Paris, disait lord Chesterfield à son fils, recherchez la conversation polie; « elle tourne sur quelque sujet de goût, quelques points d'histoire, de critique et même de philosophie, qui conviennent mieux à des êtres raisonnables que les dissertations anglaises sur le temps et sur le whist1. En effet, nous nous sommes civilisés par la conversation; les Anglais, point. Sitôt que le Français sort du labeur machinal et de la grosse vie physique, même avant d'en être sorti, il cause; c'est là son achèvement et son plaisir2.

1. Voyez par contraste dans les œuvres de Swift un fac-simile de la conversation anglaise Essay on polite conversation.

2. Encore en 1826, Sidney Smith arrivant à Calais écrit (tome II, 274):

What pleases me is the taste and ingenuity displayed in the shops

A peine a-t-il échappé aux guerres de religion et à l'isolement féodal, il fait la révérence et dit son mot. Avec l'hôtel de Rambouillet, les salons s'ouvrent; le bel entretien qui va durer deux siècles commence; Allemands, Anglais, toute l'Europe novice ou balourde l'écoute, bouche béante, et de temps en temps essaye maladroitement de l'imiter. Qu'ils sont aimables, nos causeurs! Quels ménagements! quel tact inné! Avec quelle grâce et quelle dextérité ils savent persuader, intéresser, amuser, caresser la vanité malade, retenir l'attention distraite, insinuer la vérité dangereuse, et voler toujours à cent pieds au-dessus de l'ennui où leurs rivaux barbotent de tout leur poids natif! Mais surtout comme ils se sont déliés vite! D'instinct et sans effort, ils ont rencontré le geste aisé, la parole facile, l'élégance soutenue, le trait piquant, la clarté parfaite. Leurs phrases, encore compassées sous Balzac, se dégagent, s'allégent, s'élancent, courent, et sous Voltaire ont pris des ailes. Vit-on jamais pareil désir et pareil art de plaire? Les sciences pédantes, l'économie politique, la théologie, les habitantes renfrognées de l'Académie et de la Sorbonne, ne parlent qu'en épigrammes. L'Esprit des Lois de Montesquieu est aussi « l'esprit sur les lois. Les périodes de Rousseau, qui enfanteront une révolution, ont été, dix-huit heures durant,

and the good manners and politeness of the people. Such is the state of manners, that you appear almost to have quitted a land of barbarians. I have not seen a cobbler who is not better bred than an English gentleman.

tournées, polies, balancées dans sa tête. La philosophie de Voltaire petille en millions d'étincelles. Toute idée doit devenir un bon mot; on ne pense plus qu'en saillies; il faut que toute vérité, la plus épineuse ou la plus sainte, devienne un joli jouet de salon, lancé, puis relancé comme un volant doré par les mains mignonnes des dames, sans faire tache sur les sabots de dentelle d'où pendent languissamment leurs bras fluets, sur les guirlandes que déroulent dans les panneaux les Amours roses. Tout doit reluire, scintiller ou sourire. On atténue les passions, on affadit l'amour, on multiplie les bienséances, on outre le savoir-vivre. L'homme raffiné devient « sensible. De sa douillette de taffetas, il tireincessamment le mouchoir brodé dont il essuiera le commencement d'une larme; il pose la main sur son cœur, il s'attendrit, il est devenu si délicat et si correct que les Anglais le prennent tour à tour pour une femmelette ou pour un maître de danse 1. Regardez de plus près cependant ce freluquet enrubanné qui roucoule les chansons de Florian dans un habit vert tendre. L'esprit de société qui l'a conduit dans ces fadaises l'a aussi conduit ail

1. Evelina, par miss Burney; voyez le personnage du pauvre et gentil Français, M. Dubois, qu'on fait tomber dans le ruisseau. Ces jeunes filles si correctes vont voir jouer Love for Love de Congreve; les parents ne craignent pas de leur donner miss Prue en spectacle. Voyez aussi par contraste le personnage du capitaine anglais, si rustre; il est l'hôte de Mme Duval, et la jette deux fois dans la boue; il dit à sa fille : «< Molly, je vous conseille, si vous faites quelque cas de mes bonnes grâces, de ne plus avoir un goût à vous, en ma présence. Le changement est surprenant, depuis

soixante ans.

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