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de l'Assemblée Constituante, et rapprocher les deux dates qui l'enclavent: 5 mai 1789 et 30 septembre 1791, le regard s'arrête épouvanté devant l'abime qui sépare ces deux époques!!! En 1789, tout le monde veut le progrès, les réformes; la noblesse s'empresse de faire le sacrifice de ses priviléges les Noailles, les Montmorency, les Larochefoucauld, les plus grands noms de la France, proposent l'abolition des titres, des armoiries, des livrées, de toutes les distinctions sociales. En présence d'un si patriotique accord, qui n'aurait eu foi dans l'avenir? En 1794, tout est changé: la liberté naissante a été compromise par les excès commis en son nom; et bien des espérances se sont évanouies... Quelques-uns de ses plus fervens apôtres craignent d'avoir été trop loin, et veulent revenir sur leurs pas. Vains efforts! Le peuple ne s'arrêtera pas... Ce n'est pas pour substituer Delessart à Necker, et remplacer Champion de Cicé par DuportDutertre, qu'il a secoué un sommeil de quatorze siècles!

C'est l'erreur, c'est la fatale préoccupation de la plupart des hommes politiques arrivés aux affaires par l'opposition, d'espérer dominer cette opposition, et calmer à leur gré le flot populaire qui les a apportés. L'histoire ne nous fournit pas d'exemple de ces subites conversions de la foule...... Et maintenant le char révolutionnaire est lancé; nulle force humaine ne saurait l'arrêter. Souvent il changera de direction; souvent nous verrons ses conducteurs imprévoyans précipités du siége et broyés sous les roues; jusqu'au moment où une main puissante s'emparera des rênes, et le guidera dans les sentiers périlleux de la victoire. Et après avoir, sous cette vigoureuse impulsion, parcouru en triomphe toutes les capitales de l'Europe, revenu à son point de départ, sa grande mission ne sera pas terminée : l'avenir lui réserve de nouveaux triomphes.

ÉTIENNE MOUTTET.

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Le mardi, 5 mai 1789, était le jour fixé pour la réunion des états-généraux. La veille prit place une cérémonie auguste et imposante, destinée à placer sous les auspices de la religion les travaux de cette assemblée, qui portait dans son sein la plus immense révolution dont jamais le monde ait été témoin. Il n'est qu'une voix parmi tous ceux qui ont assisté à cette cérémonie, et dont notre enthousiaste curiosité interroge avec respect les souvenirs. Jamais Versailles n'avait offert un plus magnifique spectacle, un coup-d'œil plus animé. Écoutons le récit de M. le marquis de Ferrières, acteur lui-même dans cette solennelle cérémonie. « La noblesse en habit noir, veste et paremens de drap d'or, manteau de soie, cravate de dentelle, le chapeau à plumes retroussé à la Henri IV; le clergé en soutane, grand manteau, bonnet carré ; les évêques avec leurs robes violettes et leurs rochets; le tiers vêtu de noir, manteau de soie, cravate de batiste. Le roi se plaça sur une estrade richement décorée; Monsieur, Monsieur comte d'Artois, les princes, les ministres, les grands-officiers de la couronne étaient assis au-dessous du roi ; la reine se mit vis-à-vis du roi; Madame, Madame comtesse d'Artois, les princesses, les dames de la cour, superbement parées et couvertes de diamans, lui composaient un magnifique cortége. Les rues étaient tendues de tapisseries de la couronne; les régimens des Gardes-Françaises et des Gardes-Suisses formaient une ligne depuis Notre-Dame jusqu'à Saint. Louis; un peuple immense nous regardait passer dans un silence respectueux; les balcons étaient ornés d'étoffes précieuses, les fenêtres remplies de spectateurs de tout âge, de tout sexe, de femmes TOME Ier.

charmantes, vêtues avec élégance: la variété des chapeaux, des plumes, des habits; l'aimable attendrissement peint sur tous les visages, la joie brillant dans tous les yeux; les battemens des mains ; les expressions du plus tendre intérêt; les regards qui nous devançaient et qui nous suivaient encore après nous avoir perdus de vue..... Tableau ravissant, enchanteur, que je m'efforcerais vainement de rendre ! Des chœurs de musique, disposés de distance en distance, faisaient retentir l'air de sons mélodieux; les marches militaires, le bruit des tambours, le son des trompettes, le chant noble des prêtres, tour-à-tour entendus sans discordance, sans confusion, animaient cette marche triomphante de l'Éternel.

Arrivés à Saint-Louis, les trois ordres s'assirent sur des banquettes placées dans la nef. Le roi et la reine se mirent sous un dais de velours violet semé de fleurs de lys d'or; les princes, les princesses, les grands-officiers de la couronne, les dames du palais, occupaient l'enceinte réservée à leurs majestés. Le saint-sacrement fut porté sur l'autel au son de la plus expressive musique. C'était un O salutaris hostia. Ce chant naturel, mais vrai, mélodieux, dégagé du fatras d'instrumens qui étouffent l'expression; cet accord ménagé de voix qui s'élèvent vers le ciel, me confirma que le simple est toujours beau, toujours grand, toujours sublime..... La messe fut célébrée. M. de La Fare, évêque de Nancy, prononça le discours. La cérémonie ne finit que vers les quatre heures.»

Le lendemain les députés se réunirent à la salle des Menus. L'assemblée ne fut ni moins imposante, ni le spectacle moins magnifique que la veille. Quand l'appel des bailliages fut terminé et que les députés

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eurent été placés par les soins du grand-maître des cérémonies, le roi entra dans l'assemblée avec toute sa cour. Le clergé était à droite, la noblesse à gauche, le tiers-état en face. Le roi monta sur son trône, environné des princes du sang, et la reine à sa gauche, placée sur un fauteuil ; au bas des gra

dins, les princes et pairs, qui n'étaient pas députés, formaient à droite et à gauche le cortége. Le plus religieux silence planait sur l'assemblée; le roi alors, d'une voix ferme, pleine d'aisance et de dignité, prononça le discours suivant:

DISCOURS DU ROI, à l'ouverture des étatsgénéraux, faite à Versailles, le 5 mai

1789.

Messieurs, ce jour, que mon cœur attendait depuis longtemps, est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentans de la nation, à laquelle je me fais gloire de commander.

Un long intervalle s'était écoulé, depuis les dernières tenues des états-généraux; et quoique la convocation de ces assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur.

La dette de l'état, déjà immense à mon avénement au trône, s'est encore accrue sous mon règne. Une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été la cause; l'augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition. Une inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations, se sont emparés des esprits, et finiraient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés.

C'est dans cette confiance, messieurs, que je vous ai rassemblés; et je vois, avec sensibilité, qu'elle a déjà été justifiée par les dispositions que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs priviléges pécuniaires. L'espérance que j'ai conçue, de voir tous les ordres réunis de sentimens concourir avec moi au bien général de l'état, ne scra point trompée.

J'ai déjà ordonné, dans les dépenses, des retranchemens considérables; vous me présenterez encore, à cet égard, des idées que

je recevrai avec empressement. Mais, malgré la ressource que peut offrir l'économie la plus sévère, je crains, messieurs, de ne pouvoir pas soulager mes sujets aussi promptement que je le désirerais. Je ferai mettre sous quand vous l'aurez examinée, je suis assuré vos yeux la situation exacte des finances; et d'avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre permanent, et affermir le crédit public. Ce grand et salutaire ouvrage, qui assurera le bonheur du royaume au-dedans, et sa considération au-dehors, vous occupera essentiellement.

Les esprits sont dans l'agitation; mais une assemblée des représentans de la nation n'écoutera, sans doute, que les conseils de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, messieurs, qu'on s'en est écarté dans plusieurs occasions récentes; mais l'esprit dominant de vos délibérations répondra aux véritables sentimens d'une nation généreuse, et dont l'amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif. J'éloignerai tout autre souvenir.

Je connais l'autorité et la puissance d'un roi juste, au milieu d'un peuple fidèle, et attaché de tous temps aux principes de la monarchie; ils ont fait la gloire et l'éclat de la France; je dois en être le soutien, et je le serai constamment.

Mais tout ce qu'on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l'espérer de mes sentimens.

Puisse, messieurs, un heureux accord régner dans cette assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité du royaume! C'est le souhait de mon cœur, c'est le plus ardent de mes vœux; c'est enfin le prix que j'attends de la droiture de mes intentions et de mon amour pour mes peuples.

Mon garde-des-sceaux va vous expliquer plus amplement mes intentions, et j'ai ordonné au directeur-général des finances de vous en exposer l'état. >

M. de Barentin, garde-des-sceaux, prit ensuite la parole. Nous nous contenterons de donner une analyse succincte de ce discours faiblement conçu, mol

lement écrit, et qui fut à peine écouté. M. de Barentin s'étend sur l'éloge du roi, dont il rappelle toutes les actions mémorables: la liberté des mers et celle de l'Amérique assurées par ses soins; la question préparatoire proscrite et abolie; les restes d'un ancien esclavage détruits; toutes les traces de la servitude effacées, et l'homme rendu à ce droit sacré de la nature, que la loi n'avait pu lui ravir, de succéder à son père, et de jouir en paix du fruit de son travail; le commerce et les manufactures protégés ; la marine régénérée; le port de Cherbourg créé; celui de Dunkerque rétabli; et la France ainsi délivrée de cette dépendance où des guerres malheureuses l'avaient réduite. Il exalte ensuite la sage économie du monarque, les sacrifices généreux dont il a donné tant d'exemples, « en supprimant des dépenses, que ses ancêtres avaient toujours cru nécessaires à l'éclat et à la dignité du premier trône de l'univers. Nos aïeux, ajoute l'orateur, ont regretté sans doute de n'avoir pu contempler Henri IV au milieu de la nation assemblée. Les sujets de Louis XII avaient été plus heureux, et ce fut dans cette réunion solennelle qu'il reçut le titre de Père du peuple. C'est le plus cher, c'est le premier des titres pour les bons rois, s'il n'en restait un à décerner au fondateur de la liberté publique.

»

Passant ensuite à l'assemblée des notables, qui eut lieu sous le règne de Henri IV, et à celles qui furent convoquées sous Louis XVI, il en fait connaître le but et la différence; il s'applique à justifier les soins que le ministère a pris d'éveiller l'attention du peuple sur ce qu'il croit ses intérêts, en faisant sentir la nécessité, où les nouveaux états-généraux se trouvaient, de ne point s'assembler comme les précédens, inutilement et sans fruit. « Le roi, ajoute-il, a désiré connaître séparément les besoins et les droits de ses peuples. Les municipalités, les bailliages, les hommes instruits, dans tous les états, ont été invités à concourir, par leurs lumières, au grand ouvrage de la restauration projetée. Les archives des villes et celles des tribunaux, tous les monumens de l'histoire étudiés, approfondis et mieux développés, leur ont ouvert des trésors d'instruction. De grandes questions se sont élevées; des intérêts opposés, toujours mal entendus quand ils se combattent en de pareilles circonstances, ont été discutés, débattus, mis dans un jour plus ou moins favorable; mais enfin un cri pres que général s'est fait entendre, pour solliciter une double représentation en faveur du plus nombreux des trois ordres, de celui sur lequel pèse principalement le fardeau de l'impôt. »

Quant aux priviléges des nobles et du clergé, relatifs à l'impôt, l'orateur mentionne avec éloge le dévouement et le patriotisme dont ces deux corps ont fait preuve dans presque tous les bailliages. Il prouve

que leurs exemptions à cet égard ont été, du moins pendant longtemps, plus apparentes que réelles. « Les contributions du clergé, dit-il, furent acquittées longtemps par ses soins religieux, et il y aurait eu alors une sorte d'injustice à exiger de lui des redevances pécuniaires. Tant que le service de l'arrière-ban a duré ; tant que les possesseurs de fiefs ont été contraints de se transporter, à grands frais, d'une extrémité du royaume à l'autre, avec leurs armes, leurs hommes, leurs chevaux, leurs équipages de guerre; de supporter des pertes souvent ruineuses; et, quand le sort des combats avait mis leur liberté à la merci d'un vainqueur avare, de payer une rançon toujours mesurée sur son insatiable avidité : n'était-ce donc pas une manière de partager l'impôt, ou plutôt n'était-ce pas un impôt réel que ce service militaire, que l'on a même vu plusieurs fois concourir avec les contributions volontaires ? »

M. de Barentin jette ensuite un coup-d'œil rapide sur plusieurs objets dont les états-généraux avaient à s'occuper; « le premier et le plus important, ditil, sont les mesures à prendre sur la liberté de la presse; les précautions à adopter pour maintenir la sûreté publique, et conserver l'honneur des familles. >> Il parle ensuite de la procédure civile qu'il faut simplifier, de l'éducation de la jeunesse qu'il faut surveiller; il prémunit.les députés contre ces innovations dangereuses que les ennemis du bien public confondent avec ces changemens heureux et nécessaires, qui seuls pouvaient amener la régénération de l'empire.

Enfin, après avoir rappelé tous les titres que la troisième race de nos rois peut avoir à la reconnaissance de tout bon Français; démontré le besoin de la concorde «< que la différence des rangs, dit-il, nécessaire dans une monarchie, ne doit point altérer, parce que, dans tous les gouvernemens, le vice et l'inutilité méritent seuls le mépris ; » après avoir peint les effets des discordes civiles, et avoir cité fort à propos ce que César dit des Gaulois : « Qu'ils seraient le premier peuple de l'univers si la concorde régnait parmi eux, » l'orateur exhorte les représentans de la nation à abjurer solennellement, à déposer ces haines si vives qui, depuis plusieurs mois, <«< ont, dit-il, alarmé la France et menacé la tranquillité publique; » et finit par donner aux trois ordres des éloges capables de soutenir leur zèle pour le bien public dans la carrière qu'ils allaient parcourir.

A M. de Barentin succéda M. Necker, directeurgénéral des finances. La lecture de son discours dura trois heures. Important par les matières qui en font l'objet, et comme premier document précis pour ser

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