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le despotisme des rois de l'Europe a augmenté en même temps que le nombre des troupes qu'ils avaient à leurs ordres. Dès que les légions romaines ont été permanentes, la liberté a chancelé; elle a disparu avec la naissance des gardes prétoriennes.

Peut-être la philosophie ferait-elle une objection : elle pourra craindre que presque tous les citoyens devenant propres à la guerre, la nation ne devienne guerrière et ne se laisse entraîner à la passion des conquêtes. Cette crainte ne serait pas fondée, parce que l'état actuel de l'Europe, l'égalité que les arts mettent dans les moyens de défense et d'attaque de tous les peuples, la promptitude avec laquelle ils peuvent se réunir contre celui dont ils redoutent l'ambition, tout nous garantit qu'aucune nation ne peut devenir conquérante. D'ailleurs aucun peuple n'avait encore fait ce serment solennel de renoncer à toute conquête; eh! qui pensera que le premier qui en a donné le saint exemple à la terre puisse l'enfreindre? Non, jamais il ne sera violé ce serment sacré, l'honneur de la nation française, le gage de cette paix universelle à laquelle l'humanité sourit déjà. La philosophie l'a dicté, et tous les jours augmentant ses progrès dans tous les esprits, dans tous les cœurs, elle y met un sceau inviolable.

Ah! plutôt d'autres craintes doivent nous occuper. Craignons que nos mœurs corrompues n'éloignent de nous cette vigueur de l'ame, ces vertus mâles et républicaines sans lesquelles la vraie liberté ne peut exister. (Applaudissemens.) L'austérité de ses lois répugne bientôt à des cœurs pleins de vices, à des esclaves qui ne cherchent que la licence, en osant se dire les amis de la liberté. La liberté fait naître les vertus publiques, la licence les détruit l'amour de la liberté prend sa source dans la grandeur de l'ame, le désir de la licence naît de son avilissement : la liberté est esclave de la loi, la licence voudrait l'anéantir; la liberté est inséparable de l'amour de la patrie; elle fait les grands hommes, les grandes nations: la licence ne peut naître que chez un peuple dégénéré; elle le conduit à grands pas vers sa ruine. (Applaudissemens.)

Vos prédécesseurs ont créé pour les Français une constitution libre; c'est à vous maintenant de former des hommes pour la liberté.

Tous les moyens sont dans vos mains; vous saurez les employer. Vous échaufferez les cœurs, vous les remplirez d'une noble émulation. C'est par vos institutions qu'on verra se former et se perpétuer dans la nation ce courage, cette grandeur d'ame, cette ardeur pour la gloire, ce zèle et ce dévouement pour la patrie qui désormais doivent être le caractère distinctif du Français. Vous ferez oublier toutes ces futilités qui nous ont occupés si longtemps; vous rappellerez les vertus fortes et magnanimes qui semblent exilées de nos climats; car les grands hommes se forment où le mérite est le mieux récompensé. Alors la liberté française sera inébranlable; et la postérité, jouissant du fruit de vos institutions, se rappellera vos noms avec reconnaissance.

Et vous, braves guerriers, vous qui sentez combien il est beau de combattre pour la liberté, vous triompherez. Le corps législatif qui vous reçoit aujourd'hui dans cette enceinte vous décernera peut-être bientôt des récompenses honorables. Et nous, nous périrons jusqu'au dernier, ou nous transmettrons à la seconde législature le dépôt que la nation nous a confié! (Applaudissemens.)

Voici le projet de décret.

L'assemblée nationale, voulant récompenser d'une manière digne d'un peuple libre, tous les citoyens qui par leurs vertus, leurs écrits, leurs talens ou leurs travaux, auront bien mérité de la patrie;

Considérant néanmoins que les circonstances actuelles appellent principalement son attention sur les honneurs qui doivent être destinés aux guerriers français; voulant, au moment où tous les Français sont résolus de périr plutôt que de composer avec leurs ennemis sur la constitution qu'ils ont juré de maintenir, célébrer dignement les victoires des armées qui vont combattre pour la liberté, décrète ce qui suit :

ART. I. Lorsqu'une armée aura remporté des avantages signalés et décisifs, le corps législatif pourra lui accorder lee honneurs du triomphe.

II. Le décret ne sera rendu définitivement qu'après trois délibérations, et huit jours au moins d'intervalle; il prescrira le temps et le lieu du triomphe.

III. Le général recevra une épée, sur la

garde de laquelle seront gravés ces mots: donnée par la patrie au général N.

IV. Si le corps législatif juge que le général a ménagé par sa prudence et sa sagesse le sang du soldat, le général recevra de plus la couronne civique.

V. Il y aura un grand et un petit triomphe. VI. Dans le grand triomphe, le général et l'armée feront leur entrée dans la ville qui aura été désignée dans le décret. Le général sera sur un char orné des attributs de la victoire. Il portera, sur l'uniforme de son grade, un manteau aux couleurs nationales.

VII. Dans le petit triomphe, le général fera son entrée à cheval, et ne sera point vêtu de l'habit de triomphateur.

VIII. Les officiers municipaux de la ville où se fera le triomphe en régleront la marche et la pompe. Les canons, les drapeaux pris sur l'ennemi, précèderont le char du triomphateur. Jamais, et dans aucun cas, les prisonniers ne pourront faire partie du cortége.

IX. Si les circonstances ne permettent pas que l'armée entière puisse être présente au triomphe, le corps législatif réglera la manière dont les régimens y seront représentés.

X. Si des officiers ou des soldats s'étaient distingués par une valeur ou une conduite éclatantes, le corps législatif, sur le compte qui lui en sera rendu, pourra leur accorder des couronnes de laurier.

XI. Si leur conduite a contribué éminemment au succès de la bataille, le corps législatif pourra leur accorder la couronne civique, et l'honneur de triompher sur le même char que le général et à côté de lui.

XII. Tous les régimens de l'armée qui auront mérité le triomphe ajouteront à la devise de leurs drapeaux une inscription qui désignera le jour et le lieu de leur triomphe.

ficiers et soldats qui se seront distingués par des actions particulières dans la bataille, dans les sièges ou dans tout le cours de la campagne, des médailles, des couronnes, des anneaux d'or ou d'argent, sur lesquels seront gravés les noms de ceux qui les auront obtenus, et l'espèce d'action qui les aura mérités.

XIV. Les trophées des guerriers morts les armes à la main accompagneront l'armée triomphante, et leur éloge sera prononcé par un citoyen.

XV. Il sera fait, aux frais du trésor public, un tableau représentant le triomphe, lequel sera placé dans le Panthéon français. On élèvera dans le lieu désigné par le corps législatif un arc de triomphe, sur lequel seront écrits les noms de tous les régimens qui auront triomphé.

XVI. Les décrets qui décerneront les triomphes et les autres récompenses seront solennellement proclamés à la tête de toutes les troupes de ligne, dans leurs garnisons ou à l'armée, et à la tête des gardes nationales et des volontaires.

XVII. Si un ou plusieurs corps de l'armée avaient été livrés à l'insubordination, le corps législatif les priverait de l'honneur du triomphe.

XVIII. Dans les fêtes nationales, tout citoyen qui aura obtenu une des récompenses désignées dans le présent décret sera toujours placé d'une manière honorable.

XIX. Les marques d'honneur décernées par le corps législatif ne pourront être portées que dans les fêtes nationales, par les citoyens qui les auront obtenues. ‣

L'assemblée, au milieu des plus vifs applaudissemens, décréta l'impression du rapport et l'ajournement de la discussion.-La discussion ne fut jamais re

XIII. Le corps législatif décernera aux of- prise.

COLONIES.

( 29 février - 24 mars 1792.)

Situation des colonies. - Rapport du comité colonial. - Discours de GARRAN-COULON. - Discours de DUMAS. Discours de GENSONNÉ. Discours de GUADET. -- Décret.

L'assemblée constituante, par son décret du 24 septembre 1791 (1), avait établi un ordre de choses qui ne pouvait pas durer. L'assemblée législative, dès les premiers mois de sa session, reçut dépêches sur dépêches annonçant la situation déplorable de SaintDomingue, la révolte des noirs, et l'anarchie qui se

propageait rapidement sur tous les points de la colonie. Quelques mesures provisoires furent proposées et adoptées. Il fallait pourtant regarder au fond de la question, et le comité reçut ordre de préparer un rapport général sur la situation des colonies. Il le présenta, le 29 février 1792, par l'organe de Tarbé. Ce rapport, surchargé de détails purement locaux, concluait à envoyer immédiatement à Saint-Domingue des secours de vivres et d'instrumens aratoires; il ajournait les mesures définitives. Ce rapport ne satisfit aucun des partis ; il fut surtout attaqué par les amis des noirs, dont Brissot se porta l'organe. Un discours de Garran-Coulon, lu par Guadet, traite la question d'une manière assez complète, du point de vue des partisans de l'émancipation, pour que nous croyions utile de lui donner place ici.

DISCOURS DE GARRAN-COULON sur les affaires des colonies. (Séance du 29 février 1792.)

Messieurs, c'est l'un des plus précieux avantages de cette liberté dont les bienfaits s'étendent à tous les objets politiques, qu'il suffit, pour guérir les maux que la nature ne rend pas absolument incurables, de connaître les causes qui les ont produits; tandis que les despotes, isolés dans leurs palais, ou rassemblés au sénat, n'osent pas même permettre qu'on dévoile les abus qui sont préjudiciables à leur pouvoir, parce qu'ils craignent que les esprits habitués à la recherche de la vérité n'en dirigent bientôt le flambeau contre leurs usurpations criminelles.

Je ne sais pourquoi on voudrait le dissimu

(1) Voir page 259 et suivantes de ce volume. TOME Jer.

ler: ce sont les mouvemens divers produits par la révolution française, et les efforts insensés qu'on a faits pour en arrêter les progrès, qui ont causé l'insurrection des nègres dans nos îles, comme tous les troubles qui parties de l'empire; c'est l'air contagieux de ont eu lieu depuis trois ans dans les autres cette révolution, son exemple désespérant pour tous les oppresseurs; c'est surtout la perpétuelle injustice qu'on a eue de vouloir en ravir tous les bienfaits aux hommes de couleur, qui, par le froissement de l'opposition, a fait jaillir les premières étincelles de la révolte à Saint-Domingue, et qui en a dispersé les flammes de toutes parts.

Sans doute des causes secondaires ont pu se réunir à celles-ci dans nos colonies. Les génies malfaisans, qui, dans le secret des cours, agitent l'Europe depuis tant de siècles, et ces organes impies de pouvoirs surnaturels qui, comme les magiciens de l'antiquité et les sorciers du Nord, troublent le ciel, la terre, la mer à leur gré, et ces nobles enfin qui savent si bien allier la cruauté à la politesse, la trahison à l'honneur, n'ont pas manqué, pour soulever nos colonies, de profiter des circonstances que la négligence coupable de l'administration à faire exécuter

le décret du 15 mai n'a que trop bien servies. N'a-t-on pas vu dans l'assemblée constituante les déserteurs perfides de la cause populaire se coaliser avec les députés les plus décriés pour s'opposer au décret du 15 mai, qui n'était juste qu'à demi, pour en suspendre l'exécution après qu'il avait été accepté par le roi, et pour en préparer la révocation sacrilège, en arrêtant le départ des commissaires qui devaient ramener dans les colonies la paix et la tranquillité? Et lorsque l'incendie a éclaté, tandis que les Anglais de la Jamaïque, et nos fidèles alliés les Américains, pro

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diguaient les secours pour en arrêter les progrès, n'a-t-on pas vu les agens de ce prince du sang français, qui, pour prix du trône où nos pères l'ont placé, a chassé nos frères de ses états d'Europe, repousser aussi les malheureux colons qui voulaient se réfugier dans la partie espagnole de Saint-Domingue, en leur reprochant l'arrestation du roi, et le prétendu anéantissement de la religion des prêtres fanatiques? N'ont-ils pas aussi excité les nègres révoltés? et des sujets du roi catholique n'ont-ils pas eu l'atrocité, jusqu'alors inouie, de livrer aux noirs les colons blancs français, à tant la tête?

Il est évident que toutes ces horreurs n'auraient point été commises sans les ennemis que la révolution nous a suscités. Si l'on en croit même diverses indications qui vous ont été données, et l'adresse des citoyens de Bordeaux, les maîtres des nègres ont euxmêmes peu redouté les premiers éclats de cette insurrection qui semblait fournir un nouveau prétexte à la tyrannie qu'ils méditaient contre les gens de couleur, et à leur projet d'indépendance contre la mère-patrie.

Si l'on peut douter encore que les blancs du Cap et leur assemblée coloniale aient eu la même politique, tout annonce du moins qu'ils avaient combiné leurs mesures sur celles de nos aristocrates d'outre-Rhin, et qu'ils s'étaient concertés avec les plus mauvais citoyens de l'assemblée constituante, qui préféraient voir l'empire français démembré au chagrin de le contempler heureux et puissant sur les débris de leur orgueil. Les pièces qu'on vous a envoyées ne constatent-elles pas, et les députés de l'assemblée coloniale n'ontils pas été obligés de l'avouer, que des confédérations anti-patriotiques se sont formées à Saint-Domingue; que la cocarde noire y a pris la place des couleurs de la liberté, au miheu même de l'assemblée coloniale; que cette assemblée ne s'est d'abord adressée pour avoir des secours qu'au gouvernement anglais; qu'elle a ensuite envoyé au congrès un député dont vous avez été à portée d'apprécier la justification; qu'elle a refusé d'entendre la pétition des capitaines de navire qui voulaient aller demander des secours en France, et qu'elle n'a pris ce parti qu'à la dernière extrémité, lorsqu'elle y a été forcée par le refus du

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gouverneur de la Jamaïque d'envoyer des troupes?

Mais il n'était pas même besoin de ces nouveaux faits pour dévoiler le complot d'indépendance formé à Saint-Domingue et à la Martinique. Il s'était manifesté suffisamment dans tous les actes antérieurs de l'assemblée coloniale qui a fait de vains efforts pour les déguiser à la barre de l'assemblée constituante, lorsqu'elle y a été envoyée par l'assemblée du Nord.

L'assemblée constituante a eu la faiblesse de souffrir cet outrage porté dans sa vieillesse à la souveraineté nationale. Elle a plus fait au lieu de punir les ministres qui suivaient les ordres d'un comité dominé par des marchands d'esclaves, quand ils devaient exécuter ses décrets, elle a cédé à des sophismes cent fois détruits; elle a provoqué, par les vaines terreurs qu'on a su lui inspirer, les malheurs qu'elle voulait éviter. Est-il étonnant que cette pusillanimité déplorable ait enhardi les auteurs des troubles de nos colonies?

Messieurs, les effets désastreux de tant de faiblesse et de l'oubli de tous les principes qui ont fondé notre liberté doivent nous servir de leçon. Ils nous montrent en même temps la cause des malheurs de Saint-Domingue et les mesures propres à y remédier. Ils nous apprennent que nous ne devons jamais laisser porter atteinte à la souveraineté nationale, et bien moins encore aux droits éternels de la nature et de la raison; que les palliatifs ne peuvent plus être employés; que le défaut d'énergie de notre part perpétuerait les malheurs des colonies; qu'il perdrait les colons blancs eux-mêmes, en les entretenant jusqu'à leur entière destruction dans les folles prétentions de leur orgueil; qu'il faut enfin déployer, pour les sauver malgré eux, toute l'autorité que la nation nous a transmise, et naturaliser dans ces contrées, si longtemps souillées par la violation de tous les droits de l'humanité, les grands principes de justice qui doivent être désormais inséparables des lois françaises.

Aidons les colons blancs de Saint-Domingue; oublions leur ingratitude, dont ils ne sont que trop punis; leurs perfides projets contre la mère-patrie, qui leur ont si mal

réussi. Qu'importe aujourd'hui qu'ils aient voulu se séparer de nous? ils sont hommes, ils sont malheureux : prodiguons-leur les secours qui sont en notre pouvoir. Nous ne les refuserions pas à des ennemis qui seraient dans leur situation, et véritablement peu d'ennemis nous auraient pu faire autant de mal que les colons blancs de Saint-Domingue nous en ont fait.

Mais en oubliant leurs attentats, nous ne devons pas, par notre faiblesse, et par un lâche dévouement à l'orgueil des colons blancs, fouler aux pieds les droits de la nature, de l'humanité et de la nation même, qu'ils n'ont pas cessé de méconnaître. Nous devons, en anéantissant ce décret, qu'on a osé qualifier de constitutionnel, après avoir si solennelle ment déclaré que la constitution était terminée, nous devons nous hâter de maintenir les concordats faits entre les blancs et les hommes de couleur, ou plutôt reconnaître aux hommes de couleur, indépendamment de tous ces concordats, des droits absolument égaux à ceux des colons blancs; nous devons aussi ne point laisser subsister, en faveur des colonies, cette indépendance intérieure que le décret du 24 septembre leur attribue, mais que l'unité de l'empire ne peut pas admettre, et que leur propre faiblesse les oblige, dans ce moment même, d'abjurer: indépendance également attentatoire aux droits des créanciers français et à la souveraineté de la nation, qui donnerait sur nous, aux colons, s'ils étaient admis dans l'assemblée nationale, une supériorité que la raison humaine ne peut pas reconnaître, que proscrit l'égalité des droits, et que la puissance invincible de vingt-cinq millions de Français n'est pas faite pour supporter; indépendance enfin qui, contre la conviction où nous sommes que la justice est le premier de nos devoirs, et l'égalité le premier des droits pour tous les hommes, nous condamnerait à conniver sans cesse à la violation de ces principes sacrés des lois, à protéger par la puissance du peuple français la tyrannie et tous les caprices de la domination privée, livrée à elle-même.

C'est à vous, messieurs, maintenant que les blancs de Saint-Domingue, trompés dans leurs coupables espérances, n'ont plus d'autre recours que la mère-patrie pour les sauver de

la ruine qui les menace, c'est à vous, messieurs, à profiter des circonstances, pour étendre l'empire de la justice et de la liberté. Forçons les colons blancs, par l'ascendant irrésistible de leur intérêt, de la raison et du pouvoir réunis à la reconnaissance, de renoncer à leur système oppresseur, d'admettre à la fraternité sociale des hommes qui ne devaient avoir besoin auprès d'eux que d'invoquer les liens du sang et la maternité commune de la nature. Qu'ils viennent avec nous méditer dans ce temple de l'égalité les moyens d'assurer le bonheur et la liberté de tous les membres épars de l'empire français. Ils doivent sentir enfin qu'en décrétant ici pour les gens de couleur ce qu'exigent de vous la justice et l'humanité, votre constitution, et la déclaration des droits, vous n'épargnerez rien pour la prospérité des colonies, qui fera la vôtre. Et s'ils étaient encore assez aveugles pour ne le pas voir, ce ne serait pas une raison pour vous dispenser de vos devoirs et pour vous exposer aux maux inévitables que vous préparerait cette constitution bigarrée, qui romprait l'unité de l'empire français.

Je vous ai montré les dangers imminens pour notre liberté de ce gouvernement divers, qui pourrait laisser en Amérique tous les abus de l'aristocratie si péniblement bannis de ce royaume. Je vous ai montré que les criminelles usurpations du clergé, les distinctions de la noblesse, si humiliantes pour l'espèce humaine, pourraient s'y perpétuer ou s'y établir; que le pouvoir arbitraire de la royauté pourrait même y conserver les armes les plus redoutables pour les en exporter en France dans la suite, si les principes de notre constitution n'y étaient pas incessamment proclamés. Mais j'aurais dû vous dire aussi que ces abus, et de plus grands encore, seraient une suite presque nécessaire du décret du 24 septembre dernier. Avant notre glorieuse révolution, le tiers-état partageait du moins l'autorité du clergé et de la noblesse dans nos assemblées politiques, et il n'y avait aucune partie de la nation qui n'eût ses représentans. Dans la constitution coloniale du 24 septembre, au contraire, les hommes de couleur, qui formaient à peu près le tiers-état d'Amérique, seraient absolument privés de toute participation dans les assemblées primaires

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