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vir à l'histoire des finances de la France depuis la révolution, ce discours fut loin pourtant d'être accueilli avec la faveur que la popularité de son auteur semblait devoir faire préjuger. On le regarda comme un programme des états-généraux, et sous ce point de vue, on fut fort étonné de ne point y trouver la confirmation du droit inaliénable qu'a la nation de consentir l'impôt, et d'y voir réduire cette assemblée aux fonctions d'un bureau d'administration ou d'une chambre des finances. Quelques-uns, le jugeant avec sévérité, y trouvèrent des longueurs insupportables, des répétitions sans nombre, des trivialités dites avec pompe, des choses inintelligibles; pas un principe, pas une assertion inattaquable, pas une ressource d'homme d'état, pas même un grand expédient de financier; aucun plan de restauration, quoiqu'on l'eût annoncé; aucune véritable base de stabilité, bien que ce fût une des divisions du dis

cours.

D'autres furent fort scandalisés de ne pas y trouver même le mot de constitution, et d'y lire, au contraire, plusieurs maximes qui seraient aujourd'hui très inconstitutionnelles. On trouva mauvais qu'il fit un mérite au clergé et à la noblesse de leur désintéressement, qu'on regardait déjà comme un commencement de restitution forcée. On crut apercevoir, dans la manière dont il classa les objets qui devaient occuper les états-généraux, le dessein de vouloir mener cette assemblée ; la longue énumération des ressources au moyen desquelles le roi aurait pu se passer d'elle fut regardée comme un trait de présomption et de forfanterie ridicule; sa théorie sur la suspension des rescriptions et sur les anticipations parut surtout fort étrange; et l'honorable mention de la caisse d'escompte, la recommandation adroite de la compagnie des Indes, firent faire plusieurs réflexions malignes.

Mais ce qui lui fit encore plus de tort dans l'esprit du tiers-état, sans lui concilier la noblesse et le clergé, fut son apologie du mode de délibérer et d'opiner par ordre; on regarda comme une très grande inconvenance, au moins, qu'un ministre du roi se permit de traiter, dans l'assemblée des députés, une question qui ne pouvait être soumise qu'à la discussion parfaitement libre et à la décision complètement absolue des états réunis en assemblée générale.

Le désordre qui régnait dans les finances était la principale cause de la convocation des états-généraux. Appelés à y porter remède, il fallait qu'ils en connussent parfaitement la situation. C'est cette instruction que commence M. Necker dans son discours, en leur promettant, au nom du roi, les plus amples éclaircissemens sur le reste.

Il met d'abord sous les yeux des états-généraux le tableau des recettes et dépenses fixes; ensuite, celui des améliorations, des recettes et dépenses passagères.

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TABLEAU DEs revenus et DÉPENSES FIXES. - 11 résulte de ce tableau que le revenu fixe de l'état, au premier mai 1789, se montait à 475,294,000 livres, et les dépenses fixes à 531,444,000 livres, ce qui établissait un déficit annuel de 56,150,000 livres. D'après le compte de 1788, ce déficit montait à 160,827,492 livres. M. Necker concilie entre eux ces deux comptes, en relevant plusieurs erreurs commises dans la rédaction du premier; ce qui fixe irrévocablement, d'après lui, le déficit, au premier mai 1789, à 56 millions.

M. Necker s'occupe ensuite des moyens de combler ce déficit. Ceux qu'il propose sont d'abord une augmentation de dix-huit millions sur le bail de la ferme générale, et une de cinq à six millions sur la ferme des postes ; augmentations qui ne peuvent s'effectuer qu'au bout d'un ou deux ans. Il y ajoute seize articles de bonifications sur différentes parties de l'administration, qu'il estime, avec les vingt-quatre millions ci-dessus, capables de faire disparaître le déficit. Parmi ces articles, il est vrai, plusieurs peuvent n'être pas adoptés; mais M. Necker les remplace par les dix à douze millions auxquels il évalue la répartition égale de l'impôt sur les ordres privilégiés, dans le cas de leur renonciation à leurs priviléges; et de la résiliation des abonnemens faits par les princes pour leurs vingtièmes; et cela, sans que les contribuables aient à supporter aucune augmentation.

Quant aux intérêts de la dette de l'état, le ministre ne pense pas que la bonne foi, ni la politique même permettent de leur faire subir la moindre diminution, quoiqu'on en paie de plus considérables à certains créanciers qu'à d'autres; aussi s'oppose-t-il avec force à ce qu'on y porte la plus légère atteinte. On doit se rappeler que c'est M. Necker qui introduisit en France l'usage des emprunts. La guerre nécessitait alors de grandes dépenses. Il voulait éviter de nouveaux impôts; il eut recours aux emprunts. La confiance dont il jouissait, et le gain dont il offrait l'espoir, tentèrent les capitalistes, qui vinrent en foule lui ouvrir leurs bourses. Les mêmes besoins renaissant, il leur opposait la même ressource; et par une chance plus avantageuse aux prêteurs, il trouvait toujours de quoi remplir ses espérances. C'est ainsi qu'en excitant la cupidité, M. Necker avait, sinon fait naître, au moins ranimé la fureur de l'agiotage, qu'il appelle lui-même un esprit immoral. Cependant il s'efforce de placer toutes ces créances sous la sauvegarde de la loyauté française, comme moyen de consolider le crédit national.

Quant aux pensionnaires de l'état, ne pouvant employer, à leur égard, les mêmes moyens, il fait remarquer que, pour les uns des services importans sont un titre sacré, et que, pour les autres, une longue

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DÉPENSES EXTRAORDINAIRES. --Sous cette dénomination sont compris les besoins de l'année courante, et les dépenses extraordinaires des deux années suivantes, 1790 et 1791.

Les besoins de l'année courante, en comptant sur le renouvellement vraisemblable des anticipations, se montent à quatre-vingts millions de secours extraordinaires, que l'on remplira par un emprunt, ou telle autre ressource qu'on jugera convenable. Mais il est à remarquer, dans le cas où l'on choisirait l'emprunt, que le montant des intérêts de cette somme est déjà porté sur l'état des dépenses fixes, et, par conséquent, qu'il n'augmentera pas le déficit. Ce qui fait monter aussi haut les besoins de cette année, est la nécessité d'acquitter, avant la fin de décembre, les six derniers mois de 1788, dont le paiement n'était pas encore commencé, mais qui devait l'être bientôt.

Pour les dépenses extraordinaires de 1790 et 1791, M. Necker déclare qu'il ne peut rien dire d'assuré sur cet article, parce que bien des circonstances, qu'on ne saurait prévoir, peuvent contribuer à les augmenter; il espère cependant qu'elles n'excèderont pas la somme des extinctions viagères de l'année 1790.

Il reste à examiner les anticipations et les remboursemens.

ANTICIPATIONS. Les anticipations sont la partie des revenus que l'on consomme à l'avance, par le moyen des bons que l'on donne sur les impositions qui doivent être perçues, ordinairement à un an de terme. Pour négocier ces billets, on y attache un intérêt qui constitue la dépense des anticipations: cette dépense varie suivant la somme pour laquelle les anticipations sont renouvelées chaque année ; et elle subsistera tant qu'on n'emploiera pas une somme à en éteindre le capital.

Les anticipations sur l'année 1790, lors de l'ouverture des états-généraux, se montaient déjà à quatrevingt-dix millions; plus cent soixante et douze millions sur les huit derniers mois de 1789. C'était dans le dessein d'amortir cette somme pour soixante-douze millions que M. Necker avait porté à quatre-vingts millions les besoins de l'année courante.

Pour mettre désormais l'état à l'abri des emprunts inattendus, il propose de fixer désormais le montant des anticipations à cent millions, afin qu'elles se négocient plus aisément, quand on n'aura plus d'incertitude sur leur quotité; et pour éviter aussi d'en venir

à suspendre les rescriptions, en les convertissant en effets à cinq pour cent d'intérêt jusqu'au moment du remboursement, ce qui véritablement serait manquer aux engagemens contractés envers ceux qui ont fourni les fonds de ces anticipations.

REMBOURSEMENS.- La nécessité et la difficulté tout ensemble de continuer les remboursemens suspendus depuis le mois d'août 1788 préoccupent vivement M. Necker. Avant leur suspension, ces remboursemens se montaient à plus de soixante-seize millions, et devaient s'augmenter progressivement, d'après les édits portant création des emprunts. Le besoin urgent de liquider la dette de l'état fait une loi de reprendre ces remboursemens; mais dans la position des finances, ne pouvant plus mettre d'impôts, la seule ressource qui reste, est celle de nouveaux emprunts. Cependant une pareille opération n'est avantageuse, qu'autant qu'on trouve de l'argent à un denier modique, pour éteindre des intérêts plus considérables.

C'est donc lorsqu'on aura mis au pair les recettes et les dépenses fixes, qu'on pourra s'occuper avec succès des remboursemens; et comme les bonifications proposées par M. Necker sont plus que suffisantes pour combler le déficit annuel, il propose de verser le surplus dans la caisse d'amortissement, avec le produit de l'extinction des rentes viagères et des pensions. Si ces deux objets réunis ne formaient pas la somme que les états-généraux jugeront devoir être employée à liquider la dette de l'état, on pourrait y suppléer par de nouveaux impôts, qui ne seraient point à la charge du peuple.

DETTES ARRIÉRÉES. - Ces dettes sont de deux espèces: les unes, qui doivent être payées sur-lechamp; les autres, dont l'acquittement peut être différé. Dans la première classe sont quelques emprunts faits chez l'étranger, qu'on ne saurait assujétir aux conventions nationales; et quelques arrérages dus par les départemens de la guerre et de la marine.

Enfin le roi lui-même a quelques recouvremens à faire, qui n'ont pu être portés sur aucun compte, à cause de leur incertitude, et qui, lors de leur rentrée, seront employés en déduction des besoins ordinaires de l'année courante.

Ici M. Necker rappelle aux députés les objets dont ils doivent spécialement s'occuper, relativement aux finances, et qui sont tous les moyens dont il a parlé pour y rétablir l'ordre, et hâter la liquidation de la dette de l'état.

Passant ensuite à la manière de perpétuer les effets de cette restauration, il rend au roi le témoignage que ce n'est pas tant pour remédier à la situation fâcheuse des finances qu'il avait convoqué les étatsgénéraux, que par le désir qu'il avait de fonder le bonheur général sur des bases inébranlables, et de

regagner la confiance de ses sujets; puisqu'il avait en main des moyens de sortir, par lui-même, de la crise funeste où il était. Parmi ces moyens, il est vrai, M. Necker place la suppression totale ou partielle des pensions; celle des remises montant à sept millions, que le roi était dans l'usage de faire dans les provinces, qui sont même, suivant lui, nécessaires au soulagement du peuple; la diminution des traitemens militaires et civils; l'imposition d'un dixième sur toutes les rentes, etc. Qu'on juge si avec de tels moyens l'ordre eût pu renaître dans les finances; aussi doit-on se rappeler combien cette assertion parut hasardée dans le temps, et l'impression désagréable qu'elle produisit,

Quoi qu'il en soit, il profite de cette occasion pour faire envisager aux députés, dans les bonnes dispositions du roi et des ministres, dans celles de tous les esprits, dans les ressources immenses-que le royaume offre de toute part, la circonstance la plus favorable, unique peut-être, pour cimenter à jamais la prospé

rité de la France.

Telle fut cette fameuse séance du 5 mai, date immortelle, qui marque le passage d'un ordre de choses sanctionné, il est vrai, mais aussi usé par les siècles, à un ordre nouveau, mystérieux encore, et sur lequel l'histoire s'expliquera.

VÉRIFICATION DES POUVOIRS.

(6 mai-17 Juin 1789.)

Attitude des trois ordres. Motions de RABAUT-SAINT-ÉTIENNE et de CHAPELIER. Discours de MIRABEAU. Discours du comte d'ENTRAIGUES. - Motion de SIEYES. Discours de LALLY-TOLENDAL.

Le lendemain de l'ouverture des états-généraux les députés du troisième ordre se rendirent à la salle commune, où ils attendirent vainement jusqu'à deux heures et demie les autres députés. Ils prirent le parti de se tenir dans une inertie raisonnée, d'après le principe que toutes les délibérations, et surtout la vérification des pouvoirs, sans laquelle aucun député ne peut avoir de caractère reconnu, devaient se faire en présence des trois ordres.

Cependant le clergé et la noblesse procédaient séparément à cette vérification dans leurs chambres respectives. Le tiers-état qui, pour éviter jusqu'au simple soupçon d'ordre constitué à part, avait pris le nom de communes, instruit de ce qui se passait chez les deux autres ordres, détacha quelques-uns de ses membres, sans toutefois leur donner de mission spéciale, pour inviter le clergé et la noblesse à se réunir dans la salle des états, à l'effet de pro céder en commun à la vérification des pouvoirs. Le clergé proposa des commissaires conciliateurs qui furent agréés par la noblesse et les communes. Alors s'établit entre les trois ordres un combat dans lequel se manifestèrent des intentions qui les caractérisaient tous les communes voulaient conquérir; la noblesse voulait conserver; le clergé, toujours circonspect et prudent, semblait attendre qu'il s'ouvrît un moyen de conciliation entre les deux autres ordres, pour le saisir.

Cependant, le temps, un temps précieux, s'écoulait sans amener de résolution définitive. Le 16 mai

M. Rabaut-Saint-Étienne, ministre protestant, fit à la chambre des communes une motion tendant «à ce qu'il fût nommé et choisi seize commissaires, pour conférer avec les huit du clergé et les huit de la noblesse, et préparer la réunion de tous les députés dans la salle commune; sans que cette démarche pût faire présumer que le troisième ordre se désistait du principe d'opiner par tête et de l'indivisibilité des états-géné

raux. »

D'autre part, M. Chapelier, avocat de Rennes, regardant comme entièrement infructueuse toute nouvelle démarche, et toute conférence comme inutile, proposa de faire aux deux ordres privilégiés une dernière invitation de se rendre dans la salle des états-généraux, pour y vérifier les pouvoirs en commun, et y traiter, après leur réunion, des objets importans de leur mission; sauf à se constituer comme seul corps national sitôt après leur refus.

Ce fut sur ces deux motions que se fit entendre, pour la première fois, cette voix éloquente qui devait dominer l'assemblée nationale, et communiquer à tous ses actes une si vigoureuse impulsion.

DISCOURS DE MIRABEAU à la chambre des communes. (Séance du 18 mai 1789.)

Messieurs, les sentimens très estimables, les principes en général très purs, qui caractérisent les deux motions dont nous som

mes occupés, n'ont pas suffi pour me ranger | devons infiniment redouter de nous trouver entièrement aux propositions de M. Rabaut- contraints, en quelque sorte, par notre déclade-Saint-Étienne, et de M. Chapelier; je dé- ration, à faire précipitamment ce qui ne sirerais qu'un avis mitoyen tempérât, ou plu- peut jamais être soumis à trop de délibératôt réunît, ces deux opinions. tion.

M. Rabaut-de-Saint-Étienne demande que nous autorisions messieurs du bureau à conférer avec les commissaires du clergé et de la noblesse, pour obtenir la réunion des membres qui doivent former les états-géné

raux.

M. Chapelier désire que, dans une déclaration très formelle, nous démontrions au clergé et à la noblesse l'irrégularité de leur conduite; et que nous les avisions des démarches qu'il deviendra nécessaire d'opposer à leurs prétentions.

Ce dernier avis, plus aux principes que le premier, il faut en convenir, plus animé de cette mâle énergie qui entraîne les hommes à leur insu même, renferme, selon moi, un grand inconvénient, dont les préopinans ne m'ont point paru tous assez frappés.

Indépendamment de ce que le parti que nous propose M. Chapelier tend à porter un décret très solennel, avant que nous ayons une existence légale; indépendamment de ce qu'il confond deux ordres qui ont tenu une conduite très différente; indépendamment de ce qu'il avertit nos adversaires d'un système qu'il est bon de ne leur faire connaître qu'en le développant tout entier, lorque nous-mêmes en aurons saisi toutes les conséquences; il appelle, il nécessite en quelque sorte, une déclaration de la noblesse, encore plus impérative que celle dont nous avons déjà été accueillis ; une déclaration que, dans nos formes actuelles, nous ne sommes ni préparés, ni aptes à repousser; et qui, cependant, peut exiger les résolutions les plus promptes. Si nous sommes persuadés, messieurs, autant que nous devons l'être, qu'une démarche aussi mémorable, aussi nouvelle, aussi profondément décisive, que celle de nous déclarer l'Assemblée Nationale, et de prononcer défaut contre les autres ordres, ne saurait jamais être trop mûrie, trop mesurée, trop imposante; et même qu'elle nécessite d'autres actes, sans lesquels nous pourrions obtenir, pour tout succès, une dissolution qui livrerait la France aux plus terribles désordres, nous

D'un autre côté, la motion de M. Rabautde-Saint-Étienne dissimule entièrement la conduite arrogante de la noblesse; elle donne, en quelque sorte, l'attitude de la clientèle suppliante, aux communes, qui, ne fussent-elles pas bravées et presque défiées, doivent sentir qu'il est temps que le peuple soit protégé par lui seul, c'est-à-dire par la loi, qui suppose l'expression de la volonté générale. Cette motion, enfin, traite avec la même déférence ceux qui, se rendant juges dans leur propre cause, n'ont pas même daigné condescendre à la discuter; et ceux qui, plus habiles ou plus délicats, couvrent du moins de quelques procédés leur marche irrégulière et chancelante. Ces deux avis, chacun dans leur sens, me paraissent également exagérés.

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Et qu'on ne nous répète pas de grands lieux communs sur la nécessité d'une conciliation rien n'est plus aisé que de saisir, par le mot salutaire, les esprits peu attentifs, ou même les bons citoyens qui ont plus de qualités morales que de connaissance des affaires, plus de zèle que de prévoyance; car le vœu de tous les cœurs honnêtes est la concorde et la paix; mais les hommes éclairés savent aussi qu'une paix durable n'a d'autre base que la justice, qui ne peut reposer que sur les principes.

Mais peut-on, sans aveuglement volontaire, se flatter d'une conciliation avec les membres de la noblesse, lorsqu'ils ne daignent laisser entrevoir qu'ils pourront s'y prêter, qu'après avoir dicté des lois exclusives de toute conciliation; lorsqu'ils font précéder leur consentement, pour se concerter avec les autres ordres, de la fière déclaration qu'ils sont légalement constitués? N'est-ce pas là joindre la dérision au despotisme? Et que leur reste-t-il à concerter du moment où ils s'adjugent eux-mêmes leurs prétentions? Laissez-les faire, messieurs, ils vont nous donner une constitution, régler l'état, arranger les finances, et l'on vous apportera solennellement l'extrait de leurs registres, pour servir désormais de code national... Non, mes

sieurs, on ne transige pas avec un tel orgueil, ou l'on est bientôt esclave!

Que si nous voulons essayer des voies de conciliation c'est au clergé qui, du moins, a eu, pour nos invitations, l'égard de déclarer qu'il ne se regardait pas comme constitué légalement, et cela au moment même où la noblesse nous dictait ses décrets souverains; c'est au clergé qui, soit intérêts bien entendus, soit politique déliée, montre le désir de rester fidèle au caractère de médiateur; c'est au clergé, qui aura toujours une grande part à la confiance des peuples, et auquel il nous importera encore longtemps de la conserver; c'est au clergé qu'il faut nous adresser; non pour arbitrer ce différend: une nation, juge d'elle et de tous ses membres, ne peut avoir ni procès, ni arbitres avec eux; mais pour interposer la puissance de la doctrine chrétienne, des fonctions sacrées des ministres de la religion, des officiers de morale et d'instruction. Qu'ils la consacrent à faire revenir, s'il est possible, la noblesse à des principes plus équitables, à des sentimens plus fraternels, à un système moins périlleux; avant que les députés des communes, obligés de remplir enfin leur devoir et les vœux de leurs commettans, ne puissent se dispenser de déclarer, à leur tour, les principes éternels de la justice, et les droits imprescriptibles de la

nation!

Cette marche a plusieurs avantages: elle nous laisse le temps de délibérer mûrement sur la conduite à tenir avec la noblesse, et sur la suite des démarches qu'exigent ses hostilités; elle offre un prétexte naturel et favorable à l'inaction, qui est de prudence, mais non pas de devoir; elle fournit, à la partie des députés du clergé qui fait des vœux pour la cause populaire, l'occasion, dont ils ont paru très avides, de se réunir avec nous; elle donne enfin des forces à la trop peu nombreuse partie de la noblesse que sa géné reuse conduite nous permet de regarder comme les auxiliaires des bons principes. Vous conservez donc ainsi tous vos avantages; et vous ne vous compromettez en aucun sens, ce qui ne peut pas se dire dans tous les systèmes. Car on aura beau se récrier sur ce qu'on appelle des disputes de mots; tant que les hommes n'auront que des mots pour ex

| primer leurs pensées, il faudra peser ces mots. Eh! de bonne foi, est-ce bien à ceux qui courbent la tête devant les pointilleries des publicistes; est-ce bien à ceux qui nous rappellent sans cesse à de vieux textes, à de vieux titres, à de belles phrases, à des autorités de discours et d'insinuations; est-ce bien à ceux qui nous ont journellement fait dire ce que nous ne voulions pas dire, répondre ce que nous ne pouvions pas répondre, à nous reprocher de peser sur les mots? Nous n'avons pas cessé de convenir que nous n'étions pas constitués; devions-nous permettre des sarcasmes qui aient toutes les apparences d'un acte de juridiction? Avons-nous eu tort de prétendre que la puissance doit précéder l'action? Si cela était vrai hier, cela ne l'est-il plus aujourd'hui ? si cela l'est encore, pouvons-nous, plus que ces jours passés, faire des déclarations secrètes, commencer des registres, donner des pouvoirs? Tout peut se défendre, messieurs, excepté l'inconséquence.

Envoyez au clergé, messieurs, et n'envoyez point à la noblesse; car la noblesse ordonne, et le clergé négocie. Autorisez qui vous voudrez à conférer avec les commissaires du clergé, pourvu que vos envoyés ne puissent pas proposer la plus légère composition; parce que, sur le point fondamental de la vérification des pouvoirs dans l'assemblée nationale, vous ne pouvez vous départir de rien; et quant à la noblesse, tolérez que les adjoints conférent avec elle comme individus ; mais ne leur donnez aucune mission, parce qu'elle serait sans but, et ne serait pas sans danger.

En effet, ne nous dissimulons pas que, dans notre sein même, on s'efforce de former un parti pour diviser les états-généraux en trois chambres; pour les faire délibérer et opiner par ordre: unique ambition des privilégiés en cet instant, et qui est l'objet d'un véritable fanatisme. Toute déviation du principe, toute apparence de composition encouragera le parti, et entrainera ceux d'entre nous qu'on est parvenu à ébranler. Déjà l'on a répandu, déjà l'on profère qu'il vaut mieux opiner par ordre, que de s'exposer à une scission (ce qui vient à dire, séparons-nous de peur de nous séparer) que le ministre désire, que le roi veut, que le royaume craint.

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