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C'est pourquoi je vous demande, à mon tour, de ne pas tarder une minute de plus à faire cette manifestation de sympathie qu'on attend de vous. Oui, nous connaissons les problèmes d'ordre financier et les objections qui ont été développées avec tant de talent et d'habilité par notre honorable collègue M. André Fallières.

Nous connaissons les objections de principe telles que celle qui a été faite par l'honorable M. Klotz, mais n'y a-t-il pas d'exceptions pour certaines causes, et quand nous avons quelquefois dans cette Assemblée accordé d'un vote rapide et en quelques minutes des augmentations qui se traduisaient par plusieurs centaines de millions, pouvons-nous hésiter lorsqu'il s'agit de l'augmentation non seulement du chiffre de la population française, mais de sa puissance, de sa force économique et de son rayonnement. (Applaudissements.)

Par conséquent, nous demandons à la commission des finances de prendre, d'accord avec la commission d'assurance et de prévoyance sociales, les mesures qui mettront au point certains articles de cette loi.

Nous pourrons, dans la prochaine séance, présenter quelques corrections, comme celles dont on parlait et, pour ma part, je suis absolument d'accord avec M. le Ministre de l'hygiène pour croire qu'il faut mettre en tête de cette loi le respect de la famille, l'autorité de son chef et non pas simplement la commisération pour la mère chargée d'enfants. Il faut faire respecter la famille, et la famille, jusqu'à nouvel ordre, est représentée par le chef qui est le père. (Applaudissements.) »

Mais cela est la tâche de demain, et ce que je vous demande ce soir en réponse aux observations présentées par M. le Ministre de l'hygiène, c'est de manifester dès maintenant votre volonté qu'il y ait, dans la législation qui sera l'œuvre de cette Chambre, au premier rang, à la place d'honneur, une loi favorable aux familles nombreuses. (Vifs applaudissements.) »

Par 518 voix contre 37, le renvoi à la Commission d'assurance et de prévoyance sociales, demandé par la commission des finances, était repoussé (1). La suite de la discussion de la proposition était renvoyée au 15 mars. Mais, par suite d'interpellations, elle n'avait lieu que le 22 mars.

Dans l'intervalle, la commission d'assurance et de prévoyance sociales et celle des finances, s'étaient mises d'accord au sujet de certaines modifications (2). La commission des finances avait demandé 1o que l'allocation nationale ne fût pas accordée aux parents personnellement inscrits au rôle de l'impôt global sur le revenu; 2o que l'âge de seize ans fût abaissé à treize ans ; 3o que l'allocation fût fixée à 360 francs pour chaque enfant à partir du quatrième, supprimant ainsi la majoration de 60 francs par enfant prévue.

(1) Chiffres rectifiés, Journal officiel du 11 mars, 527 voix contre, et 35 pour. (2) Documents Chambre, no 1.273 (1re et 2e annexes, déposées les 16 et 17 mars 1921.)

Pour le 1er point, la commission d'assurance acceptait le texte rédigé par la commission des finances: aucun parent ne bénéficiera de l'allocation nationale lorsqu'il sera personnellement inscrit au rôle de l'impôt global; il n'y aura pas cumul entre l'allocation nationale et les réductions accordées du chef de l'impôt sur le revenu, même en ce qui concerne les parents qui ne sont pas personnellement inscrits au rôle de l'impôt global, précisément à cause de la déduction de 2.000 francs par enfant, qui est faite sur l'ensemble du

revenu.

Au sujet de l'âge des enfants, les deux commissions se mettaient. d'accord sur l'âge de 14 ans. — De même, elles s'entendaient pour fixer à 30 francs la majoration par enfant en sus du 3o (1).

En suite d'amendements de MM. Isaac, Duval-Arnould et Lemire, la proposition modifiée disposait que l'allocation serait remise au père et non à la mère, « le père étant le chef normal de la famille, que la proposition a précisément pour but de consolider et de fortifier » (2).

Au cours de la séance du 22 mars, le contre-projet suivant était déposé par M. Lemire, député: « Article unique. Toute mère de famille de nationalité française et de profession ouvrière reçoit de l'Etat une allocation annuelle de 360 francs par enfant au-dessous de seize ans, à la condition de ne plus s'absenter du foyer pour se livrer à un travail extérieur.

« La déclaration de cessation de travail est reçue à la mairie et communiquée à l'inspecteur du travail, qui en assure l'exécution »

Après un remarquable discours de son auteur, et une intervention du rapporteur M. Delachenal, et de M. Leredu, Ministre de l'hygiène, le contre-projet était disjoint.

De même, l'amendement suivant de MM. de Tinguy du Pouët et Boissard (3), tendant à substituer aux quatre premiers alinéas de l'article 1er les dispositions suivantes :

«Toute famille de nationalité française, ayant plus de deux enfants légitimes ou légitimés de moins de quinze ans, recevra de l'Etat, pour chacun de ces enfants, une allocation annuelle de 300 francs.

(1) Ces trois nouvelles dispositions donnaient satisfaction à un amendement de M. Humbert Richard, député.

(2) Dans le projet primitif de M. Thibout, l'allocation était remise au père. Voir aux annexes.

(5) Ces deux propositions seront étudiées et examinées ultérieurement.

« Si le père est décédé, l'allocation est versée à la mère ».

(Le reste de l'article sans changement).

Avant la disjonction de son amendement, M. de Tinguy du Pouët s'était exprimé ainsi :

« Ce sera certainement la gloire de la législation actuelle, après les vides cruels creusés dans notre population par la guerre, d'avoir voulu faire un effort sérieux, dans toutes les branches de l'activité législative, en faveur des familles nombreuses et du développement de la natalité.

Le projet dont nous sommes aujourd'hui saisis est au cœur même dela question. Ce projet apporte une allocation compensatrice aux familles dites nombreuses. Mais son texte même limite aux familles de quatre enfants le secours qui est accordé.

L'éminent rapporteur, au fond, nous disait, lors de la première discussion auquel le projet a donné lieu, qu'il avait voulu compenser la charge que les impôts indirects imposent aux familles.

Si vous aviez voulu appliquer logiquement le principe que vous énonciez, ce n'était pas au quatrième enfant seulement qu'il fallait apporter cette compensation, car du jour où un enfant naît, la charge des impôts indirects devient plus lourde. Alors, fallait-il commencer au premier, au second, au troisième?

En cette matière, nous sommes obligés de tenir compte de trois considérations le développement de la natalité, les limites que la volonté des parents apporte à cette natalité, les possibilités financières ; il est d'expérience que, dans la famille française, on obtient facilement deux enfants; j'estime d'ailleurs, comme M. l'abbé Lemire, qu'il y a un heureux symptôme d'amélioration.

Il y a deux enfants qui naissent facilement; ce sont les deux premiers, car avec deux enfants l'égoïsme familial est presque toujours satisfait, le nom ou l'œuvre ont des chances de ne pas périr.

L'enfant difficile à obtenir, celui qui commence à être le relèvement de la race, celui qui n'est pas seulement pour la famille, mais qui est aussi pour la nation, c'est le troisième. C'est à partir du troisième que j'aurais voulu que le projet dont nous sommes saisis vînt donner un soulagement aux charges que les impôts indirects apportent à la famille.

Dans les régions où la restriction systématique de la natalité n'a pas encore trop profondément gangrené les masses, il est d'expérience que l'application même de la loi si timide, si incomplète qui a institué l'assistance aux familles nombreuses a déjà un heureux effet....

Il faudrait rendre possible le fait de nourrir le troisième enfant quand il naît, et de l'élever. »>

Deux amendements étaient également déposés par M. Proust. et par MM. Ernest Lafont, Morucci et Georges Lévy, tendant à supprimer, dans le 1er § de l'article 1er, les mots légitimes ou légitimés, c'est-à-dire à ne faire aucune différence entre les enfants légitimes et naturels. Soutenus avec vigueur par MM. Proust, Ernest Lafont, disant que depuis plus de cinquante ans, l'enfant naturel a été mis, civilement, socialement, sur le même pied que

l'enfant légitime; combattus par MM. Thibout, Isaac, exposant que les allocations nationales représentent une dette de reconnaissance du pays vis-à-vis des familles nombreuses légitimes, fondées sur le mariage, les amendements étaient repoussés par 345 voix contre 174.

La discussion était reprise le 24 mars, et la loi votée par la Chambre au cours de cette séance.

Le texte adopté est le suivant :

ARTICLE PREMIER. Tout chef de famille de nationalité française, qui a à sa charge plus de trois enfants vivants légitimes ou légitimés de moins de 14 ans, reçoit de l'État une allocation annuelle de 360 francs pour le quatrième enfant.

Chaque enfant au delà du quatrième de moins de 14 ans donnera droit à une allocation supplémentaire supérieure de 30 francs à celle accordée pour le précédent.

Les enfants vivants, légitimes ou légitimés, qui ont moins de 14 ans et qui ne sont pas personnellement inscrits au rôle de l'impôt global sur le revenu entrent seuls en ligne de compte pour déterminer le nombre des enfants dont la famille est composée.

Sont assimilés aux enfants de moins de quatorze ans ceux de moins de seize ans pour lesquels il sera justifié, dans des conditions fixées par le règlement d'administration publique prévu à l'article 4, qu'il a été passé un contrat écrit d'apprentissage ou qu'ils poursuivent des études dans des établissements d'enseignements publics ou privés, ou qu'ils sont infirmes ou atteints d'une maladie incurable, sauf le cas où ils seraient hospitalisés aux frais de l'État, du département ou de la commune.

Si le père est décédé ou disparu, l'allocation est remise à la mère. Si le père et la mère sont tous les deux décédés ou disparus, l'allocation est remise au tuteur (1).

(1) Cet article comportait primitivement un dernier §, ainsi libellé : « En cas de second mariage, les enfants, nés de chaque union, forment des catégories distinctes pour l'application de la loi. » - A la suite d'observations de M. Israël, député, la Commission modifiait ainsi ce 6o paragraphe : « En cas de second mariage, les enfants des différents lits, qui sont effectivement à la charge du chef de famille, seront totalisés pour l'application de la présente loi, à partir du jour où le nouveau ménage aura un enfant. Jusque là, chacun des époux bénéficiera, le cas échéant, de l'allocation nationale qu'il pouvait avoir auparavant. » Mais ce texte ne donnait pas complètement satisfaction à M. Israël qui, par amendement, en demanda la suppression pure et simple, appuyé par MM RouxFreissineng, Lemire, de Castelnau. La suppression de ce § 6 était prononcée par la Chambre.

ART. 2. Les allocations prévues par la présente loi ne se cumulent pas avec les subventions de l'État, accordées aux fonctionnaires civils ou militaires pour charges de famille (1).

Ne bénéficieront pas des allocations instituées à l'article premier les parents qui resteront assujettis à l'impôt sur le revenu, après que leur revenu imposable aura subi les déductions prévues pour charges de famille par l'article 7 de la loi du 25 juin 1920.

Ceux qui, par suite de ces déductions, ne devraient plus être assujettis à l'impôt sur le revenu, ne pourront cumuler le bénéfice de l'exonération d'impôt qui en résulterait pour eux avec les avantages de la présente loi.

ART. 3. L'allocation est incessible et insaisissable; elle peut toutefois être déléguée, par son titulaire, à la personne ou à l'établissement qui aurait effectivement la charge de l'un ou des enfants. Elle peut également être retirée au père, à la mère ou au tuteur qui ne s'en montrerait pas digne et ce par décision du juge de paix, en son cabinet, lequel attribuera l'allocation à une personne ou à un établissement qui s'occuperait effectivement de l'un ou des enfants. Le juge de paix sera saisi, à cet effet, soit par le parquet, soit par toute personne qui a ou qui compte prendre à sa charge un ou plusieurs des enfants.

La décision du juge de paix est susceptible d'appel devant le tribunal civil qui statue en chambre de conseil, sur simple requête. En cas de divorce ou de séparation de corps, l'allocation est de plein droit attribuée à celui des parents qui a obtenu la garde de l'enfant.

ART. 4. Pour obtenir l'allocation, une déclaration devra être faite à la mairie sur papier libre. Il en sera délivré récépissé (2).

Un règlement d'administration publique indiquera les mentions qui doivent être contenues dans la déclaration et les pièces justificatives qui devront y être jointes, ainsi que les conditions d'application de la présente loi pour les Français en résidence dans les colonies ou à l'étranger. Ce règlement devra être rendu, après avis

(1) Au cours de la discussion, il a été déclaré : 1o que les fonctionnaires bénéficiant de ces subventions de la loi de 1919, pourront choisir celle des deux lois qui leur sera le plus favorable. 2o que le cumul sera autorisé, des majorations accordées aux réformés et mutilés en vertu de la loi du 31 mars 1919.

(2) 1 suffit d'une déclaration à la mairie, à la différence de la loi du 14 juillet 1913, qui exige une demande à soumettre à l'appréciation du bureau de bienfaisance et du Conseil municipal.

« EelmineJätka »