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PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

ET PREMIER EMPIRE

La population française continuait à avoir une croissance médiocrement rapide. Un courant d'idées s'établissait cependant en faveur des familles de nombreux enfants. Montesquieu voulait qu'on fit des lois les avantageant. - «La population est toujours un bien », disait-il. Necker, Law, Spinoza, Voltaire (1) s'occupaient de la question. — J. J. Rousseau écrivait : « Le Gouvernement où les citoyens peuplent et multiplient davantage est infailliblement le meilleur », et encore : « Il n'est pire disette pour un Etat que celle des hommes » (2).

Le grand souffle de libéralisme qui éclata en 1789, et qui n'était que la résultante d'un lent travail fait dans les esprits, vint donner à tous conscience de leurs devoirs en même temps que de leurs droits. Les révolutionnaires, en de vastes projets, se montrèrent résolus à supprimer tout ce qui, de loin ou de près, pouvait éveiller une idée d'injustice.

A la suite de rapports de La Rochefoucauld-Liancourt, au Comité de mendicité (3), l'Assemblée Nationale déclarait qu'elle mettait au rang des devoirs les plus sacrés de la Nation, l'assistance des pauvres, à tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie. — « Cette assistance a été jusqu'ici regardée comme un bienfait,

(1) Et aussi Moheau, Deparcieux, Mirabeau, Verri, Forbonnais, Sonnenfels, Filangiéri, Süssmilch, etc...

(2) Le Contrat social, III, 9. (3) Crée le 21 janvier 1790.

disait La Rochefoucauld; elle n'est qu'un devoir, une justice, une dette sacrée. Mais ce devoir ne peut être rempli que lorsque les secours accordés par la société sont dirigés vers l'utilité générale ».

En ce sens, les familles nombreuses indigentes ne pouvaient manquer d'attirer l'attention de législateurs animés de tels sentiments. Ceux-ci furent frappés du sort misérable qui leur était fait, des lourds impôts que rien n'allégeait en leur faveur. Aussi, lors de la discussion de la loi sur la contribution mobilière, la Constituante tint-elle à affirmer qu'on ne pouvait continuer à se désintéresser ainsi de ceux qui donnaient des bras au pays.

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La loi du 27 octobre 1790 sur la contribution personnellemobilière fut le résultat de ce mouvement. L'art. 15 décidait : Chaque père de famille ayant plus de 3 enfants à sa charge est placé dans une classe inférieure à celle où le chiffre du loyer l'aurait placé ». Et l'art. 16: « Celui qui aura chez lui ou à sa charge plus de 6 enfants sera placé dans une classe encore inférieure ».

La loi du 18 février 1791 sur la contribution mobilière maintenait les mêmes avantages pour charges de famille car, disait l'art. 23 « Un contribuable chargé d'une nombreuse famille est présumé avoir une habitation plus étendue et plus chère. En conséquence, s'il a chez lui ou à sa charge plus de 3 enfants, il doit être placé dans la classe du tarif inférieure à celle où son loyer le ferait placer. S'il a chez lui ou à sa charge plus de 6 enfants, il doit être placé à 2 classes au-dessous de celle de son loyer. S'il se trouve placé dans la dernière classe, sa cote d'habitation et sa cote mobilière doivent être réduites à moitié de celles résultant de son loyer. Les chefs de famille étant obligés d'avoir un local plus grand, non par luxe, mais pour loger leurs enfants, doivent être placés dans une classe inférieure à celle où les placerait naturellement leur loyer. — Si, étant salarié public, son salaire excède l'évaluation à laquelle son revenu aurait été réduit par les exceptions ci-dessus, alors, nul doute qu'il ne doive être imposé d'après le montant de ce salaire public ». Et l'art. 24 : « Les célibataires de l'un et de l'autre sexe sont présumés avoir un loyer moins fort que ne le comporte leur fortune et doivent, par cette raison, être portés dans une classe supérieure à celle où leur loyer les placerait ».

Le 13 mars 1791, une loi, dans son art. 4 stipulait : « Il est accordé à chaque invalide, en supplément, la somme de 2 livres par mois et pour chaque enfant au-dessous de l'âge de 10 ans, jusqu'à ce qu'ils aient atteints cet âge ».

Les membres de la Convention trouvèrent que les avantages réservés aux familles chargées d'enfants étaient insuffisants, lorsque ces familles se trouvaient dans l'indigence. Les exempter de la petite somme d'impôts qu'ils auraient dû payer était bien. Mais la Convention décida de leur attribuer, en outre, des secours variables selon le nombre des enfants.

Un projet de loi, rapporté par Barère, instituait le « Livre de la Bienfaisance Nationale », à côté du « Grand livre de la Dette Publique ». Tous les décadis, lecture des noms inscrits sur ce livre devait solennellement être faite dans chaque chef-lieu de district, et le paiement de la rente avoir lieu par semestre le jour de la fête du Malheur 160 fr. aux cultivateurs indigents à partir de leur 60e année, 120 fr. aux artisans après 25 ans d'exercices, 60 fr. aux mères ayant plus de 3 enfants au-dessous de 10 ans. Tous avaient droit aux soins gratuits du médecin et à une indemnité journalière en cas de maladie. Les célibataires qui réclamaient un secours, ne recevaient au plus que la moitié de celui accordé à un père de famille de la même classe (Loi du 20 février 1793, Art. 23).

Sous le Ministère Roland, le 28 juin 1793, la Convention votait une loi instituant des secours aux enfants des familles nombreuses indigentes. Le rapport avait été déposé le 26 Juin 1793 sur le bureau de la Convention, par le citoyen Maignet qui, tout en vouant au mépris de la postérité le souvenir de Louis XIV, ne faisait en somme que s'inspirer à ce sujet des principes de «< cet homme si vain ». Mais Maignet s'écriait, prévoyant la remarque « Il était bien juste que celui qui sacrifiât à sa farouche ambition tant de milliers d'hommes, songeât à en favoriser la propagation». Dans l'esprit de Maignet, il s'agit bien d'assistance proprement dite aux familles, et non d'encouragement à la repopulation. Accorder aux pères chargés d'une nombreuse famille « des secours considérables pour ne leur laisser aucune inquiétude sur le sort de leurs enfants, ce serait tuer l'industrie, étouffer l'amour du travail, inciter à l'oisiveté. La Nation ne doit leur donner son aide qu'au moment où il est mathématiquement prouvé que les facultés du père de famille ne sont point en proportion avec ses besoins cet instant doit varier à l'infini et c'est à bien saisir le passage de la médiocrité à la détresse qu'il faut s'appliquer ».

La loi était votée à la Convention, le 28 juin 1793 (Extraits):

ARTICLE PREMIER. Les pères et mères qui n'ont pour toute

ressource que le produit de leur travail, ont droit aux secours de la Nation, toutes les fois que le produit de ce travail n'est plus en proportion avec les besoins de leur famille.

ART. 3. — Celui qui, vivant du produit de son travail, a déjà 2 enfants à sa charge, pourra réclamer les secours de la Nation pour le 3e enfant qui lui naîtra (80 livres par enfant au-dessous de 12 ans au-delà de 2).

ART. 4. Celui qui, déjà chargé de 3 enfants en bas âge, n'a également pour toute ressource que le produit de son travail, et qui n'est pas compris dans les rôles des contributions, à une somme excédant 5 journées de travail, pourra réclamer ces mêmes secours pour le 4e enfant.

ART. 5. Il en sera de même pour celui qui, ne vivant pas du produit de son travail et payant une contribution au-dessus de la valeur de 5 journées de travail, mais qui n'excède pas celle de 10, a déjà à sa charge 4 enfants; il pourra réclamer des secours pour le 5o enfant qui naîtra.

ART. 6. Les secours commenceront, pour les uns et pour les autres, aussitôt que leurs épouses auront atteint le 6e mois de leur grossesse.

ART. 7. Les pères de famille qui auront ainsi obtenu des secours de la Nation, en recevront de semblables pour chaque enfant qui leur naîtra au-delà du 3e, du 4e et du 5o.

ART. 11. Les enfants qui ne vivaient que du produit du travail de leur père, seront tous à la charge de la Nation, si leur père vient à mourir, ou devient infirme de manière à ne pouvoir plus travailler, jusqu'au moment où ils pourront se livrer euxmêmes au travail.

ART. 12. En cas de mort du mari, la mère de famille qui ne pourrait, par le travail, pourvoir aux besoins de ses enfants, aura droit également aux secours de la Nation.

ART. 13. Ces secours seront fournis à domicile (1).

La Convention, soucieuse d'améliorer les situations malheu

(1) Dans le même esprit, la loi accordait des secours aux filles-mères. M. Ron-. del, Inspecteur général des services administratifs, cite cette loi dans son rapport sur les services d'assistance, inséré au Journal Officiel du 2 août 1909, page 852, (annexes).

reuses, se montrait large dans ses libéralités. Mais cette loi, où apparait la pensée des allocations aux familles nombreuses nécessiteuses, « l'acte le plus humain de la Révolution française »>, disait le citoyen Deynaud, rencontra dans son application, d'insurmontables difficultés. Elle donna lieu à tant d'abus, qu'elle ne fut en réalité qu'un beau rêve.

La loi sur la contribution personnelle-mobilière du 25 juillet 1795 (7 Thermidor An III) venait décider, à l'art. 4 : « Les hommes et les femmes, âgés de plus de 30 ans et non mariés, sont tenus de payer 1/4 en sus de toutes leurs contributions personnelles et taxes somptuaires. Les veufs et les veuves, qui ont des enfants ou qui n'atteignent le veuvage qu'après 45 ans, sont affranchis de ce paiement ».

Pour la fixation de l'impôt des patentes, tout fabricant et commerçant était tenu de déclarer s'il était célibataire ou marié, et le nombre de ses enfants, sa patente s'en trouvant augmentée ou diminuée d'autant. A la majorité absolue, les jurés pouvaient placer les pères de famille dans la classe des non-imposables à cause de leur indigence (Loi du 2 août 1797. 15 Thermidor AnV, Art. 11).

Au point de vue du service militaire, les célibataires formaient la 1re classe des Gardes Nationaux, qui étaient appelés pour la formation des corps détachés. Les jeunes gens mariés étaient exempts du service militaire.- De même, la loi du 25 octobre 1797 (3 Brumaire An VI) concernant l'inscription maritime, répartissait les marins en 4 classes celle des célibataires, celle des veufs sans enfants, celle des hommes mariés sans enfants, celle des pères de famille, et décidait qu'une classe ne serait mise en réquisition qu'après épuisement des hommes de la précédente (1).

Dans tous les pays, on avait conscience de l'intérêt que présentaient de telles mesures, et l'on suivait le bel exemple d'équité offert par les Assemblées de la Révolution. En Angleterre, en 1797, William Pitt proposait un bill pour récompenser les familles nombreuses (2). En Sardaigne, le roi exemptait de toute contribution les sujets du dûché de Gênes, pères de 12 enfants.

(1) On reconnut plus tard que cette gradation avait l'inconvénient de pro voquer des mariages prématurés, et une circulaire du 9 avril 1835 supprima entièrement ces distinctions.

(2) La célèbre loi des Pauvres allouait une somme élevée pour chaque enfant additionnel, <«< somme si élevée proportionnellement à celle des adultes, a pu

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