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En France, une loi du 23 décembre 1798 (3 Nivose An VII) venait encore augmenter les charges des célibataires (1) :

ART. 23. Les loyers d'habitation des célibataires seront surhaussés de moitié de leur valeur.

ART. 24. Seront réputés célibataires, les hommes seulement, âgés de 30 ans et non mariés, ni veufs. Les femmes, de quelqu'âge qu'elles soient, ne seront point assujetties aux dispositions concernant les célibataires. Ces dispositions ne restèrent que quelques années en vigueur.

Pendant la période d'agitation, de guerres, qui suivit, on s'occupa peu des familles nombreuses. Cependant, un privilège qui avait un intérêt tout particulier au moment de ces guerres continuelles, était réservé aux pères de famille : ils n'étaient appelés sous les drapeaux qu'après les célibataires.

Mais ces expéditions lointaines exigeaient beaucoup d'argent. Aussi, dans une loi du 27 Brumaire An VII, établissant la contribution personnelle-mobilière et somptuaire, toute modération d'impôt en faveur des familles nombreuses était-elle supprimée, et nous chercherions en vain, dans cette loi, un article les concernant.

Le Trésor s'épuisait vite en ces heures troublées, et l'année suivante, le 27 Brumaire An VIII (17 novembre 1799), la Commission du Conseil des Cinq Cents décidait de voter une subvention extraordinaire de guerre, consistant en une surimposition de 25 centimes par franc du principal des contributions foncières personnelles-mobilières et somptuaires de l'An VII. Les familles nombreuses n'étaient pas exemptées de cet impôt supplémentaire (2).

Cependant, la loi du 29 Nivose An XIII (19 janvier 1805) venait décider que : « Tout père de famille ayant 7 enfants vivants pourra en désigner un parmi les mâles, lequel, quand il sera arrivé à l'âge de 10 ans révolus, sera élevé aux frais de l'Etat dans un Lycée ou dans une école d'Arts et Métiers. Ainsi la société paiera,

écrire Nicholls, que plus un homme avait d'enfants, meilleure était sa condition ».

(1) L'adoption avait été interdite.

(2) Cela se concilie mal avec la réponse de Napoléon à Mme de Staël lui demandant quelle femme au monde, morte ou vivante, il préférait : « Madame, celle qui a fait le plus d'enfants. »>

noblement pour elle, et utilement pour les citoyens, la dette dont elle est tenue envers le chef d'une postérité nombreuse ». C'était reconnaitre une dette envers les familles nombreuses. Mais cette loi ne fut pas longtemps appliquée, et des décrets vinrent la modifier (1).

D'autre part, un ordre impérial de 1813, décidait que seraient exemptés du service militaire, les jeunes gens mariés (2).

(1) Loi du 27 novembre 1848. Décrets 7 février 1852, 19 janvier 1881. Loi de finances, 8 août 1885 (art, 27); loi de finances, 26 février 1887 (art. 41).

(2) Cette mesure avait pour résultat d'augmenter la natalité, de 100.000 unités en un an; les chiffres ci-dessous en apportent la preuve : naissances en 1812 882.945. En 1813 895.580.- En 1814 994.082. (Proposition de loi de M. le professeur Pinard, député, du 2 décembre 1920, no 1.730, p. 14.)

MALTHUS ET SES DISCIPLES

En 1798, un économiste anglais, Malthus, avait publié un ouvrage intitulé: Essai sur le principe de la population. Il y combattait les théories de Godwin, qui croyait au progrès indéfini de l'espèce humaine. Malthus écrivait « Il existe chez tous les êtres une tendance constante à accroître leur espèce, plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée. Les plantes et les animaux suivent leur instinct de développement, sans être arrêtés par la prévoyance du besoin qu'éprouvera leur progéniture. Mais les effets de cet obstacle sont pour l'homme bien plus compliqués. Sollicité par le même instinct, il est arrêté par la voix de la raison qui lui inspire de ne pas avoir des enfants aux besoins desquels il ne pourra faire face. S'il cède à cette juste crainte, c'est souvent aux dépens de la vertu ; si l'instinct l'emporte, la population croît plus que les moyens de subsistance. Quand la population n'est arrêtée par aucun obstacle, elle double tous les 25 ans, et croît de période en période suivant une progression géométrique. Les moyens de subsistance, dans les circonstances les plus favorables à l'industrie, ne peuvent augmenter que suivant une progression arithmétique. »

En fait, s'il y a tendance de la population à se multiplier rapidement, cette tendance ne se réalise pas (1).

La population ne cessait de décroître. Et, chose curieuse et des plus instructives, loin de déplorer cette situation et de s'efforcer d'y remédier, on paraissait s'en féliciter.

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(1) « Il est vrai que cela provient précisément de ce fait que jouent les freins dont Malthus recommandait l'emploi, écrit M. Jordan. On y pare comme le conseillent, soit Malthus, soit ses disciples émancipés. » (Religion et Natalité, p. 48)

Il est à remarquer, en effet, qu'au cours du XIXe siècle, au point de vue de la population, suivant l'état de la politique, deux courants d'opinions contraires ont successivement prévalu.

Après les guerres du Premier Empire, avant celles du Second, la plupart des économistes proclamaient qu'il est imprudent de donner le jour à des êtres que leurs parents seraient incapables de nourrir, les richesses ne se multipliant pas parallèlement.

Adoptée par J.-B. Say (1), la théorie de Malthus était également accueillie par Hume, Adam Smith, James Steward, Arthur Young, Price. Rossi la comparait à la loi Newton dans l'ordre social (2). Cette doctrine se répandait également en France et en Angleterre (3).

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Mais elle ne tardait pas à prendre un caractère tout différent de celui qu'avait eu en vue son auteur.

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Malthus avait constaté la grande misère qui avait sévi en Angleterre, de 1793 à 1815, en suite du blocus continental, de la désertion des campagnes par les cultivateurs se précipitant vers les nombreuses usines se créant à ce moment. Il avait été effrayé de la croissance rapide de la population, risquant de transformer l'extrême disette en catastrophe plus grande encore (4).- Malthus déduisait de ses observations qu'il importait de s'efforcer de mettre obstacle à l'accroissement de la population. Mais il entendait n'employer pour cela que des moyens moraux. Il ne faut pas oublier en effet que Malthus était un jeune pasteur protestant, de 32 ans, tout empreint encore de puritanisme.

Comme le dit M. Rageot (5), « pour lui, c'est la chasteté qui permettra d'avoir moins d'enfants, ce qui importe à ses yeux, étant donné l'état des subsistances. » Il comptait sur la vertu, pour délivrer l'humanité de la surpopulation. Le moral restraint, selon sa propre définition, consistait à restreindre le mariage par

(1) Cours d'économie politique, VI, chap. X. « Il convient d'encourager les hommes à faire des épargnes plutôt que des enfants », 1803.

(2) Cours de 1837, 20o leçon.

(3) P. Leroux. Malthus et les économistes, section II, chap. VI et XII.

(4) Dans Religion et Natalité, M. Jordan écrit: Il est très vrai que dans une société où la procréation serait réglée par le seul instinct,sans aucune intervention de la volonté, le surpeuplement tendrait vite à devenir un fléau auquel on n'aurait de remède que dans d'autres fléaux: la famine, la peste ou la guerre. (p. 48).

(5) G. Rageot, la Natalité en France, p. 25.

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