Page images
PDF
EPUB

prudence, mais en gardant une conduite strictement morale pendant la période de restriction.

Mais, précisément après la publication de l'ouvrage de Malthus, la natalité commençait à décroître en Angleterre.

Tous ceux qui, en Grande-Bretagne, en France, adoptèrent. sa théorie, y lirent tout autre chose que ce qu'il y avait mis. Ils virent le scandale dans une théorie très pessimiste, mais morale. Ils s'en servirent comme d'une arme, et en firent découler des principes dont Malthus n'avait pas eu le moins du monde la pensée (1).

Sous la Restauration, sous Louis-Philippe, on continue à se désintéresser du sort des familles nombreuses. Au contraire, au lieu de les encourager, on engage les parents à restreindre leur progéniture (2).

« Il n'y a pas deux moyens, pour les familles pauvres, de se tirer d'affaire, déclarait M. Dunoyer, Préfet de la Somme, le 11 novembre 1833, dans une proclamation affichée à profusion dans toutes les communes. Ces familles ne peuvent s'élever qu'à force d'activité, de raison et de prudence, de prudence surtout dans l'union conjugale, et en évitant de rendre leur ménage plus fécond que leur industrie. » La même circulaire ajoutait que les secours aux indigents ne seraient accordés désormais qu'aux familles n'ayant pas plus d'un enfant, pour ne pas encourager de fâcheux exemples. >>

En 1840, un académicien très pieux, Villermé, chargé par l'Académie des Sciences morales et politiques, d'étudier les conditions sociales des classes pauvres, menaçait de la colère divine les familles prolifiques nécessiteuses. « -« On ne saurait trop insister sur ce point, que la grande pauvreté abrège la vie, et surtout celle des jeunes enfants. On dirait que c'est là un châtiment infligé par la Providence aux parents que leur inconduite et leur imprévoyance plongent et entretiennent dans la misère ».

En 1843, le préfet de l'Allier signalait la limitation du nombre des enfants, comme le « meilleur moyen d'augmenter le bien-être ». Joseph Garnier, en 1845, prophétisait « le jour où les classes

(1) M. Jordan écrit : « La même base scientifique est commune à la doctrine honnête et aux pratiques immorales du néo-malthusianisme, comme on est convenu d'appeler les théories des disciples de Malthus. L'un conduit à l'autre. Et plus loin : « Maintenant que la repopulation est à l'ordre du jour, on les confond encore, et c'est au malthusianisme qu'on s'en prend, en négligeant le véritable danger et le véritable vice. Là est le défaut commun des trois-quarts de ce qui ce dit ou s'écrit sur la question. » Religion et natalité, p. 48.

(2) On rangeait alors parmi les qualités, le nombre modéré des enfants,

salariées auront la conviction que leur morale réclame, que leur bien-être exige la limitation volontaire et préventive de la population, où le blâme atteindra les hommes imprévoyants qui mettraient au monde plus d'enfants qu'ils ne pourraient en nourrir ». — Il disait de la théorie de Malthus, « qu'elle est vraie, sinon exactement dans sa formule, au moins dans son sens général. »> (1)

Stuart Mill, en 1848, dans ses principes d'Economie politique, reproduisant la théorie de Malthus ajoutait : « La moralité ne fera de réels progrès que le jour où les familles nombreuses seront considérées avec le même mépris que l'ivresse ou tout autre excès corporel ». Il ajoutait : «L'Etat a le droit d'empêcher les citoyens de naître en trop grand nombre. »>

En 1851, l'Académie française, sur un rapport de Villemain, décernait un prix Monthyon de 3.000 francs à un livre qui développait la thèse suivante : Heureux les pays où la sagesse publique et privée se réunissent pour empêcher que la population ne s'accroisse trop vite (2).

A Versailles, en 1852, le Conseil municipal créait un prix de tempérance de 1.000 francs; on devait tenir compte « du nombre modéré des enfants du lauréat » (3).

A l'avenir de la race, à la prospérité économique du pays, on ne pensait nullement. On ne cherchait pas à alléger la lourde charge que constituent de nombreux enfants. Dans la répartition des impôts, aucun avantage n'était accordé aux familles nombreuses.

(1) J. Garnier, Du principe de population (1857).— Dictionnaire d'économie politique, au mot Population.-J. Garnier écrivait par la suite, vers 1876 : «Il n'y a aucune nécessité à ce que les Français s'accroissent davantage. Tout encouragement à la population est absurde, dangereux, inhumain, et contraire à l'intérêt de la société et du pauvre en particulier. » (Rageot, la Natalité en France, p. 25). (2) Bertillon, la dépopulation de la France, p. 210.

(3) Jordan, Religion et natalité, p. 26.

PÉRIODE CONTEMPORAINE

1856 à 1890

Cependant, peu à peu, l'orientation de l'opinion changeait. M.Léonce de Lavergne saisissait l'occasion du recensement de 1856.(1) pour signaler, dans un article de la Revue des Deux Mondes (1er avril 1857), le redoublement de lenteur avec lequel la population française s'accroissait. L'article souleva un débat. — De même, un article de M. le Fort, de l'Institut, dans la Revue des Deux Mondes en 1867.

En 1876, à la suite du recensement de 1873, M. de Lavergne, revenant à la charge, demandait que l'on se préoccupât un peu de la situation misérable des familles pauvres chargées d'enfants.

Quelques législateurs, se rendant compte de l'inégalité de la répartition des charges publiques, essayaient de la modifier, et de la rendre plus conforme à la définition qu'en avaient donnée les Révolutionnaires de 1789. Projets de réforme de l'impôt, établissement d'un impôt sur le ou les revenus, le capital, projets supprimant les taxes de consommation, cette partie de l'impôt qui frappe d'autant plus une famille, que le nombre de ses membres est plus élevé, tout cela se succédait sur le bureau du Parlement. La plupart des projets allaient jusqu'à être pris en considération, mais il en advenait rien de plus (2).

(1) Ce recensement avait été immédiatement précédé de la guerre de Crimée, d'une disette et du choléra. M. d'Angeville avait déjà signalé le problème, en 1836, dans un Essai sur la statistique de la population française.

(2) Nous les signalons plus loin, dans un chapitre spécial et aux annexes.

D'autre part, émanant du même sentiment en faveur des familles de plusieurs enfants, à l'Assemblée Nationale de 1871, deux propositions étaient déposées, étendant le suffrage universel.

Le 21 Juillet 1871, celle de M. Jouvenel, tendant à donner au père de famille, autant de suffrages qu'il a de personnes sous son autorité familiale. - Il aurait voté, en même temps que pour luimême pour sa femme, pour ses filles majeures non mariées, pour chacun de ses enfants mineurs, quel qu'en eût été le nombre. Mais, dans cette proposition, si la famille perdait son chef, elle se trouvait, en fait, annihilée au point de vue électoral.

Le 31 juillet 1871, proposition de M. de Douhet, complétant la précédente. Au cas de décès du père de famille, la veuve, si elle avait un fils majeur, avait le droit de se faire représenter par lui au scrutin. Mais le principe, alors incontesté, de l'incapacité politique absolue des femmes, ne permettait pas d'aller plus avant.

Si la veuve n'avait pas près d'elle un électeur capable de voter en son nom, (père, mari, ou fils majeur,) elle perdait, en fait, dans cette proposition, l'exercice de son droit de suffrage.

La même année (1871), l'amiral de Gueydon proposait d'accorder dans les élections, à l'homme marié sans enfants: 2 voix ; avec un enfant : 3 voix ; 2 enfants : 4 voix ; 3 enfants : 5 voix ; 4 et plus : 6 voix.

C'était l'application du dicton latin tot capita, tot sententia, autant il y a de têtes, autant de voix doivent être exprimées, soit directement, soit par représentation.

La loi de 1872 sur le service militaire, venait disposer que, s'en trouvait dispensé, quiconque avait un frère sous les drapeaux. Et l'article 21 de la loi militaire du 15 juillet 1880, dispensait de 2 années de service, les aînés de 7 enfants vivants, et les jeunes gens ayant déjà un frère sous les drapeaux.

En 1882, M. Migniot, député, dans sa proposition tendant à modifier les lois successorales en faveur des familles nombreuses (1) écrivait : « Sur l'excédent de 132 millions que la modification ferait gagner au Trésor, on distribuerait 1/7 aux pères de familles ayant un grand nombre d'enfants. La somme serait répartie annuellement entre tous les départements, proportionnellement à la population. Ces sommes seraient divisées en primes de 500 francs. Un conseil spécial, siégeant au chef-lieu de département et présidé par le Préfet, serait chargé d'examiner les demandes adressées par

(1) Voir aux annexes (lois successorales).

les Mairies. Les primes seraient distribuées au chef-lieu de canton, le jour de la fête. Pour y avoir droit, les familles devraient avoir un minimum de 4 enfants vivants. Les primes ne pourraient être accordées deux années de suite aux mêmes familles, sauf augmentation du nombre des enfants.

En 1883, M. Vacher demandait à la Chambre, de donner aux pères de 6 enfants, la faculté d'en faire élever un aux frais de l'Etat.L'année suivante (1884), sur l'invitation de la Chambre, le Ministre de l'Instruction publique offrait aux pères ayant 7 enfants au moins, d'en élever un dans un établissement d'enseignement secondaire.

Malgré le nombre restreint des grandes familles (1), les demandes furent telles, que le crédit des bourses ne put suffire, et que la mesure cessât bientôt d'être appliquée (2).

Nous sommes loin de penser, du reste, que cette manière de procéder fût heureuse. En accordant des bourses, sans considération d'intelligence et d'aptitude, par le fait seul que la famille compte plusieurs enfants, on risque d'accroître, en de fortes proportions, le nombre des déclassés. Si la famille est pauvre, l'Etat rend un mauvais service à l'enfant, qu'il introduit, sans qu'un concours ait fourni quelques garanties sur son aptitude, dans un établissement où il peut prendre des habitudes en désaccord avec sa capacité personnelle et sa condition sociale. Ne peut-on penser que, bien souvent, il aurait mieux valu pour lui, pour son bonheur, le placer en apprentissage et lui faire apprendre un métier ?

C'est ce qu'estimèrent les parlementaires de 1885. - Le 9 avril 1885, MM. Bernard (du Doubs), Paul Bert, députés, demandaient à la Chambre, la remise en vigueur de la loi de Nivôse an XIII, et l'application de la décision de 1884. Des décrets avaient soumis l'attribution des bourses d'enseignement, à la réussite à un examen, (notamment celui du 19 janvier 1881), étant entendu toutefois que le nombre d'enfants, la situation nécessiteuse des familles, influaient cependant toujours sur les décisions du Ministre. A la suite d'assez longues discussions, on inscrivait dans la loi de finances du 8 août 1885, un article 27, conçu en ces termes :

« La loi du 29 Nivôse an XIII est modifiée ainsi qu'il suit : Une bourse sera accordée, dans un établissement d'enseignement secondaire, ou d'enseignement primaire supérieur, ou dans une

(1) 232.188 familles ayant au moins 7 enfants, vivants au recensement de 1886. (2) Il y eut 798 demandes, d'où une dépense pour l'Etat, de 800.000 francs.

« EelmineJätka »