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de nos voisins. L'Angleterre en 1886 nous en a acheté 517.559 quintaux; la Belgique 516.409; l'Allemagne 109.209. Au total nous avons exporté près de 1.200.000 quintaux d'une valeur de plus de 20 millions de francs. La matière première ne nous manque donc pas et, puisque nous la fournissons aux autres, il n'y a pas de raison pour que nous produisions avec elle de plus mauvaise bière. D'autre part on récolte en France près de 20 millions d'hectolitres d'orge et comme la fabrication de la bière n'en exige que 2 à 3 millions, il est facile de faire un choix et d'employer les meilleures qualités.

Avec l'orge, c'est le houblon qui constitue les matières premières nécessaires. Selon les négociants, la provenance seule du houblon suffit presque pour déterminer sa valeur. Ce sont les houblons de Saaz (Bohême) et de Spalt (Bavière) qui sont considérés comme les meilleurs. Aussi, on va voir le soin qu'on prend pour maintenir cette réputation. A Saaz chaque balle de houblon est revêtue du sceau de la ville, les acheteurs reçoivent un certificat signé du maire, indiquant l'année et le poids. Le houblon qui est de qualité médiocre ne reçoit pas de marque.

Il n'en est pas pour nous du houblon comme de l'orge. La France, comme l'Angleterre, ne produit pas suffisamment de houblon. Elle doit donc en acheter à l'Allemagne qui en produit 80.000 quintaux de plus qu'il ne lui est nécessaire, ou à l'Autriche qui en produit 30.000 quintaux de trop. La France produit annuellement 25 à 30.000 quintaux et il lui en faut environ 50.000. Mais la culture se développe chaque jour, on a même dans ce but transformé des vignobles en houblonnières; en 1884 la récolte s'est élevée à 45.553 quintaux. Sa qualité est excellente. Mais les brasseurs français nourrissent, parait-il, contre le houblon français un préjugé au moins aussi vivace et aussi injuste que celui dont leur bière est l'objet de la part de certains consommateurs. Ils n'apprécient pas la qualité de nos houblons, qui, après avoir accompli un simple voyage en Allemagne, leur sont souvent revendus comme houblons allemands. Il est présumable que si le brasseur examinait attentivement les plus beaux échantillons il deviendrait un client fidèle du cultivateur français. La valeur des houblons étrangers importés en France, qui est en moyenne de cinq millions de francs, a quelquefois dépassé dix millions. Enfin on attribue aux écoles de brasserie établies dans les pays étrangers une influence considérable sur les progrés réalisés dans la fabrication de la bière. On compte deux écoles de brasserie en Autriche et six en Allemagne, dont cinq appartiennent à des associations locales ou à de simples particuliers. A Berlin, l'État a fondé un institut de brasserie.

L'enseignement des écoles s'occupe de tous les détails de la fabrication matières premières, appareils, instruments de toutes sortes.

Le côté technique est aussi étudié que le côté scientifique. Ainsi instruits, il n'est pas étonnant que nos voisins, dont la bière est non comme en France une boisson de luxe, mais une boisson alimentaire de première nécessité, se livrent à une fabrication qui va sans cesse s'améliorant Eux-mêmes se font entre eux une concurrence acharnée qui profite finalement aux consommateurs. Ils produisent sur toute l'étendue du territoire allemand les bières les plus variées; la Bavière boit des bières fortement colorées, tandis que la Prusse et l'Autriche boivent des bières claires; mais les unes et les autres sont nutritives, digestives et ne portent pas à la tête comme certaines bières alcoolisées. Certains brasseurs ont suivi, en France, tous les progrès de nos voisins, mais il n'en est pas de même de la généralité des fabricants.

La brasserie ne prendra jamais en France l'importance qu'elle a en Angleterre, où l'on fabrique 50 millions d'hectolitres de bière chaque année, ou en Allemagne, où on en fait 40 millions. Mais les ruines que cause le phylloxéra donnent, momentanément tout au moins, une importance exceptionnelle au développement de cette industrie. De plus, dans les départements du nord elle a une extension assez grande pour qu'on s'en occupe sérieusement. Si la France ne boit pas plus de 'bière c'est qu'on n'a encore rien fait pour la généraliser. C'est resté une boisson de luxe. Les bénéfices exagérés qu'ont voulu faire les débitants ont maintenu le prix à un chiffre qui restreint beaucoup la consommation. Si on la vendait le même prix que de l'autre côté du Rhin, il est certain qu'elle deviendrait aussi répandue.

On produit actuellement en France un peu plus de 8 millions d'hectolitres sur lesquels une trentaine de mille sont exportés aux colonies. A ce chiffre il faut ajouter l'importation qui diminue tous les ans. De 414.000 hectolitres en 1882, 413.000 en 1883, l'importation est descendue à 381.000 en 1884, 333.000 en 1885 et 292.500 en 1886. En somme, sur une consommation de 8.271.594 hectolitres, la part de l'importation est insignifiante et nos fabricants n'ont pas sujet de s'alarmer.

La consommation de la bière en France ne présente que 23 litres par tête. C'est peu, auprès de l'Angleterre qui consomme 121 litres par tête, de la Belgique qui en consomme 171 et de la Bavière surtout qui consomme 228 litres. Mais il ne faut pas, pour comparer, prendre la France tout entière; si on examine la consommation locale on va voir que dans certaines localités on boit plus de bière que dans ces trois pays qui sont les plus gros consommateurs de bière que compte le monde.

Il est bien entendu que nous parions des pays étrangers pris en géné

ral, car si nous prenions à part certaines villes comme Munich où la consommation atteint 494 litres par tête ou Ingolstadt où elle atteint 520 litres, il n'y aurait plus de comparaison possible.

En France, tandis que dans l'ouest et dans le midi la consommation est sans importance, qu'à Paris même elle n'est que de 12 litres par tête, à Nancy elle est de 48, autant qu'en Autriche, à Amiens elle atteint 100 litres, à Dunkerque 145, à Roubaix et Tourcoing 222, à St-Quentin 234, à St-Pierre-lès-Calais 238 et enfin à Lille elle se monte à 301 litres par tête.

Qui sait ce qu'on en consommera dans toute la France dans dix ans d'ici.

Voici d'après des documents allemands l'état actuel de la brasserie dans le monde :

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L'exposition de brasserie, la première qui ait lieu en France, est faite dans le but de faire disparaître les préjugés dont cette industrie est victime en France. Elle est destinée à prouver que, soit pour les matières premières, orge ou houblon, soit pour les appareils et ustensiles, soit pour les produits fabriqués, la brasserie en France peut supporter la

La Belgique ne produit pas assez pour sa consommation et l'importation y est très importante.

2 L'exportation des bières anglaises est considérable.

3 La Hongrie buvant beaucoup moins de bière que l'Autriche, la consommation de ce dernier pays représenterait un chiffre proportionnel plus élevé si le calcul était opéré séparément pour les deux contrées.

concurrence. La conséquence de ce fait, une fois qu'il sera établi, sera de donner un développement considérable tant à l'agriculture qui ne reçoit pas pour ses productions employées à la fabrication de la bière en France et à l'étranger moins de 50 à 60 millions, qu'à l'industrie de la bière elle-même.

La régie compte en France 2.722 brasseries, mais il n'y en a pas plus de 200 qui soient d'une certaine importance. Sur ce chiffre 12 ou 15 sont de grands établissements analogues à ceux qui existent en Allemagne et 4 notamment sont hors de pair et au courant des derniers progrès de la science. Tous ces grands industriels font partie du comité de l'exposition et de la société de garantie, ils comptent exposer tout ce qui est utile à la fabrication de la bière. L'exposition est donc sérieuse et les brasseurs petits et grands feront leur profit de ce qu'ils verront.

Toutefois nous ne voulons pas cacher que l'exposition eut été infiniment plus intéressante et plus profitable si elle avait été internationnale. On a prétendu que la France n'était pas en état de lutter en cette matière et qu'il était inutile de faire constater cette infériorité. Ce sont surtout, il faut le dire, des considérations étrangères à la brasserie qui ont fait prendre ce parti. C'est regrettable, car c'est précisément parce que la France est moins avancée que ses voisins et surtout que l'Allemagne, n'hésitons pas à préciser, que nos industriels, constructeurs et fabricants, auraient trouvé dans l'exposition étrangère des modèles et des exemples qui leur auraient permis d'apporter dans la brasserie les progrès et les perfectionnements existant ailleurs et qui vaudraient peut-être à la France la supériorité dans la fabrication de la bière.

HENRI DE BEAUMONT.

LES

PETITS PROPRIÉTAIRES FRANÇAIS

Il y a peu de questions sur lesquelles les lecteurs anglais aient des notions aussi peu exactes que l'état de la propriété foncière en France et la condition du petit propriétaire dans diverses parties du pays'. On ajoute foi en Angleterre aux récits de touristes superficiels et partiaux. Toutefois un écrivain d'une grande autorité, feu Joseph Kay, dans son grand travail sur le Libre-échange de la terre, avait démontré que «<le système de land tenure français, loin de ruiner le pays où il est établi et malgré l'ignorance des petits cultivateurs et des paysans français accroit la richesse du pays, développe la prospérité morale et économique des fermiers et des classes rurales, et, en assurant leur bien-être, augmente en même temps la stabilité du gouvernement ». Le résident anglais en France est amené tout naturellement à la même conclusion.

Il y a près de onze ans que j'étudie d'une façon systématique la vie rurale en France. J'ai passé toute une année (1875-76) avec des amis français dans l'Anjou, la Vendée et la Bretagne. En 1878, je suis resté pendant quatre mois dans les départements formés des anciennes provinces de la Champagne, de la Bourgogne et de la Franche-Comté. En 1879, j'ai visité l'Auvergne. En 1881, j'ai fait des séjours prolongés dans diverses parties de la Bourgogne et de la région curieuse du Morvan dans le département de la Nièvre. En 1882-83, j'ai passé plusieurs mois

En France il y a encore bien des erreurs répandues sur ce sujet. On a pu s'en convaincre dans la récente discussion sur l'augmentation des droits sur le blé et le bétail. Les préjugés et l'ignorance ont permis aux protectionnistes de remporter la victoire; et il nous a semblé que le récit d'un auteur anglais aurait d'autant plus d'intérêt qu'il décrit simplement ce qu'il a vu, sans parti pris et sans se préoccuper de libre-échange ou de protection. Il fait ressortir combien les allégations des protectionnistes étaient fausses et combien la situation de la France agricole est différente de ce qu'ils la représentaient. Dans le courant de la discussion il s'était bien trouvé des économistes, qui avaient exposé la vérité, mais on les regardait comme des gens prévenus et on préférait écouter les lamentations intéressées des grands propriétaires, qui plaidaient la détresse pour profiter ensuite de l'ignorance économique des législateurs français.

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