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Saigon possède 194 employés dont les appointements absorbent 783.756 fr. L'administration provinciale de son côté revient à plus du double: 1.893.030 fr. L'administration de la justice, qui ne compte pas moins de sept tribunaux de première instance avec une cour d'appel, coûte 850.000 fr., et cependant, s'il faut ajouter foi à un mauvais propos du Journal des Débats, « les indigènes évitent le plus qu'ils le peuvent de s'adresser à nos magistrats ». Le chemin de fer de Saïgon à Mytho figure au budget pour une garantie d'intérêts de 680.000 fr. soit pour 10.000 fr. par kilomètre. Enfin, entre autres détails qui attestent que la sollicitude administrative s'étend jusque sur les beaux-arts, non seulement une subvention annuelle de 100.000 fr. est allouée aux troupes théâtrales de Saïgon, mais l'administration y ajoute une somme de 37.000 fr. pour le remboursement des frais de voyage de la troupe de la saison 1886-87 et une autre somme de 40.000 fr. pour la « prévision » des mêmes frais pour la saison de 1887-88. N'est-ce pas une munificence toute royale et un luxe vraiment asiatique?

Un de nos confrères qui critique ces largesses est d'avis cependant qu'elles seraient excusables si les Annamites étaient seuls à en faire les frais. Nous ne pouvons qu'approuver cette manière de voir. La Cochinchine est une colonie dite d'exploitation, ce qui signifie évidemment que nous l'avons fondée pour exploiter les Cochinchinois. C'est pour nous conformer à ce principe que nous avons établi des droits différentiels qui les obligent à payer cher les articles qu'ils achetaient auparavant à bon marché et que nous les chargeons de pourvoir à l'entretien du surplus de notre monde administratif et même de nos troupes théâtrales. Nous les exploitons, et n'en déplaise à Montesquieu, à Turgot et aux économistes de la vieille école, c'est ainsi qu'il faut entendre la justice, la civilisation et l'administration.

L'exploitation des consommateurs sans oublier le trésor public, tel était aussi l'objet que se proposaient les promoteurs du syndicat des alcools en Allemagne. Il ne s'agissait de rien moins que de monopoliser l'achat des produits des 7.000 distilleries allem andes de manière à pouvoir élever au gré du syndicat et sans avoir à compter avec cette odieuse concurrence le prix des alcools sur le marché intérieur, ce qui aurait permis, avec l'auxiliaire d'un drawback complaisant, de l'abaisser indéfiniment au dehors. C'eût été une nouvelle et féconde application de ce principe protectionniste qui consiste à wendre cher aux nationaux afin de pouvoir vendre à bon marché aux étrangers. Mais l'opposition des industries pour lesquelles l'alcool est

une matière première indispensable a fait, sinon échouer, du moins ajourner cette combinaison aussi ingénieuse que patriotique.

Nous empruntons à une correspondance adressée de Francfortsur-Mein au Journal des Débats, ces renseignements intéressants sur les résultats de la protection agricole en Allemagne :

Depuis quelques années, la législation allemande a pour but suprême de favoriser l'essor de l'industrie nationale, de sauver l'agriculture, de se concilier les sympathies des classes ouvrières, de faire disparaître les dernières traces du particularisme. On a voté un nombre considérable de lois, grâce à la coalition des industriels et des grands propriétaires fonciers; les uns et les autres se sont aidés, donnant aux autres nations un exemple dont elles ont profité.

Malheureusement les résultats n'ont pas répondu aux espérances. Les rapports des chambres de commerce sont bien instructifs à lire; le tableau d'ensemble est mélancolique. Les droits sur les blés ont amené la décadence de Koenigsberg, de Dantzig (l'expulsion des intermédiaires d'origine polonaise ou russe y est pour quelque chose); l'exportation des qualités supérieures de froment allemand, qui se vendaient avec profit en Angleterre, en Belgique, en Hollande, a presque cessé. N'étant plus remplacé par des céréales d'origine étrangère, ce froment reste dans le pays, s'envoie dans l'Allemagne du Sud et y obtient des prix moins satisfaisants. Afin d'y remédier, on réclame la faculté d'importer du blé, et d'obtenir la restitution des droits, en exportant ou la quantité équivalente de farine ou la même quantité de froment. L'idée des primes d'exportation est si bien admise aujourd'hui que, dans les cercles agraires, on en demande l'application aux produits de l'agriculture. Les consommateurs anglais finiront un jour par avoir la vie vraiment trop bon marché.

On organise, en ce moment, un service de pétitions au chancelier afin d'obtenir une élévation des droits sur les céréales; ces pétitions portent la signature d'industriels et de négociants. Quel succès cette manœuvre aura-t-elle ? Elle part de ce qu'on appelle la féodalité terrienne, qui seule bénéficie véritablement de la protection. Les paysans allemands sont en dehors de cette agitation. On m'a assuré que, si le prix du pain n'a pas renchéri, la qualité en serait devenue moins bonne dans l'Allemagne du Centre et l'Allemagne du Sud. Vous avez vu qu'on suggère l'idée de droits différentiels contre le blé et le seigle venant de Russie ou des États-Unis, le doublement des tarifs de douane sur ces provenances, tandis que l'Autriche-Hongrie pourrait importer aux conditions actuelles.

Ce serait probablement un coup funeste porté aux ports de l'Allemagne du Nord ainsi qu'à l'industrie minotière de cette partie de l'empire.

Le Rapport général sur la situation du commerce et de l'industrie de l'arrondissement de Verviers (Belgique) pendant l'année 1886 renferme une protestation énergique contre les droits d'entrée sur les céréales et le bétail.

.... Le relèvement des droits d'entrée, disent les auteurs du rapport, la création de taxes soit sur le bétail, soit sur les céréales, produirontils les résultats que l'on semble en attendre? Auront-ils le pouvoir de faire refleurir l'industrie, de rendre une nouvelle vitalité à l'agriculture? Réaliseront-ils, au point de vue du bien-être général, les espérances que l'on en a fait concevoir? C'est ce que notre Chambre de commerce n'a point admis et n'admet pas encore aujourd'hui. D'accord avec elle, les représentants les plus autorisés des intérêts matériels de la nation, tous ceux qui s'occupent journellement des questions les plus ardues ressortissant du domaine commercial, ont été unanimes àprotester. Telles, par exemple, nous avons trouvé en parfaite communauté d'idées avec nous, les Chambres de commerce de Namur et de Charleroi, les Sociétés d'Anvers, l'Union syndicale de Bruxelles. Toutes ont élevé la voix, ont poussé le cri d'alarme, ont montré, par des travaux approfondis, les dangers des propositions déposées aux Chambres législatives. Ces protestations ont amené le retrait de certaines de ces propositions : d'autres sont restées à l'ordre du jour de nos Assemblées délibérantes.

La Chambre de commerce proteste ensuite contre les projets de loi socialistes émanés de la « Commission du travail » instituée à Bruxelles, et qui ont pour objet la « réglementation du travail >> alors, dit-elle, que notre principe est la « liberté du travail. »

Certes, ajoutent les auteurs du rapport, à entendre les protestations qui surgissent chaque jour à l'encontre des mesures que l'on semble vouloir imposer à notre industrie, on peut croire qu'elles seront aussi mal accueillies par les patrons que par les ouvriers dont elles paralyseront l'activité et restreindront forcément la somme de salaires. Le protectionnisme du dehors est assez fatal pour ne point le compliquer du protectionnisme du dedans.

La Chambre renouvelle son vœu annuel en faveur de la « suppression des douanes dans l'intérêt du commerce et de l'industrie à charge pour le gouvernement, comme il l'a fait pour l'abolition des octrois et des barrières, de chercher à couvrir le produit net de la

douane par des diminutions de dépenses ou des impôts mieux répartis ».

En attendant elle réclame avec la suppression des droits d'entrée sur les fontes, les fers, les machines, les fils de coton et de laine (notons que Verviers est le foyer principal de l'industrie lainière) celle « des droits sur les denrées alimentaires qui restent à dégrever et notamment des droits sur le bétail et les viandes contre l'établissement desquels nous n'avons cessé, dit-elle, et ne cesserons de protester énergiquement. >>

Voilà qui est net et carré. Tous nos compliments à la Chambre de commerce de Verviers.

Nous trouvons, dans la dernière livraison des Archives Russes une très curieuse anecdote sur l'impératrice Catherine II.

Un jour que Derjavine, en sa qualité de président du collège du commerce, présentait à cette souveraine un projet de ferme des tabacs, l'impératrice écrivit quelques mots sur une feuille de papier et la lui tendit en silence, en même temps que le projet qu'il avait apporté. De retour chez lui, Darjavine lut ce qui suit :

<«< Les auteurs du projet ignorent apparemment que ces sortes de projets de fermes et de monopoles ont été frappés de malédiction, comme ruineux pour le pays, par le tsar Alexis Mikhailovitch, et que la formule de l'anathème en question est déposée à Moscou sur l'autel de la cathédrale de l'Assomption. Ce qui précède doit être porté à leur connais

sance. »

La direction des Archives garantit l'authenticité textuelle de cette déclaration de la grande impératrice.

Cet anathème fulminé contre les monopoles n'a pas empêché la ville de Moscou de devenir le foyer du protectionnisme. Les protectionnistes moscovites sont pourtant gens dévots. Mais... il est avec le ciel des accommodements.

Paris, 14 septembre 1887.

G. DE M.

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